A 65 ans, plutôt que la retraite, Antonio Hutardo a choisi de monter son entreprise. Et il a travaillé jusqu’à 78 ans. Depuis, il va quand même tous les jours au bureau. Il n’est pas payé, bien sûr, mais sa pension est confortable.
Antonio Hurtado est retraité contre son gré. En 1993, lorsqu’il prend sa retraite et quitte son poste de gérant à la maison d’éditions Gredos après plus de quarante ans de bons et loyaux services, Antonio s’associe avec les fils de Gredos et monte une entreprise d’arts graphiques, Graphé. A 65 ans, il préfère ce nouveau défi à celui de se faire à sa nouvelle condition de retraité. L’aventure dure jusqu’en 2006, quand Gredos, l’unique client de Graphé, est vendue à un groupe éditorial. " A ce moment-là, je suis devenu un retraité pour de vrai ", raconte-t-il. Et il apprécie la liberté que lui offre cette condition.
Toujours le travail, même sans être payé
A 82 ans, il se rend pourtant régulièrement au " bureau ", l’immeuble déserté de l’ancienne Gredos dont il a encore les clés. Dans la grande bâtisse vide, il s’est retranché dans une salle exiguë aux tons neutres, qu’il a préférée au vaste bureau ensoleillé du dernier étage où il officiait du temps où il recevait encore une fiche de paie. Elégant et droit comme un i, prévenant et le sourire rare, il s’occupe de la gestion des frais de l’immeuble, désormais en vente : " Je ne fais pas grand-chose, insiste-t-il, tout au plus quelques photocopies des factures d’électricité, de gaz, de maintenance de l’ascenseur, que je trie et que j'envoie une fois par mois chez le comptable. Personne ne me demande de le faire ni me paye pour cela. C’est mon choix ", précise-t-il.
Et lorsque les besoins de l’immeuble ne lui imposent pas d’y passer du temps, il y va quand-même:
Je n’aime pas rester à la maison. Je viens, et je joue sur l’ordinateur. Parfois, je détruis un livre puis je le recompose, comme ça, juste pour voir si je sais encore le faire, raconte-il.
2000 euros nets par mois
Antonio Hurtado est un retraité récalcitrant. Pourtant, avec un peu plus de 2000 euros nets par mois, ce madrilène pourrait goûter paisiblement les plaisirs de la retraite, dans le quartier populaire de Carabanchel, où il vit avec sa femme depuis leur mariage. " Je n’ai pas de problème. J’ai payé pendant des années les cotisations sociales de la tranche supérieure, et j’ai maintenant droit à la prestation la plus haute ". Le gel des retraites annoncé pour 2011 par le Gouvernement socialiste de José Luis Zapatero ne l’inquiète pas :
Si les prix ne grimpent pas trop, tout ira bien : je n’ai ni hypothèque à rembourser, ni achat de voiture en vue. La seule augmentation qui pourrait m’affecter, c’est celle des prix des aliments.
Antonio est conscient de sa chance par rapport aux « autres retraités espagnols, nombreux, qui reçoivent moins de mille euros par mois ». Un avantage qui lui permet de s’offrir des services de santé privée, alors que dans le public, c’est gratuit.
Pas question d’aller jouer aux cartes
Si Antonio voyage peu, ce n’est pas faute d’envie ou de moyens. Sa femme ne le souhaite pas. " Je voulais aller au Mexique et pour la convaincre je lui ai même proposé de voyager en première. Nous n’avons pas un train de vie luxueux mais de temps en temps on pourrait se permettre ce genre de choses ", raconte-il. Peine perdue, pas de périple mexicain en vue.
Le vieil homme est plein d’énergie et est constamment en recherche de nouvelles activités. Il aurait aimé prendre des cours de peinture mais n’a pas trouvé d’école publique gratuite pour les retraités, malgré la profusion de services offerts aux retraités, gratuitement ou à moindre coût. Pour Antonio, pas question d’aller jouer aux cartes ou faire un brin de causette dans l’un des dix-sept centres publics et non résidentiels dont disposent les personnes âgées à Madrid. Les cartes, ça l’ennuie.
Non, ce dont rêve Antonio, dans le fond, n’est ni plus ni moins que de reprendre une activité professionnelle…