De Bruxelles à Athènes en passant par Venise, Amsterdam ou Munich, pas moins d’une dizaine de nouveaux musées ont ouvert leurs portes ces derniers mois en Europe. Un feu d’artifice qui n’est pas exempt d’arrière-pensées économiques ou politiques. Décryptage.
Prévue à la fin de l’année, l’ouverture de MAXXI, le nouveau musée romain dédié à l’art du XXIe siècle n’accueillera ses premiers visiteurs que le 30 mai prochain (*). Mais que les amateurs d’œuvres contemporaines se rassurent : depuis juin dernier, ils ont le loisir d’arpenter à Venise les salles de la « Pointe de la Douane », un ancien entrepôt entièrement rénové avec vue sur la place Saint-Marc où est exposée la collection privée de François Pinault. A Munich le musée Brandhorst a été inauguré il y a moins d’un an. Il abrite des chefs d’œuvres des grands maîtres du XXe siècle (Sigmar Polke, Andy Warhol, Bruce Naumann). A Bruxelles, c’est Magritte qui est à l’affiche. Un musée rassemblant les œuvres du peintre surréaliste a, lui aussi, été ouvert l’année dernière.
Les aficionados de l’art moderne ne sont d’ailleurs pas les seuls courtisés : le célèbre musée de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg a créé récemment une « succursale » à Amsterdam tandis qu’après dix ans de gestation et deux ans de retard sur le calendrier initial, Athènes vient de s’offrir une nouvelle vitrine : le musée de l’Acropole, centré sur l’archéologie.
Multinationales culturelles
Cette liste conséquente est loin d’être exhaustive. Une dizaine de musées, de dimension internationale, ont ainsi ouvert leurs portes en Europe depuis un an, confirmant une tendance déjà à l’œuvre depuis quelques années. « Et ces chiffres ne tiennent pas compte des ouvertures d’espaces d’expositions de dimension nationales ou régionales », met en avant Rémi Labrusse professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Picardie et intervenant du séminaire Arts et société de Sciences Po. « La création de nouveaux musées est un phénomène mondial qui va de pair avec la mondialisation, remarque le spécialiste. Les musées sont devenus de véritables « multinationales culturelles ». Comme dans l’industrie ou les services, ils sont dépositaires d’une « marque » qui agit comme un aimant sur les consommateurs. »
Le premier à avoir compris cette mutation est le musée Guggenheim de New York qui a créé il y a plus de dix ans des « filiales », de Bilbao à Venise et, plus récemment, à Berlin. Comme nombre d’institutions, il dispose de richesses considérables. Or, en moyenne, les grands musées n’exposent seulement 10 % de leurs fonds. L’ouverture de succursales leur permet ainsi de valoriser leurs collections et de renforcer leur notoriété. Et nombre de villes se pressent pour faire partie des heureuses élues.
Attraction touristique
La crise économique risque d’obliger certaines collectivités à revoir leurs ambitions à la baisse, mais il est fort à parier que cette pause ne sera que temporaire. « L’implantation d’un musée de notoriété internationale rehausse leur prestige et accroît leur pouvoir d’attraction touristique dans une société où les loisirs occupent une place de plus en plus importante », précise Rémi Labrusse. Pour des raisons similaires, des cités comme Venise, n’hésitent pas à faire les yeux doux aux collectionneurs privés, soucieux de trouver un lieu pour dévoiler leurs trésors. Surtout quand leur collection possède une véritable aura, comme celle de François Pinault.
Si les grandes métropoles sont les premières à avoir saisi les perches lancées par les grandes institutions internationales, elles ne sont plus les seules. Metz inaugure le 12 mai (**) une « succursale » du Centre Georges Pompidou quand Lens ouvrira un « Louvre Bis » exposant des œuvres provenant du fonds de l’institution parisienne à partir de 2012. « Certains musées choisissent de jouer la carte de l’aménagement du territoire.
D’autres ont toutefois des visées plus mercantiles. En s’implantant à Amsterdam, l’Hermitage ne vise pas à renforcer l’image de la ville qui a déjà un fort pouvoir d’attraction. Il s’agit plutôt d’inciter le flot de touristes déjà présents à visiter le musée. Pour l’Hermitage, qui récupère une partie des recettes, c’est un moyen de pallier l’insuffisance des financements accordés par l’Etat russe ».
Enjeux politiques
Aux batailles économiques s’ajoutent les enjeux politiques. Pour Rémi Labrusse, c’est dans cette direction qu’il convient avant tout de rechercher les raisons de l’ouverture en 2009 de quatre nouveaux musées en Belgique. « Dans ce pays menacé d’éclatement en raison des tensions entre les communautés wallonne et flamande, la création de musées est utilisée pour promouvoir une identité nationale ». En s’appuyant sur Magritte, un artiste de notoriété internationale ou sur Hergé, le « père de la BD » objet d’un véritable culte au-delà des frontières, les initiateurs de ces deux nouveaux espaces d’expositions ont voulu capitaliser sur ces fleurons d’une culture commune, partagée par l’ensemble des Belges.
Les arrière-pensées politiques ont également joué un rôle majeur dans la création du nouveau musée de l’Acropole, à Athènes. Le dernier étage de ce bâtiment qui en comporte trois est pour le moment vide. En attendant l’arrivée de la frise orientale du Parthénon, qui se trouve actuellement au British Museum de Londres et dont la Grèce réclame en vain le retour depuis plusieurs années. « Les Grecs entendent utiliser ce musée pour faire pression et couper l’herbe sous le pied des Britanniques qui expliquent qu’Athènes ne disposait pas jusqu’à présent de lieux pour recevoir ces marbres, appartenant au patrimoine européen et mondial », indique le chercheur, toutefois septique sur la capacité d’Athènes d’atteindre son objectif alors que le pays est en quasi-banqueroute. En dépit des 130 millions d’euros déjà engloutis pour construire ce bâtiment…