Financement des partis politiques : la démocratie à l’épreuve
La loi sur financement des partis politiques est, en France, très stricte. Ailleurs en Europe elle est souvent plus souple. Mais, presque partout, les affaires de financements illicites, passée et présentes, sont multiples. Or, si la démocratie a un prix, encore faut-t-il savoir qui la finance sous peine de la pervertir.
Quels sont les montants des enveloppes distribuées par Liliane Bettencourt ? Quels sont les intermédiaires ? A qui ces sommes en liquide étaient destinées ? Autant de questions encore sans réponse. Les enregistrements des conversations de la richissime héritière engendrent bien des suspicions, et c’est maintenant à la justice de trancher à l’aune de la loi sur le financement des partis politiques. Cette loi est très précise, mais ici comme ailleurs en Europe, la législation est contournée et les affaires de financements illicites sont multiples.
France : une loi très stricte
Depuis 1988, la loi "relative à la transparence financière de la vie politique" fixe un cadre juridique très précis. Les dépenses électorales sont remboursées aux candidats qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages. Ces dépenses sont plafonnées et doivent être justifiées. Les formations politiques perçoivent aussi des subventions. Elles dépendent du nombre de suffrages recueillis aux législatives et du nombre de parlementaires inscrits. L'Etat a versé 73 millions d'euros en 2008, dont près de 35 millions pour l'UMP et près de 24 pour le PS.
L'aide publique est attribuée après l'examen des comptes des partis par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Ses membres sont nommés par le Premier ministre sur propositions du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.
En contrepartie de ce financement public, seuls les particuliers peuvent faire des dons aux partis politiques dans la limite de 7 500 euros par an et par personne. Depuis 1995, les personnes morales (entreprises, fondations…) ne peuvent pas financer un parti. A l'exception des partis politiques qui peuvent se faire des dons entre eux.
Pour contourner ces limitations, les politiques ont créé de nombreux « micro partis frères ». De 28 en 1990, leur nombre est passé à 255 en 2004 selon la CNCCFP. Rien n'empêche ces « partis de paille » de reverser leurs dons à un grand parti et aucun grand parti ne semble vraiment décidé à modifier la loi pour limiter ce contournement légal.
Royaume-Uni : une législation permissive
En Grande-Bretagne, la commission électorale s’avère très permissive en termes de financements des partis politiques. N’importe quel individu, entreprise, syndicat et même association caritative est autorisé à verser les sommes qu’il désire aux partis, sans aucun plafond. Les huit partis politiques ont ainsi reçu 13,46 millions de livre sterling lors du mois qu’aura officiellement duré la dernière campagne électorale.
Seule obligation, si les versements dépassent 500 livres sterling (600 euros), les donateurs doivent être inscrits sur les registres électoraux et les personnes morales doivent payer des impôts en Grande-Bretagne. Les partis ont trente jours pour déterminer leurs donateurs sont autorisés et accepter les dons. S’ils acceptent des versements non conformes à la législation, ils doivent rembourser les rembourser et, s’ils n’ont pas déclaré ces irrégularités, ils risquent, tout au plus, une amende symbolique inférieure à 5000 livres sterling.
Malgré cette quasi absence de contrôle du financement des partis politiques, un énorme scandale a ébranlé la crédibilité du parti conservateur de David Cameron en mars dernier. Lord Ashcroft, le président adjoint du parti et également son principal donateur, avec plus de dix millions de livres sterling (à l’époque 15 millions d’euros) versés entre 2000 et 2009, a reconnu ne pas payer l’intégralité de ses impôts en Grande-Bretagne comme il l’avait promis en 2000. Une enquête a donc été lancée par la commission électorale sur la légalité de ses dons et ceux réalisés via l’une de ses sociétés. Elle a rapidement conclu que ceux-ci étaient légaux, même si éthiquement l’opinion publique en a jugé différemment.
Allemagne : pas de plafond mais de la transparence
En Allemagne, les partis politiques sont d’abord financés par des subventions publiques. Celles-ci sont calculées en fonction des résultats électoraux aux scrutins européens, fédéraux et régionaux ainsi qu’en fonction du nombre de leurs membres. Cette aide publique est plafonnée à 133 millions d’euros. Les dons de personnes privées ou physiques ne sont pas plafonnés, mais il y a une obligation de transparence. Les dons de plus de 10.000 euros doivent être rendus publics dans le rapport comptable des partis, souvent publié un ou deux ans après le scrutin fédéral. A partir de 50.000 euros, les dons doivent être connus immédiatement. Les partis ont d’autres sources de revenus : les cotisations de leurs membres (c’est souvent la première source de revenus des partis), la participation des élus et les « revenus économiques » tirés de l’organisation de manifestations et même de la vente de produits dérivés. Les deux grands partis, CDU et SPD ont un budget d’environ 150 millions d’euros.
Les affaires de financements illégaux sont assez rares en Allemagne, mais elles existent. La plus connues est celle qui a frappé en 1999-2000 la CDU. On apprenait alors que sous la direction de Helmut Kohl, des comptes secrets à l’étranger permettaient des dons occultes. Plusieurs millions d’euros auraient ainsi été versé au parti chrétien-démocrate. L’affaire coûta à l’actuel ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, sa place de secrétaire général de la CDU où il fut remplacé par Angela Merkel. Plus récemment, la CDU a également été mêlée à des scandales locaux. En Rhénanie du Nord Westphalie et en Saxe, elle aurait négocié financièrement des rendez-vous avec les ministres présidents en marge de manifestations du parti. L’affaire a fait perdre sa popularité à l’ancien ministre président du Land le plus peuplé du pays, Jürgen Rüttgers qui a perdu le 9 mai dernier les élections régionales.
Espagne : pots de vin et petits « cadeaux »
En Espagne, rien n’interdit à une entreprise de faire des dons à un parti politique. Toutefois, la loi établit quelques limites à cette possibilité : les partis ne peuvent pas recevoir d’argent d’entreprises privées prestataires de service pour le compte de l’administration publique. Par ailleurs l’argent versé doit l’être sur un compte spécialement créé et destiné à ces donations. La somme maximum autorisée, tant pour les personnes physiques que juridiques, est de 100000 euros par an et les dons anonymes sont interdits.
Cette législation relativement souple, n’empêche cependant pas les scandales. Le financement occulte des partis est ainsi, depuis un an et demi, au cœur de l’actualité avec l’affaire« Gürtel ». La Justice espagnole enquête sur un système complexe de corruption destiné à financer illégalement du Parti populaire. De nombreuses entreprises bénéficiaient de contrats publics contre des pots-de-vin aux édiles du PP, principal parti d’opposition. Un réseau occulte de financement illégal et organisé, baptisé réseau Gürtel, dont l’épicentre se situerait dans la région de Valence dirigée par Francisco Camps, actuellement dans la ligne de mire de la Justice, pour avoir personnellement perçu des « petits cadeaux » de la part d’entreprises. Dernier rebondissement : début juillet c’est l’antenne locale du PP à Alicante qui est, à son tour, suspectée d’avoir touché des pots de vin. Insuffisant toutefois pour faire sortir le chef de fil de la droite, Mariano Rajoy, de son mutisme obstiné. Le principal parti de droite n’est pas le seul à être soupçonné de tremper dans des affaires de financement occulte. C’est également le cas de CiU en Catalogne, dont l’un des partis fondateurs CDC pourrait avoir, lui aussi, reçu des commissions sur la concession de travaux publics.
Finlande : difficile « glasnost »
Les principaux partis politiques finlandais ont fini par accepter l’année dernière la « glasnost » sur leurs sources de financement pour tenter de se refaire une virginité en la matière.
Plusieurs parlementaires partis avaient contourné ou violé la loi sur le financement des campagnes électorales lors des élections parlementaires de 2007. Depuis, les partis doivent publier leurs comptes chaque année. Mais cela n’a pas suffit. Des responsables politiques, ont, de nouveau, été pris la main dans le sac du financement illégal.
La sanction populaire a été immédiate : la crédibilité des personnalités politiques était, dans les sondages, en chute libre et pour la Présidente de la République, Tarja Halonen, l’image internationale de la Finlande « était ternie ».
Résultat, tous les partis se sont depuis, de nouveau, officiellement engagés à respecter enfin la loi en publiant leurs comptes dans les moindres détails.
Il était temps, car après avoir figuré pendant plusieurs années à la première place de l’Indice de perception de la corruption de Transparency International (CPI), la Finlande a reculé à la cinquième place, en raison du secret entourant le financement de la politique. Le Groupe des Etats contre la corruption (GRECO), sous l’égide du Conseil de l’Europe, a également publié un rapport très critique à ce sujet.