Exposer de l’art abstrait contemporain dans des lieux chargés d’histoire déclenche d’invariables polémiques… Plus on en parle, plus le succès est garanti. Décryptage d’une nouvelle tendance en Europe.
Jean-Jacques Aillagon, le président du Château de Versailles, a, une nouvelle fois, réussi à créer l'événement. L’exposition consacrée à l’artiste pop Takashi Murakami (1) sous les lambris de l'auguste demeure a fait, comme prévu, couler un flot d'encre et les caméras du monde entier ont filmé les œuvres de l'artiste aux mangas multicolores dans la Galerie des glaces. Succès garanti, n'en déplaise aux détracteurs de ce mélange des genres qui ont manifesté devant le château aux cris de
Touche pas à mon château, nous voulons la démocratie à Versailles !
L'ex-ministre de la Culture de Jacques Chirac n'en est pas à son coup d'essai. En septembre 2008, Le pape du “pop kitsch”, l’artiste américain Jeff Koons avait installé ses sculptures monumentales – lapin d’acier ou homard géant en plastique – sous les dorures de la demeure du Roi-Soleil. La polémique était déjà assurée. Résultat: 1,1 million de visiteurs curieux et deux mois de prolongation. Sur les traces de Koons, Xavier Veilhan avait, à son tour, investi Versailles, avec des œuvres créées spécialement pour l’occasion.
À Amsterdam, en novembre 2008, c’était au tour du Britannique Damien Hirst d’exposer au Rijksmuseum l’une de ses pièces les plus controversées, "For the Love of God", un moulage de crâne humain incrusté de 8 601 diamants. Il trônait, seul, au centre d’une pièce du musée transformée en écrin noir pour ce sourire aussi brillant que macabre. Le crâne, une réflexion sur la mort et la vanité, a permis au Rijksmuseum de faire une incursion dans l’art moderne, mais aussi de s’initier aux techniques du buzz-marketing.
Le musée avait ouvert un forum sur son site Internet, permettant au public de polémiquer en toute liberté. L’exposition avait en six semaines attiré 118 000 visiteurs. Une hausse de fréquentation de 60 % pour le Rijksmuseum.
Une ultime sophistication
Ce mix moderne dans un cadre historique fait école partout. Le château de Fontainebleau s’était associé au Palais de Tokyo, invitant douze artistes à "réactiver sa dimension historique". Depuis 2004, le musée d’Orsay et le Louvre proposent à des artistes contemporains de se confronter à leurs collections.
À Venise, le Palazzo Grassi du XVIIIe siècle a été acheté, en 2005, par le milliardaire français François Pinault. Transformé en musée d’art moderne, il abrite des expositions temporaires et la vaste collection “post-pop”.
L’ex-président du groupe PPR ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Sur un site de toute beauté, toujours à Venise, il a financé le musée, également dédié à l'art moderne, Punta della Dogana. L’ancien entrepôt des douanes, un bâtiment triangulaire médiéval rénové par l’architecte japonais Tadao Ando. Comme une ultime touche de sophistication dans une Europe qui seule peut se permettre ce luxe avec un patrimoine à nul autre pareil.
(1) Exposition "Murakami Versailles" du 14 septembre au 12 décembre 2010, dans les Grands Appartements et Galerie des Glaces (inclus dans le parcours de visite du château de Versailles).