Bastion imprenable de la gastronomie britannique, le restaurant Simpson’s sert les mêmes spécialités depuis près de deux cents ans : rôti de bœuf et pudding à la crème.
On aurait pu vous emmener dans une cantine chic, un resto australien “fusion” (mélange de plusieurs traditions culinaires), ou chez l’anglais Heston Blumenthal, créateur d’un invraisemblable porridge aux escargots… Bref, dans un lieu typique de la frénésie gastronomique qui s’est emparée de Londres ces dernières années.
Mais, quitte à être excentrique, soyons-le jusqu’au bout du parapluie et mettons le cap sur un lieu imperméable à toutes les modes : Simpson’s-in-the-Strand. Une institution vénérable où l’on sert une cuisine cent pour cent british… et néanmoins succulente. De quoi faire mentir l’adage désobligeant (et parfois justifié) sur la cuisine anglaise, selon lequel si c’est tiède, c’est de la bière, et si c’est froid, c’est de la soupe.
Situé au centre de Londres, sur l’avenue perpétuellement embouteillée du Strand, Simpson’s tient plus du temple que de la salle à manger, avec ses murs lambrissés de chêne et sa hauteur de plafond vertigineuse. En queue-de-pie anthracite, maîtres d’hôtel et chefs de rang arborent une cravate au motif du cavalier du jeu d’échecs. Car ce lieu, ouvert en 1828, fut d’abord un club d’échecs, le Grand Cigar Divan. Pour sustenter les joueurs sans troubler leur concentration, le restaurateur John Simpson fit servir des repas sur des tables roulantes glissant sans bruit sur l’épaisse moquette. Aujourd’hui encore, le serveur roule la desserte en bois jusqu’à votre table, puis, soulevant le couvercle en argent, découpe un splendide rôti de bœuf devant vous. Accompagné de choux braisés et de Yorkshire pudding, pâte briochée cuite au four et arrosée de sauce, le rôti est d’une telle tendresse qu’il se mangerait presque à la petite cuillère. Le secret ? Après l’abattage, la viande attend vingt-huit jours avant de passer au four, enduite de moutarde et de sel. Elle vient d’Écosse, région natale de Gerry Rae, jeune cuisinier en chef.
« Le bœuf anglais est bon, mais l’écossais est encore meilleur », assure-t-il. Plats traditionnels des jours de fête, les deux spécialités phares de Simpson’s, le roast-beef (d’où vient le mot français rosbif) et la selle d’agneau, sont une exception dans la gastronomie britannique, en général avare de viande. Pour preuve, la tourte au bœuf et aux rognons (steak and kidney pie), farcie de quelques abats braisés et de beaucoup de sauce. « Autrefois, on la fourrait souvent avec des huîtres, moins chères que le bœuf, surtout quand on les pêchait soi-même. Notre cuisine est une cuisine de pauvres ! Elle est née avant la révolution industrielle, époque où la société était misérable », observe Gerry Rae.
Un déluge de douceur
Autre produit sorti de l’imagination des ménagères économes, le treacle sponge, l’antithèse du gâteau breton : très peu de beurre et d’œufs, beaucoup de farine. Chez Simpson’s, on sert ce gâteau – cuit pendant presque trois heures à la vapeur ! – comme il y a cent soixante ans : arrosé de mélasse et noyé sous de la custard, onctueuse crème chaude à la vanille. Un déluge de douceur qui tient au cœur et au corps.
Bien que leur cuisine se soit largement ouverte au monde, les Anglais ont conservé ces recettes séculaires. « Notre mentalité d’insulaires fait que nous sommes aussi très attachés à ce qui fait une île, à ses coutumes », explique Gerry Rae.
Dès son arrivée aux fourneaux, il y a deux ans, il a allégé les préparations. « Les sauces étaient si épaisses qu’on les coupait au couteau. Elles sont désormais uniquement à base de jus de viande, car j’ai supprimé maïzenas et épaississants. » Mais difficile d’aller plus loin dans l’innovation, car les habitués, qui forment le gros de la clientèle, renâclent dès qu’on touche à une recette. « Simpson’s est un bastion ! En 1984, lorsque les femmes ont été admises pour la première fois dans la grande salle du restaurant – auparavant seul le salon du premier étage leur était réservé –, les hommes ont signé une pétition en signe de protestation ! » La rébellion a fait long feu.
Le tout-Londres y défile
Premiers ministres, membres de la famille royale… Le tout-Londres a constamment défilé chez Simpson’s. Charles Dickens a eu le toupet d’y faire bonne chère, alors que les héros de ses romans (Oliver Twist) étaient tenaillés par la faim. Plus généreux, Conan Doyle y a fait dîner Sherlock Holmes. Dans Les Canons de Navarone, grand classique des films de guerre, le comédien David Niven se penche sur son copain en train d’agoniser et lui promet qu’ils iront tous les deux à Londres « se payer un bon roast-beef chez Simpson’s ».
La Bourse peut s’écrouler, le monde se globaliser, ce pilier de la tradition demeure. God save Simpson’s et la cuisine anglaise !
Menu déjeuner 24,50 livres (30 euros), carte : 50 livres (58 euros).
Simpson’s-in-the-Strand, 100 Strand, London WC2R OEW, tél. : +44 (0) 207 836 9112.
RECETTE
Terrine de crevettes
Ingrédients pour 4 personnes
Préparation : 20 minutes
et une heure au réfrigérateur
500 g de crevettes grises épluchées
200 g d’échalotes hachées
150 g de beurre
1 cuillère à soupe de ciboulettes finement hachées
1/2 cuillère à café de poivre
de Cayenne
1/2 cuillère à café de sauce Worcestershire
1 gousse d’ail écrasée
Sel, poivre
Quelques gouttes
de sauce Tabasco
Préparation
Faire revenir les échalotes et l’ail dans une poêle avec le beurre, deux minutes à feu moyen.
Ajouter les crevettes et les faire cuire 30 secondes en remuant avec
une spatule en bois, puis ajouter le reste des ingrédients. Cuire 4 à 5 minutes à feu doux en remuant constamment, sans laisser bouillir le mélange beurre et eau des crevettes.
Laisser refroidir à température ambiante.
Remplir des ramequins individuels et mettre ceux-ci au réfrigérateur une heure.
Servir la terrine accompagnée de pain de seigle ou de toasts.