En avouant que la France et l'Allemagne savaient que la crise grecque était inéluctable, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Junker, a mis le feu aux poudres en Grèce où l'on accuse Paris et Berlin d'avoir préféré garder le silence pour préserver les investissements de leurs pays.
Les Grecs se sentent trahis par la France et l'Allemagne. Le Premier ministre luxembourgeois, également chef de file des ministres des Finances de la zone euro, Jean-Claude Juncker, a affirmé vendredi dernier à Washington que les Européens "savaient" qu'un jour la Grèce serait confrontée à la crise budgétaire qui l'a frappée au début de l'année. Or, "La crise grecque aurait pu être évitée, mais pas en s'y prenant l'année dernière, en s'y prenant il y a deux ou trois décennies", a-t-il ajouté lors d'une conférence en marge de l'assemblée annuelle du Fonds monétaire international.
Il était évident qu'un jour la Grèce devrait affronter ce genre de problème, et je savais que ce problème arriverait, parce que nous en discutions, les Allemands, les Français, le président Jean-Claude Trichet à la BCE, la Commission européenne et moi-même.
Il explique son silence :
Je savais que la France et l'Allemagne gagnaient beaucoup d'argent avec (…) leurs exportations vers la Grèce [et] je ne pouvais pas rendre public ce que je savais
Pour la presse hellénique les intérêts des entreprises allemandes et françaises en Grèce ont également pesé lourd dans ce pacte du silence franco-allemand. Révéler que la Grèce était financièrement à la dérive les aurait menacé en engendrant une crise de confiance prématurée dans l'économie grecque.
Cet aveu public a ainsi mis le feu aux poudres en Grèce où l'on assiste en catastrophe à la vente massive d'entreprises publiques à des investisseurs étrangers pour renflouer les caisses de l'Etat. Les Chinois sont sur les rangs, mais ils débarquent après les Allemands et les Français.
Or le premier investisseur étranger est l'Allemagne. Elle a fait main basse sur une partie des télécoms et sur l'aéroport international d'Athènes avec la concession des droits pour trente ans au groupe allemand Hochtief. La France est deuxième, avec le rachat de plusieurs banques en 2006.
La compagnie nationale aérienne Olympic a, quant à elle, été vendue l’an dernier à la société arabo-grecque Marfin et le Qatar, qui a déjà investi dans une usine de gaz naturel dans le port d'Astakos (Péloponnèse), vient de prendre le contrôle des plus grands chantiers navals du pays à Skaramanga (Attique). Ils ont également fait une offre d’achat pour l’emplacement de l’ancien aéroport, situé en bord de mer, prévu pour devenir un parc et qui deviendra plus sûrement un casino.
Après Cohn-Bendit
Cette confession de Jean-Claude Junker rappelle l’accusation portée en mai dernier, lors d’un débat au Parlement européen, par Daniel Cohn-Bendit, accusant la France et l’Allemagne de chantage, en conditionnant l’aide à la Grèce au maintien de contrat d’armes :
Dernièrement, M. Papandréou, qui était au sommet de l'Otan, est passé par Paris. A Paris, il y a un certain Monsieur Fillon et un certain Monsieur Sarkozy. (…) Il les a rencontrés. Messieurs Fillon et Sarkozy ont dit à Monsieur Papandréou : "Nous allons lever des sommes pour vous aider, mais vous devez continuer à payer les contrats d'armement qu'on a avec vous, signés par le gouvernement Caramanlis. Depuis ces trois mois, il y a eu plusieurs milliards de contrats d'armement qu'on a obligé la Grèce à confirmer. Des frégates françaises – 2,5 milliards – que doivent acheter les Grecs; il y a des hélicoptères, il y a des avions, il y a des sous-marins allemands. Que la France publie tous les contrats d'armes avec la Grèce. La même chose pour l'Allemagne".
"De basses polémiques dénuées de tout fondement", avait-on alors répondu à Matignon.
Dérives nationalistes
Last but not least, Jean-Claude Junker, décidemment en veine de transparence, a également rapporté avoir tenté de soulever le problème auprès d'un Premier ministre grec qui lui aurait répondu :
Je gouverne un pays où la corruption est reine.
La presse grecque tente de décrypter quel premier ministre était en cause, Le présent Georges Papandréou, l’ancien premier ministre conservateur, Kostas Karamanlis ou encore, le précédent, Kostas Simitis ?
Ces révélations successives alimentent les risques de dérives nationalistes qui alourdissent le climat social et politique à l’approche des élections régionales.