Une salle d'injection d'ici à la fin de l'année à Paris? C'est le souhait, à titre expérimental, de Marisol Touraine. La ministre de la Santé a le soutien de Jean-Marie Le Guen, adjoint de Bertrand Delanoë en charge de la santé. Reportage à Berlin dans une "salle de Shoot".
Marisol Touraine, "espére" lancer l'expérimentation des salles de consommation de drogue d'ici à la fin de l'année. Selon la ministre de la Santé, plusieurs municipalités "de droite comme de gauche" sont déjà "prêtes à s'engager" en installant ces salles de shoot expérimentales.
Je suis en train de regarder les conditions dans lesquelles cela peut se faire". Une telle démarche pour sécuriser la consommation de drogue ne devant pas être "partisane".
Médecins du monde (MDM) et l'association Gaïa-Paris attendent un feu vert rapide du gouvernement pour ouvrir une première salle à Paris. Jean-Marie Le Guen, adjoint au maire en charge de la santé et médecin a confirmé ce matin que, pour lui, "c'est une mesure de santé publique et de sécurité publique".
Ces salles existent dans près d'une dizaine de pays, dont l'Allemagne. Placées sous la supervision d'un personnel médical qualifié, elles existent depuis plus de huit ans outre-Rhin. Sans être un remède idéal à la consommation de drogue, cela permet de protèger les consommateurs de l’hépatite C et du HIV et de réduire le nombre de morts par overdose.
Myeurop vous convie à relire le reportage de notre envoyé spécial, Damien Dubuc, et de notre correspondante à Berlin, Dorothée Fraleux, dans une "salle d'injection" de la capitale allemande. (Article intialement publié 24 septembre 2010).
Visite d'une salle d'injection dans le nord de Berlin :
La fourgonnette est garée au pied des barres d’immeubles, un peu en retrait de la Moritplatz, dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin. Florian passe sa tête ébouriffée par la porte, puis vient s'asseoir pour siroter un café. Les yeux sont vitreux, le discours speed :
Je suis un super gars, avec une coiffure de manga géniale, je fais hyper bien la cuisine, les massages, je nettoie les toilettes…" Le gendre idéal ? "Bon, il y a un vers dans le fruit, concède le jeune homme. J’ai un petit problème avec la drogue. Mais, ce n’est pas si grave!
Avant de boire son café, Florian est allé s'injecter de l'héroïne, dans un autre véhicule et sous surveillance médicale. Cette "unité mobile", légale, est ouverte depuis fin 2003 aux usagers qui souhaitent prendre leur dose dans des conditions sanitaires satisfaisantes. Mais à peine une dizaine de personnes s’y rendent chaque jour.
L’un des assistants sociaux chargé de l’accueil et du suivi se défend, un peu amer :
Nous ne sommes ouverts que le matin et ce n’est pas vraiment l’heure préférée des toxicomanes.
"Rendre les conditions de vie acceptables"
A 22 ans, Florian se shoote depuis plusieurs années déjà. Dans la journée, il vend le Motz, le journal des SDF, qui ne lui permet surement pas d'empocher les 30 euros nécessaires à sa consommation quotidienne. Il se débrouille, squatte à droite à gauche. Veut arrêter, sans vraiment y croire. S’il lui arrive de consommer de l’héroïne dans la rue, Florian se rend plusieurs fois par semaine dans la fourgonnette ou dans une salle spécialement aménagée.
On le retrouve l’après-midi, dans celle de Moabit, au nord de Berlin. Autre injection, regard toujours plus ahuri. Florian est venu accompagné d'une amie, pas loquace, qui n'a d'yeux que pour son chien. Après leur consommation, certains usagers s’attardent. Au chaud, au calme. Ils mangent un morceau dans la petite cafétéria, sortent fumer une cigarette ou discutent avec le personnel à qui ils peuvent faire part de leurs difficultés ou de leur envie de décrocher.
Kerstin Dettmer, une des responsables de l’association Fixpunkt qui gère les salles de consommation de la capitale allemande, explique :
"C’est une question de responsabilité. Les toxicomanes existent, autant essayer de rendre leurs conditions de vie acceptables.
Pour autant, "le but n’est en aucun cas d’inciter à l’usage" insiste cette médecin spécialisée dans l’addiction. L’endroit est interdit aux usagers occasionnels ou débutants, ainsi qu'aux mineurs. Chaque usager amène sa propre dose et remplit une fiche sur sa consommation, qui permet au Sénat de Berlin de s’informer sur le type et la quantité de drogues consommées, et permet d’éviter des injections létales par mélanges de drogues.
Dirk, qui vient de fumer de l’héroïne dans une pièce à l’écart pour épargner les vapeurs aux membres de l’association s’étonne : "mais les toxicos se fixent où en France? dans le métro? devant les enfants ?".
Un premier pas vers le système de soin
En Allemagne, il existe 24 structures, réparties dans 15 villes. Depuis 1998, leur ouverture est décidée au niveau de chaque Land. Les toxicomanes peuvent consommer à l’abri des regards, en utilisant du matériel stérile. Une nécessité qui permet de lutter contre la propagation du Sida ou de l’hépatite C, autre fléau dont le taux de prévalence est de 60% à 80% parmi les toxicomanes.
À Moabit, le décor de la salle d’injection est froid, médical. Au-dessus des tables de métal, des photos et des affichettes rappellent les conseils pour se shooter "proprement". Du matériel de réanimation est à portée de main des infirmières présentes sur place et prêtes à procurer les premiers soins.
Au-delà de cette politique de réduction des risques sanitaires, l’association insiste sur son rôle d'orientation.
"Nous avons pignon sur rue, et grâce à ça, les gens viennent vers nous, parfois tout simplement pour boire un café
assure Kerstin Dettmer.
“Nous donnons des conseils sur les méthodes de sevrage ou de substitution", renchérit le responsable du site de Moabit. Pour les toxicomanes les plus marginalisés, qui n’ont aucun contact avec les dispositifs de prévention ou de traitement classiques, les salles de shoot peuvent être un premier pas vers le système de soin.
La salle de Moabit accueille chaque jour 60 à 80 personnes par jour. Un chiffre à comparer aux 8 000 toxicomanes berlinois.
D’autant que ces dernières années, la consommation d’héroïne a changé en Allemagne. Fini l’héroïne rock 'n' roll, démodées, les icônes à la Nick Cave.
"Aujourd’hui, il s’agit de jeunes qui souffrent de pathologies psychiatriques qui n’ont pas été diagnostiquées. Schizophrènes, 'borderlines', ils utilisent l’héroïne comme dans une tentative d’automédication, qui leur permet de garder une illusion de contrôle
rappelle Kerstin Dettmer.
Si les nouveaux consommateurs de drogues sont victimes de failles du système de diagnostic, les salles de shoot sont un point de départ pour un retour dans le giron médical. Les salles de consommation, qui pourraient un jour faire leur apparition en France, ne sont ni l'enfer annoncé par ses opposants, ni la solution définitive au problème de la toxicomanie. Simplement un point départ vers la médicalisation.