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Ces Etats que l’Eglise bénit

dimanche, 10 octobre, 2010 - 19:19

L’Espagne, l’Italie et la Pologne, Etats les plus catholiques d’Europe, ont bien du mal à se défaire de l’emprise de l’Eglise catholique. L’Allemagne semble mieux respecter la diversité des religions, à l'exception notable de l’Islam.

"Cochez cette case, et l’Etat reversera 0,7% de vos impôts sur le revenu à l’Eglise catholique". Alors qu’il ne reste que quelques jours aux Espagnols pour remplir leur déclaration d’impôts, ils pourront décider de reverser une partie de ce qu’ils doivent à l’Etat à l’Eglise catholique.

Ceci malgré la laïcité de l’Etat inscrite dans la Constitution. Les accords de 1979 entre Etat et Saint-Siège confèrent, en réalité, à l’Eglise certains privilèges uniques, comme cette possibilité offerte au contribuable de reverser une partie de ses impôts à l’institution. Il peut aussi, s’il le souhaite, reverser ces 0,7% à des “œuvres sociales”, c’est-à-dire, des organisations non gouvernementales ou autres fondations, dont certaines sont gérées par l’Eglise catholique. Celle-ci jouit donc doublement de la générosité des Espagnols. Voir triplement, si l’on prend en compte le fait que l’État joue ici le rôle d’agence de recouvrement de l’Eglise, "ce qui coûte très cher", rappelle Alfonso Pérez-Agote, professeur de Sociologie de l’Université Complutense de Madrid. Toutefois, en Espagne, l’Eglise paye depuis récemment l’impôt sur le revenu, ce qui n’est pas le cas de l’Eglise italienne, exonérée d’impôts dans un pays pourtant lui aussi constitutionnellement laïc !

Et pour inciter les citoyens à cocher la fameuse petite case, l’Eglise espagnole diffuse des spots pour inviter les catholiques à verser leurs deniers du culte sur les chaînes de télévision publique. Ceci a généré un débat puisque seules les communications d’ONG peuvent être diffusées sur les chaînes publiques depuis que la publicité n’y est plus au programme.

L’Italie sous influence

L’Eglise, dont l’unique voix en Espagne est la Conférence épiscopale, alors qu’en France, chaque évêque peut s’exprimer, est néanmoins championne de la communication. Outre ses nombreuses "déclarations", très politiques, elle ne lésine pas sur la distribution de tracts et autres supports publicitaires parfois provocateurs, comme ce fut le cas pour sa lutte contre la réforme de la loi sur l’avortement, fin 2009. Elle a ainsi mobilisé les foules pour s’opposer à ce "permis de tuer". Elle s’est également opposée au mariage homosexuel, légalisé par le Gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero en 2005. Pour le sociologue

Ces campagnes publicitaires ont été copiées sur celles qui sont diffusées en Italie

Dans ce pays, où l’influence de l’Eglise est comparable, le Vatican intervient en permanence dans la vie publique et politique. Au nom du "respect de l’autorité de l’Eglise" les Italiens ont voté la loi sur l'interdiction de suspendre l'alimentation et l'hydratation artificielle. Pour la même raison, la loi sur le testament biologique reste dans un tiroir au Parlement et le gouvernement bloque, quant à lui, la loi sur l'avortement.

En Espagne comme en Italie, la hiérarchie catholique a, par ailleurs, fait du contrôle des jeunes âmes une priorité absolue. Selon le professeur Pérez-Agote, aujourd’hui, "la Conférence épiscopale espagnole a deux grands désirs : posséder une chaîne de télévision et s’imposer en matière d’éducation". Sur ce dernier point, c’est déjà le cas : l’épiscopat gère avec ses propres établissements scolaires qui profitent de la mauvaise réputation de l’enseignement public.

L’Espagne se laïcise

Cette volonté hégémonique sur l’éducation s’explique sans doute par la perte d’influence réelle de la religion catholique sur la société espagnole. Si près de 80% de la population espagnole se définissait encore comme catholique en 2002, seuls 14,6% d’entre eux se rendaient à l’Eglise une fois par semaine contre 68% en 1973. Les jeunes sont, quant à eux, de moins en moins impliqués dans la vie religieuse et de plus en plus ignorants de ses préceptes, selon les conclusions d’une étude menée par Pérez-Agote. Une autre étude récente de l’Insee espagnol (INE) met en exergue que, pour la première fois en 2009, le nombre de mariages civils a dépassé celui des mariages religieux.

L’influence politique de l’Eglise catholique, en contradiction avec son poids réel dans les esprits espagnols, tient en fait aux élites, selon Alfonso Pérez-Agote, à travers de réseaux d’influence puissants comme l’Opus Dei ou les Légionnaires du Christ, qui comptent des représentants parmi les couches les plus riches de la population espagnole.

L'Allemagne toujours divisée

A l’opposé des modèles espagnol et italien, l’Allemagne… Pourtant, comme dans les deux pays du Sud de l’Europe, la république fédérale d’Allemagne ne reconnaît aucune religion d’Etat. Elle n’est toutefois pas pour autant un pays laïc au sens français. La religion n’est pas une affaire privée outre-Rhin, c’est une affaire publique. Les différentes religions sont d’ailleurs reconnues comme des entités publiques par l’Etat. Concrètement, lorsqu’un citoyen s’installe dans une commune, il doit, lors de son enregistrement officiel (Anmeldung), préciser son appartenance à une religion. Les représentants locaux de cette religion valident cette appartenance. Cela donne un droit et un devoir : le droit de participaticper aux cultes et aux rites… et le devoir de payer l’impôt religieux, ou Kirchensteuer, qui est collecté par les services administratifs de l’Etat fédéral et redistribué ensuite aux Eglises. Il est évidemment toujours possible de cesser de payer cet impôt, mais cela implique l’exclusion de la communauté religieuse concernée. Un jugement récent l’a confirmé.

Le poids des Eglises dans la société et la politique allemande reste important. Les grandes réunions épiscopales ou protestantes accueillent souvent des membres du gouvernement qui viennent rappeler l’importance de la religion dans la société. En réalité, les religions, comme les syndicats ou les unions patronales, sont perçues comme des éléments représentatifs du corps social. Les revenus de l’impôt religieux, qui procure chaque année environ 5 milliards d’euros à l’Eglise catholique et 4,5 milliards d’euros aux cultes protestants, font des corps religieux de puissants acteurs économiques. Nombre de maisons de retraites ou de soins, de services d’urgence, de services sociaux sont dirigés par des Eglises qui sont, globalement, un des principaux employeurs du pays.

Évidemment, cette présence ne va pas sans quelques grincements de dents. Le poids de l’Islam, notamment au sein de la très nombreuse communauté turque, est souvent mal accepté par les "anciennes religions". L’Allemagne a ainsi connu également une querelle sur la présence du foulard à l’école. Il est actuellement interdit dans les classes dans 7 Länder sur 16.

Mais la Bavière, qui a interdit le foulard, s’est battue pour maintenir la présence de crucifix dans ses salles de classe. En 1995, un jugement a obligé la Bavière à ôter le crucifix lorsque ce dernier pouvait choquer des élèves. Mais dans les faits, les crucifix restent la norme dans les écoles bavaroises. De plus, aucune structure musulmane n’est reconnue par l’Etat et il n’existe pas d’impôt religieux musulman. Beaucoup de Länder refusent encore d’intégrer l’enseignement de l’Islam dans le cursus scolaire, comme c’est le cas pour les cultes catholiques, protestants ou juifs.

Enfin, la division Est-Ouest joue encore un rôle. Dans les villes de l’ex-RDA, la laïcisation est souvent très forte. Ainsi, en 2009 à Berlin, les habitants du Land de la capitale étaient amenés à se prononcer sur un projet de l’association Pro Reli qui désirait supprimer le cours d’éthique, mélange d’instruction civique et d’histoire des religions, dans les écoles de la ville où l’enseignement religieux est facultatif et venant en complément de celui de l’éthique. Faute de quorum, l’initiative a échoué, mais le résultat des votes était exactement inverse de part et d’autre de l’ancien tracé du mur de Berlin. A l’ouest, l’initiative de Pro Reli avait recueilli jusqu’à 69 % de "oui", tandis qu’à l’Est, on trouvait jusqu’à 75 % de "non".

La Pologne vote après la messe

Crucifix dans bon nombre d’écoles publiques, une chapelle à la Diète et dans le palais présidentiel, la note de catéchèse comptée dans la moyenne, la religion au bac, sous l’oeil méfiant d’une Eglise catholique très puissante et influente… La messe est-elle dite dans une Pologne où l’alliance du trône et de l’autel est, pour certains, un fait ?

"La Pologne est un État laïque" – a déclaré le 15 avril Bronislaw Komorowski, le Président de la Diète polonaise, conservateur croyant candidat à la présidentielle dont le deuxième tour se tiendra le 4 juillet et qui, d’après les sondages, lui donnera la victoire. Ceux qui se battent tous les jours en Pologne pour le respect du principe constitutionnel de neutralité de l’Etat ont longtemps attendu ces paroles. Mais ces défenseurs du principe d’un État neutre ne manqueront pas d’insister sur son application alors que ce principe est jusqu’à présent resté ouvertement ignoré : loi anti-avortement, enseignement religieux dans les écoles, protection du sentiment religieux ou encore projet de loi sur l’interdiction de fécondation in vitro, en témoignent.

En effet, même si la Constitution garde l’apparence d’une loi garantissant un Etat neutre en Pologne, les autres lois et surtout le Concordat mènent à la négation des principes fondamentaux de laïcité. L’Etat polonais finance largement les activités religieuses des Eglises, et, ce n’est pas une surprise, surtout celles de l’Eglise catholique. La présence des symboles et des pratiques religieuses ostentatoires dans les institutions publiques n’est donc qu’un exemple de ce que certains appellent les "abus" d’une Eglise catholique. Conformément aux lois particulières, l’Etat finance totalement de nombreuses universités et académies catholiques ou théologiques privées et des facultés théologiques (ex-facultés religieuses privées) dans les universités publiques.

L’emprise de l’Eglise sur la vie publique en Pologne reste donc un fait indiscutable et, pour la gauche progressiste, à discuter. Dernier exemple : au premier tour de la présidentielle, qui a eu lieu le 20 juin, à peine un Polonais sur deux s’est rendu aux urnes. Vers dix heures du matin, les locaux électoraux commençaient seulement à se remplir. "On attend la deuxième vague", disait un membre de la commission électorale, arguant que les électeurs viendront plus nombreux après la deuxième messe du matin. Sachant que dans bon nombre d’Eglises, le curé n’a pas manqué de suggérer plus ou moins ouvertement aux fidèles quel sera le candidat sacré.       

 


 

Le crucifix fait école

La laïcité est inscrite dans la constitution italienne mais elle n'est pas appliquée dans les écoles laïques. Ainsi, un décret impose la présence d’un crucifix et d’un portrait du roi Victor Emmanuel dans tous les lieux publics. Plusieurs tentatives ont été faites pour le faire retirer, notamment par un couple de parents qui s'étaient retournés vers la Cour de Justice Européenne après avoir épuisé tous les recours en Italie. Malgré leur victoire, rien n'a changé et l'Italie s'est pourvue en appel.

En Espagne aussi le crucifix fait débat, notamment en ce qui concerne son maintien dans les écoles publiques. Dans la réforme sur la liberté religieuse que le Gouvernement est en train d’étudier, il est question, outre de ne plus célébrer les funérailles d’Etat à l’Eglise, de retirer les symboles religieux des lieux publics. L’épiscopat espagnol dénonçait jeudi 24 juin, la "persécution" dont la religion fait l’objet et appelle à préserver la culture en continuant à accrocher des crucifix dans les écoles publiques.


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