L’épouse du président Turc participe, foulard sur la tête, à la garden party donnée à l’occasion de la fête nationale. L'opposition dénonce cet affront à la République laïque. Cacophonie aussi dans les universités: les unes autorisent le port du foulard, d’autres respectent son interdiction officielle.
A la veille de la fête nationale, le foulard d’Hayrunnisa Gül fait de nouveau tourner les têtes en Turquie. La première dame du pays participera vendredi soir à la réception qui sera donnée au palais présidentiel de Cankaya, à Ankara. Et sa présence divise les membres du principal parti d’opposition (CHP, parti républicain du peuple). Jusqu’à présent chaque année, deux réceptions étaient organisées à cette occasion, l’une avec conjoint, l’autre sans, ce qui permettait à l’opposition de ne pas publiquement boycotter Mme Gül.
Or cette année, il n’y aura qu’un seul et unique cocktail, en présence d’Hayrunnisa. Les membres du CHP doivent-ils assister à cette garden party et légitimer le foulard islamique de leur hôtesse ? Le débat fait rage au sein de cette formation kémaliste qui se bat bec et ongle depuis 8 ans contre la politique du Parti de la justice et du développement (AKP, issu dela mouvance islamiste) au pouvoir depuis 2002 et dont le chef de l’Etat est issu.
La fin d'un tabou
Ce n’est pas la première fois que le couvre-chef d’Hayrunnisa Gül cause des remous dans la classe politique. En 2007, il avait failli empêcher l’élection de son époux à la tête de la République "laique et sociale" de Turquie.
Car Hayrunnisa Gül brise un tabou en étant la première "première dame du pays" à porter le foulard islamique. Si 70% des femmes turques portent un couvre chef pour sortir de chez elles, celui de l’épouse du président, porté au plus haut niveau de l’Etat, effraie une partie de la population.
Preuve de l’extrême sensibilité des Turcs autour de ce foulard, Mme Gül aura attendu 3 ans pour participer à une cérémonie d’accueil d’un chef d’état étranger, à Ankara. Elle a franchi le pas la semaine dernière, foulard gris nacré enserrant son visage, lors de la visite du chef d’état allemand et de son épouse.
La polémique est d’autant plus vive qu’elle intervient alors que le foulard islamique a fait son entrée dans les universités. Interdit de campus pendant plus de 10 ans, il est désormais accepté dans la majeure partie des facs du pays depuis fin septembre.
"Je ne comprends pas cette polémique"
C’est à cette date que le Conseil de l’enseignement supérieur (Yok) a envoyé une directive à l’université d’Istanbul et invité le recteur à lever l’interdiction du foulard sur le campus et dans les salles de cours. "J'ai de la chance" avoue Hatice, une jeune étudiante en économie, qui franchit l’immense porte blanche de ce campus prestigieux, un foulard bigarré enveloppant son visage.
Pour ma première année à l’université, je ne suis pas obligée d’ôter mon foulard. D’ailleurs je ne comprend pas toute cette polémique pour un bout de tissu.
Dans la foulée de l’université d’Istanbul, la plus ancienne du pays, de très nombreux autres établissements se sont engouffrés dans la brèche et autorisent à leur tour le port du foulard. Toutefois, en l’absence d’une résolution au plus haut niveau, toutes les étudiantes ne sont pas logées à la même enseigne car certains recteurs continuent d’appliquer l’interdiction initiale. La cacophonie va même jusqu’à l'application de règles différentes sur les campus et en cours.
Pour entrer à l’université, les étudiantes doivent se découvrir, mais elles peuvent entrer dans les salles de cours avec leur foulard
confirme Sema Ergonul, vice doyenne de l’université des Beaux Arts Mimar Sinan à Istanbul.
Erdogan botte en touche
Pour mettre un terme à cette confusion observée sur le terrain, une solution durable est-elle envisageable ? Les kémalistes se disent désireux de régler le problème mais estiment ne pas avoir de garantie suffisante de la part du gouvernement. Après les universités, le foulard islamique sera-t-il accepté dans les administrations, les hôpitaux publics, les écoles ?
Face à ces interrogations, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan botte en touche. La boite de Pandore est donc ouverte. Coincidence surprenante (ou pas), deux pères de famille ont fait la une des journaux la semaine dernière en exigeant que leurs filles entrent à l’école primaire avec leur foulard.