Meilleur restaurateur hongrois, Karoly Rudits réinterprète la cuisine née sur les rives du Danube. Sa célèbre crêpe hortobagyi et son paprikas krumpli lui ont valu tous les honneurs.
Si son restaurant Lou Lou a été classé parmi les meilleures tables d’Europe par le distingué Times, et élu meilleur restaurant hongrois par le grand quotidien Nepszabadsag, c’est parce que Karoly Rudits a complètement réinventé la cuisine magyare. Ce patron affable et tout en rondeurs a fait souffler un vent nouveau à Budapest et a donné à la gastronomie locale un bain de jouvence.
Au fait, la cuisine hongroise, quèsaco ? « Très difficile de répondre à cette question…, dit prudemment Rudits. C’est un melting-pot de goûts et de saveurs, car nous avons subi l’influence des Turcs, restés cinq cents ans dans la région ; puis celle des Autrichiens, pendant l’ère des Habsbourg… » Sans compter un certain ascendant français, car dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les familles aristocratiques engagèrent des chefs français.
Cette cuisine n’en possède pas moins un caractère original. « C’est un quatuor composé de quatre “basiques” : le saindoux, la viande de porc, l’oignon et le paprika. Ce sont les incontournables de la tradition magyare », explique le créateur de Lou Lou.
La vedette en est assurément le poivron, rapporté des Amériques après le voyage de Christophe Colomb, et acclimaté en Hongrie sous l’occupation turque. Il y a celui qui se consomme frais, jaune sucré ou orange fruité. Et celui qui sert à la préparation du paprika. L’épice, obtenue à base des piments carmin ou pourpre, parfume de nombreux plats. Cultivés dans les plaines ensoleillées du Sud, ces piments sèchent en guirlandes accrochées aux murs éclatants de blancheur des tanya, les petites fermes locales.
Paprika à toutes les sauces
Certains objecteront que la cuisine de la région est danubienne avant tout puisque le paprika mijote dans toutes les marmites de la région, de Vienne à Belgrade en passant par Bucarest… Bref, dans tout le bassin du Danube qui, de l’Autriche aux côtes roumaines de la mer Noire, a façonné l’identité et la culture de l’Europe centrale et orientale.
Il n’empêche que le paprika est devenu l’emblème de la Hongrie et l’acteur majeur d’une cuisine « chaleureuse et riche… mais manquant de variété », juge Karoly Rudits. Une cuisine de terroir, roborative à souhait et servie hiver comme été, même par 45 °C à l’ombre.
Il est convaincu que les Hongrois sont mûrs pour sortir de ce train-train : « Au cours des dix dernières années, ils ont voyagé et ont découvert qu’il y avait une vie après le ragoût au paprika. » Le restaurateur a donc décidé de revisiter la cuisine magyare, à la manière d’un chef d’orchestre dépoussiérant une œuvre ancienne. Il dirige une équipe de cinq personnes, dont deux cuisiniers formés par un chef français. « C’est à eux de jouer. Je crée les plats, mais ils en sont les interprètes. Je leur donne une palette de couleurs, à eux de peindre. »
Le résultat est décoiffant. Rudits a ainsi complètement relooké le traditionnel goulache, transformant cette soupe campagnarde en un plat postmoderne. De même, la crêpe hortobagyi, farcie de viande et de champignons, servie en entrée, a été transfigurée. « Cette crêpe sert généralement à la ménagère hongroise à nettoyer son frigidaire ; la crêpe est farcie aux restes de viande passée au mixer. » Chez Lou Lou, la crêpe est faite à la minute, fourrée au dernier moment de pintade sautée à la poêle et de foie frais de canard grillé, et -accompagnée d’une sauce légère.
Autre innovation : le paprikas krumpli du XXIe siècle. Ce classique ragoût de pommes de terre épicé au paprika – patates et oignons, parfois agrémentés de saucisses –, plat familial bon marché, est adoré des grands comme des petits. Karoly Rudits en a réécrit la partition. Servie dans un verre en forme de poivron, sa composition est très élaborée : une couche de mousse de pommes de terre, une de crème et, pour finir, un sabayon au paprika.
Le restaurant, situé à Pest, la ville basse, que le Danube sépare de Buda, la ville haute, offre un cadre raffiné. Rudits en a signé la décoration. À l’entrée, un délicat cheval en bois peint semble s’être échappé d’un manège de fête foraine. Un grand lustre en cristal d’Espagne fait danser les lumières. Aux murs, un ton pourpre légèrement grisé et un papier à fleurs satiné, façon Tiffany. Banquettes moelleuses mauve clair, coussins brodés dans un camaïeu de crème, de rose et de carmin… Théâtral mais pas ostentatoire. Luxueux sans être guindé. Rien de plus agréable que de se laisser cocooner chez Lou Lou, autour de la carte ou du menu dégustation (7 plats, 65 euros).
Lou Lou.
Vigyazo Ferenc utca 4, 1051 Budapest
www.loulourestaurant.com
Recette
Soupe de goulache traditionnelle
Ingrédients pour 6 personnes :
1,5 kg de paleron en gros cubes
250 g d’oignons
100 g de beurre
500 g de tomates
1 poivron
1 gousse d’ail
1 bouquet garni
1 kg de pommes de terre roseval
1 cuillère à soupe de paprika doux
250 g de crème fraîche liquide
1 citron
Sel, poivre.
Pour les csitpetke :
80 g de farine, 1 œuf, sel.
Préparation : 2 h 30
Dans une cocotte, faites blondir la viande et les oignons en rondelles avec le beurre. Saupoudrez de paprika et laissez dorer quelques minutes avant d’ajouter les tomates pelées et épépinées, le poivron découpé, l’ail épluché, le bouquet garni, sel et poivre.
Recouvrez d’eau et portez à ébullition avant de réduire le feu et de laisser mijoter 2 heures. Puis ajoutez les pommes de terre ainsi que 2 dl d’eau bouillante. Portez à ébullition puis baissez à feu doux.
Préparez les pâtes (csipetke).
Malaxez la farine, l’œuf et le sel pour faire une pâte bien ferme, que vous étendrez sur 1?mm d’épaisseur. Détachez de petits morceaux de la taille d’un ongle. Lorsque les pommes de terre sont tendres, jetez les csipetke dans la cocotte. Laissez cuire en remuant de temps en temps, jusqu’à ce que les pâtes remontent à la surface (2 à 3 minutes).Servez la goulache accompagnée d’un bol de crème fraîche mélangée avec le jus de citron.