Le Sénat a commencé hier l'examen du projet de loi sur l'immigration adopté en première lecture à l'Assemblée Nationale le 12 octobre dernier. Le groupe centriste a décidé de s'opposer au texte, en particulier au sujet de la réforme de la déchéance de nationalité voulue par le gouvernement. En Europe, à l’exception de la petite île de Malte, cette procédure reste exceptionnelle, appliquée le plus souvent aux cas de terrorisme ou d'espionnage.
Les centristes du Sénat font parler d'eux : dans un communiqué publié le mardi 1er février, le groupe Union Centriste a déclaré avoir décidé à l'hunanimité de voter contre le projet de loi très controversé sur la déchéance de nationalité proposé par Eric Besson en septembre dernier.
Nous ne voulons pas créer deux catégories de Français,
ont déclaré les sénateurs centristes à l'AFP, en écho aux désaccords exprimés par leurs camarades de l'Assemblée Nationale.
Le groupe UMP du Sénat, avec 151 membres, ne dispose pas de la majorité nécessaire pour faire passer le texte. Dans la mesure où la gauche s'est déjà opposée aux nouvelles dispositions mises en place par le projet de loi, les centristes vont être les arbitres de la bataille législative. Et ce au grand dam de Brice Hortefeux, nouvellement en charge de la loi en tant que Ministre de l'Immigration, et de Gérard Larcher, le président UMP du Palais Bourbon, poussés par Nicolas Sarkozy pour faire adopter la loi.
Paris fait fi des conventions européennes
L'ex-ministre français de l’Immigration, Éric Besson, avait défendu le 28 septembre à l’Assemblée nationale le texte qu’il a concocté à la demande express de Nicolas Sarkozy. Partout ailleurs en Europe, à l’exception de la petite île de Malte, la procédure de déchéance reste exceptionnelle, appliquée le plus souvent aux cas de terrorisme ou d'espionnage.
Elle est strictement encadrée par la Convention sur la nationalité du Conseil de l'Europe stipulant, notamment, que "chaque État partie doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre ses ressortissants", qu'ils aient acquis la nationalité à la naissance ou par naturalisation. Une vingtaine de pays ont ratifié ce texte. A l’exception notable de… la France.
France : l’exception sécuritaire
Le président de la République avait tranché, le texte discuté à l’Assemblée, concerne l’ "atteinte à la vie d’une personne dépositaire d’une autorité publique" – autrement dit, les policiers, gendarmes et magistrats -, mais finalement pas la polygamie ou la pratique de l'excision. Mais, même ainsi allégé, ce texte sera une première en Europe et une interprétation pour le moins téméraire du Code civil. Son article 25 pose en effet clairement que seuls risquent d'être déchus les citoyens naturalisés condamnés pour « atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », ou ceux qui se livreraient
au profit d'un État étranger à des actes préjudiciable aux intérêts de la France.
Et il semble peu probable que de projet soit conforme à la Constitution, dont l’article 1 interdit de faire des distinctions entre les citoyens selon leur origine.
Malte : prison = déchéance
Malte est le seul pays européen à punir certains de ses criminels de droits communs issus de l'immigration par une déchéance de nationalité : tout citoyen condamné à une peine supérieure à un an de prison, dans les sept années qui suivent sa naturalisation, perd automatiquement la nationalité maltaise.
Pays-Bas : un débat repris par l'extrême-droite
Récemment modifiée, la loi sur la nationalité, qui entrera en vigueur en octobre 2010, prévoit que cette sanction, prise à la discrétion du ministère de la Justice, s'appliquera aux personnes condamnées pour avoir "nui gravement aux intérêts essentiels de l’État". Entrent dans cette catégorie : les actes de terrorisme, les crimes contre l'humanité ou contre la sécurité de l'État passibles de plus de huit ans d'emprisonnement. Mais, le leader de l'extrême-droite, Geert Wilders, fort de sa percée aux dernières élections législative, pousse à la roue pour étendre ce retrait aux "criminels musulmans" !
Grande-Bretagne, Allemagne et Belgique : espionnage et terrorisme
A l'image de bon nombre de pays européens, la déchéance de nationalité concerne avant tout les bi-nationaux engagés dans une armée étrangère sans la permission du gouvernement, ceux qui résident en permanence à l'étranger, ont fraudé lors de la procédure de naturalisation, ou les nouveaux citoyens qui refusent d'abandonner leur nationalité d'origine. C'est le cas de l'Allemagne où 50 000 nouveaux Allemands ont été déchus pour n'avoir pas respecté cette dernière règle. Autre cas de figure, rare mais emblématique, l'atteinte à la sécurité de l'État.
Quelque soit la formulation choisie – manquement grave aux "devoirs du citoyen" en Belgique, "préjudice sérieux" aux intérêts britanniques -, l'idée est la même : seuls les actes de terrorisme, d'espionnage et trahison, permettent d'envisager le retrait de la nationalité. En Grande-Bretagne, une loi ad-hoc a été votée en 2002 pour pouvoir retirer (en 2003) le passeport du religieux radical Abu Hamza al Masri, qui purge actuellement une peine de prison pour incitation au terrorisme et meurtre.
Le cas le plus récent, et le plus retentissant, est le retrait, à la mi-juillet, de la nationalité d’une espionne russe, Anna Chapman, appartenant à un réseau démantelé aux États-Unis. Autre exemple, le retrait de la nationalité belge à Mohamed R'ha, d'origine marocaine, membre d'une cellule terroriste et détenu un temps sur la base américaine de Guantanamo.