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La princesse sans nom

jeudi, 21 octobre, 2010 - 18:08

Une citoyenne adoptée par un aristocrate allemand veut prendre son nom de famille, Vienne refuse. Titres de noblesse et particules sont interdits en Autriche!

Si la noblesse a été abolie en France en 1789, l'Autriche n'a suivi l'exemple tricolore qu'en 1919. Bien plus tard donc, mais de manière plus radicale ! Dans ce pays de la Mitteleuropa on a fait du passé, table rase. La constitution interdit aux citoyens autrichiens non seulement de porter le moindre titre de noblesse, mais même d’utiliser des particules telles que “von” ou “zu” en tant qu’élément de leur patronyme. Finis les "Fürst" (Prince), les "Freiherr" (Baron), les "Herzog" (Duc), les "Graf" (Comte) ou les "Ritter" (Chevalier).

Ce qui est très fâcheux pour dame Ilonka Kerekes. Cette Autrichienne s’est fait adoptée en 1991 – à l’âge de 47 ans – par un noble citoyen allemand répondant au simple nom de Lothar Fürst von Sayn-Wittgenstein. Cette adoption comprenant ce patronyme à rallonge, selon les registres officiels allemands.

Les ennuis ont commencé en 2000, quand elle a demandé à l’Autriche d’actualiser son acte de naissance. Déboutée de sa demande à cause notamment du “von”, elle n’a plus droit au renouvellement de son passeport. Or si Ilonka Fürst von Sayn-Wittgenstein se donne des airs de princesse ce n'est pas seulement par fidélité à son illustre parrain : depuis plus de quinze ans, elle s'est spécialisée dans l’immobilier de prestige. Mieux vaut, dés lors, avoir une carte de visite au nom d’Ilonka Fürstin von Sayn-Wittgenstein pour vendre des châteaux et des manoirs en Allemagne comme en Autriche.

Abolition des privilèges

Mécontente de la décision autrichienne, elle a porté l’affaire devant la Cour européenne de Justice. Jeudi 14 octobre, la Cour a rendu ses conclusions qui feront jurisprudence ! Selon Eleanor Sharpston, avocate générale, il y a d’abord les faits :

Cette citoyenne autrichienne s’est vue délivrer un permis de conduire en Allemagne. Elle y possède une société, immatriculée au registre du commerce, toujours sous le nom d’Ilonka Fürstin von Sayn-Wittgenstein. Il est plausible qu’elle a dû se faire enregistrer par les autorités allemandes en tant que résident étranger. Il est probable qu’elle soit affiliée à des organismes allemands de sécurité sociale. Elle aura sans doute ouvert des comptes bancaires en Allemagne et y aura conclu des contrats qui se poursuivent encore, tels que des contrats d’assurance. Elle aura vécu pendant une longue période dans un État membre sous un nom bien précis, qui aura laissé de nombreuses traces formelles tant dans la sphère publique et privée.

Cette plaidoirie n'a pas convaincu l’avocate générale, qui a estimé que

Les règles au rang constitutionnel dans un État membre qui repose sur des considérations fondamentales d’ordre public telles que l’égalité entre les citoyens et l’abolition des privilèges, peut justifier l’interdiction de l’acquisition par les citoyens de cet État de titres de noblesse ou de marques de rang susceptibles de faire croire à autrui que la personne en cause est titulaire d’une telle dignité.

Cependant, noblesse oblige, l'administration autrichienne doit respecter le principe de proportionnalité à l'égard d'Ilonka Kerekes. Sharpston estime qu'il faut permettre qu'un Autrichien puisse être légalement connu dans les autres pays de l'UE sous un autre nom qui ne serait pas autorisé par la loi autrichienne.

Europe républicaine et monarchique

En Europe, les pays qui ont pour régime une royauté ont conservé leur noblesse et la faculté pour le souverain de créer de nouveaux titres. Par exemple, en Espagne, Juan Carlos 1er octroie des titres de Duc aux premiers ministres. Encore faut-il que ceux-ci l’acceptent. Mais, sauf au Royaume-Uni, les titres nobiliaires dans les monarchies parlementaires ne donnent lieu à aucun avantage. Ces distinctions sont donc symboliques en Belgique, en Suède, aux Pays-Bas, en Norvège, en Espagne ou au Danemark.

A part l’Autriche, les Républiques, comme en France, ont aboli l’attribution de titres de noblesse héréditaires sans gommer cependant ceux qui existaient déjà. Ceci dit, les pays ayant connu un régime communiste, tels que la Bulgarie, la Slovénie, les pays baltes ou la République tchèque ne reconnaissent plus aucune distinction nobiliaire. Cela n’empêche pas toutes ces Républiques de créer des "substituts" : Légion d’Honneur en France, l’Ordre du Mérite en Italie, la Médaille Nationale du Mérite en Roumanie ou l’Ordre de l’Aigle Blanc en Pologne.

Nombreux sont les États européens qui interdisent l’utilisation de titres de noblesse sur la carte d’identité. Comme l’Autriche, l’Allemagne, la Finlande ou encore la plupart des pays de l’ancien bloc soviétique. En revanche, dans des Républiques telles qu’en France, en Irlande ou au Portugal, il est parfaitement légal d’apposer sur les documents administratifs les titres nobiliaires.
 


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