Les consultations médicales par internet sont légalisées en France. La télémédecine se mettra en place début 2011. La France a un train de retard sur ses voisins européens.
La médecine en France fait, à son tour, sa révolution numérique. Le médecin pourra bientôt consulter à plusieurs kilomètres de distance par le biais d'internet. Les décrets d'application de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) viennent d'être publiés: une webcam ou un mail, quelques clics et le tour est joué, le diagnostic établi. Une ordonnance pourra même être envoyée par mail ou par courrier au patient ou à la pharmacie.
Mais pas dans tous les cas et pas par tous les médecins. "Les agences régionales de santé autoriseront les projets en tenant compte des besoins de la population, en concertation avec les professionnels de santé, les élus et l'assurance maladie", explique Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. L’objectif est de désenclaver les déserts médicaux. Bref, martèle Roselyne Bachelot,
la télémédecine, ce n'est pas LA solution, mais UNE solution pour résoudre, par exemple, le problème de la démographie médicale
La téléconsultation devra néanmoins être précédée ou suivie d'un examen. Le remboursement de ces consultations pourrait aussi varier en fonction de l'offre médicale sur le territoire. Ainsi, le tarif – non encore fixé mais probablement à hauteur d'une visite classique de 22 euros en secteur conventionné – serait mieux pris en charge là où la densité de l'offre médicale est moindre.
Danemark, le pionnier
La France est loin d'être en pointe. Le Danemark et les autres pays nordiques sont les pionniers européens de la télésanté, aussi bien pour faciliter le maintien au domicile que pour optimiser les soins en milieu hospitalier.
Le sud du Danemark a été une région expérimentale dès le début des années 90 autour de l’hôpital universitaire de Funen. Les zones rurales isolées, où réside une population de plus en plus âgée et où il y a un manque de médecins, sont particulièrement concernées par la télémédecine. Un réseau de télésurveillance au domicile des malades a été mis en place, notamment pour le suivi des patients en insuffisance cardiaque et en insuffisance respiratoire.
À l’initiative du gouvernement central et de comtés, MedCom, un réseau d’échange de données informatisées a été créé en 1994 afin de permettre la transmission électronique des prescriptions ou des résultats d’analyses. Ce projet a donné lieu au réseau national de données de santé. Douze millions de couronnes (environ 1,8 million d’euros) sont allouées chaque année à MedCom, notamment pour le développement d’internet et du dossier électronique du patient. La couverture du réseau est très large : selon MedCom, elle concerne 100% des pharmacies, 92% des médecins généralistes et 48 % des médecins spécialistes.
Belgique, priorité aux cardiaques
En Belgique, le système Belgium Heart Failure a pour objectif de suivre les patients souffrant d’insuffisance cardiaque, cette pathologie étant de plus en plus fréquente du fait du vieillissement de la population. Avec ce système, le médecin traitant dispose d’un nouvel outil de surveillance : La tension des patients est mesurée, à domicile, grâce à un tensiomètre spécifique qui envoie les informations par Bluetooth à un téléphone mobile et l’information est consultable ensuite avec le numéro d’identification du patient. Par ailleurs, des projets de télémédecine permettant le suivi de l’hypertension ou de diabète sont également déployés en Belgique.
Espagne: autonomie des régions
Les projets de télémédecine sont développés en Espagne au niveau des communautés autonomes (le système de santé est régionalisé depuis 2000) : téléradiologie en Catalogne (support diagnostic aux médecins des hôpitaux), système intégral de télémédecine en Andalousie (32 sites hospitaliers), télémédecine en milieu rural en Castille, dans la Mancha ou encore la Galice.
Des agences d’évaluation existent également au niveau des communautés autonomes. Ainsi, l’agence d’évaluation des technologies de santé du Pays basque (Osteba) a mené, fin 2008, une étude sur l’utilisation des télésoins à domicile pour le suivi des patients atteints d’insuffisance cardiaque et de maladie pulmonaire obstructive chronique. Les résultats sont en cours d’analyse.
Le projet Interlife, développé dans la région de Valence, a pour objectif d’améliorer la qualité des soins à domicile des patients souffrant notamment d’insuffisance cardiaque chronique. Les paramètres physiologiques de la personne âgée sont relevés et envoyés à un centre de santé à travers la plate-forme Interlife, qui gère le télémonitoring en continu.
Enfin, le centre de téléradiologie créé à Barcelone en 2002 est le plus grand centre en Europe et interprète des examens radiologiques transférés des hôpitaux d’autres pays européens.
Portugal: un développement rapide
La télémédecine a fait son apparition dès 1995 au Portugal. La pratique s'est particulièrement développée ces dernières années avec l’efficacité des moyens mis en place et le nombre croissant de patients y ayant recours. Dans la région Alentejo, le réseau de télémédecine est en place depuis 1998 et a bénéficié d'une aide de 312 millions d’euros pour un investissement global de 416 millions. En 2008, 20 plateformes de télémédecine étaient opérationnelles dans cette région et en 2009 un nouveau dossier d’aide a été déposé auprès de l’Union européenne pour un élargissement du réseau. En 2008, 76.000 diagnostics avaient déjà été réalisés à distance par le biais de la télémédecine.
Italie: la Vénétie en pointe
Les premières expérimentations préfigurant la télésanté ont commencé, en Italie, dans les années 80, avec la transmission d’électrocardiogramme. Depuis, de nombreux projets ont été développés, au départ à l’initiative des organismes de recherche.
Dans la région Frioul-Vénétie Julienne, par exemple, des projets de téléassistance et télémédecine sont déployés afin d’améliorer la continuité des soins entre l’hôpital Ospedali Riuniti de Trieste et le domicile. La démarche repose sur un portail socio-sanitaire, le dossier médical électronique, un service de télésurveillance et des dispositifs de télémédecine à domicile.
La Vénétie, en s'inspirant de l'exemple du Funen au Danemark, a expérimenté pendant deux ans le projet qui met en réseau des établissements de santé pour éviter aux malades des déplacements inutiles et coûteux. Dans cette région, un système de consultations neurologiques à distance, reliant les hôpitaux secondaires aux services spécialisés, a évité 79 % des transferts en ambulance ou en hélicoptère vers le bloc opératoire de neurochirurgie, au profit d’une mise en observation à l’hôpital secondaire. Par ailleurs, grâce à une application de télélaboratoire, le temps d’obtention des résultats a été ramené de près de vingt-quatre heures à moins de dix minutes.
La cardiologie est un des secteurs les plus concernés en Italie. A Rome les hôpitaux San Camillo et San Giovanni peuvent mettre les patients sous monitorage à distance, notamment grâce à des machines installées dans les ambulances.
"Il n’y pas une vision unique et les tarifs changent de région en région", explique Raffaele Bernardini, directeur de Telemeditalia, magazine spécialisé en technologie et santé. "La procédure pour harmoniser l’utilisation de la télémédecine sera longue et compliquée".
Royaume-Uni: partenariat avec le privé
Des mois d’attente pour un scanner ou une radio : c’était la réalité au Royaume-Uni jusqu’à l’arrivée de Tony Blair au pouvoir en 1997. Le chef du New Labour, qui a décidé de rénover un système de santé britannique laminé par les années Thatcher, a doublé le budget du National Health Service entre 1997 et 2005 et a délégué certaines activités au privé. Exemple : pour désengorger les hôpitaux, au début des années 2000, une entreprise anglaise privée a commencé à sillonner l’Angleterre avec des unités de radiologie mobile. Il suffit aux habitants des petits villages de monter dans le camion pour passer une radio. Les clichés numérisés sont aussitôt envoyés par satellite en Hongrie. A 2000 kilomètres de là, les radiologues magyars interprètent les images sur leur écran puis envoient leur compte-rendu en anglais.
En matière de télémédecine, l’expérience menée par l’infirmerie royale d’Aberdeen (ARI) paraît particulièrement évocatrice. Cette "infirmerie" écossaise est, en fait, un hôpital universitaire de 1000 lits, dont dépendent les 500 000 habitants de la région dont 35% en zone rurale – ainsi que les plates-formes pétrolières en Mer du Nord. Depuis janvier 2008, l’ARI mène une évaluation scientifique du prototype HealthPresence, une plate-forme de communication qui permet une consultation médicale (soins primaires ou spécialisés) alors que le patient et son docteur sont sur des sites distants.
Hongrie: radiologues sous-traitants
En Hongrie, des centaines de radiologues travaillent à distance pour des hôpitaux ou des prestataires de services en Angleterre ou en Espagne. La télémédecine est une réalité qu’ils vivent au quotidien. Ces spécialistes reçoivent les clichés par mail, les interprètent sur leur écran et les renvoient par Internet. Un système qui fonctionne aussi à l’intérieur du pays : les médecins radiologues de Kaposvar, grande ville au centre du pays, font du diagnostic à distance pour des petits hôpitaux hongrois démunis de spécialistes.
De fait, c’est la numérisation des données qui a tout changé. Le docteur Gabor Forrai qui dirige le plus grand service de radiologie du pays à Budapest, se sert tout le temps d’internet. Dans le train ou même en voiture, grâce à son ordinateur portable et son téléphone mobile, il se connecte au réseau de son hôpital.
Je peux ainsi analyser un scanner ou un IRM à distance et en urgence. Mais pas une mammographie, qui demande un écran à très haute définition", précise-t-il.
Ce système offre, dans un certain sens, plus de sécurité au malade. S’il a du mal à interpréter une radio, un généraliste peut envoyer le cliché à un spécialiste, qu’il soit à 40 kilomètres ou à l’étranger. L’ère numérique a aussi apporté un autre avantage : l’on peut stocker et archiver toutes les radios d’un patient – qui illustrent son "histoire médicale" – sur un seul fichier numérique.