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WikiLeaks : ce que les juges ont dit à Julian Assange

mercredi, 8 décembre, 2010 - 11:28

Après s'être livré à la police hier à Londres, Julian Assange a passé sa première nuit en cellule. Le cofondateur du site WikiLeaks s’est vu refuser hier sa demande de libération sous caution. Récit, heure par heure, de son arrestation et de son audience devant les juges.

Hier dans la matinée, le communiqué de la police londonienne tombe: "Des officiers de l’équipe d’extradition de la police municipale ont arrêté ce matin Julian Assange au nom des autorités suédoises". Julian Assange, 39 ans, qui fait l'objet d’un mandat d’arrêt européen s'est présenté à une station de police locale de Londres à 9h30. Il est accusé par les autorités d’un cas de

coercition illégale, de deux cas de molestations sexuelles et d’un cas de viol, tous ayant été commis en août 2010.

"C'était très cordial"

A 11h15, Julian Assange et ses avocats ne sont pourtant pas encore arrivés au Palais de Justice de Westminster, dans le centre de Londres, où il doit être déféré. Une nuée de journalistes, de caméras de photographes du monde entier l'attendent de pied ferme. Quelques policiers patrouillent autour du bâtiment. Les passants se retournent interrogatifs, mais les alentours restent calmes. A 12h40, les quatre policiers installés à l’arrière du bâtiment et grelottant – la température est passée sous les 0°C – demandent journalistes de laisser l’accès libre au bâtiment.

Le portail de fer du parking se lève. Un véhicule de police s’approche alors qu'une voiture noire banalisée venue de l’autre côté se faufile entre les policiers et entre à toute vitesse dans le parking. Le portail se referme mais une poignée de photographes ont réussi à photographier Julian Assange à l’arrière de la voiture. Vingt minutes plus tard, son avocat ressort. "C’était très cordial. Ils ont vérifié son identité. Ils sont satisfaits que ce soit le vrai Julian Assange".

Au troisième étage du bâtiment, devant la Chambre n°1, une poignée de journalistes arrivés assez tôt pour obtenir un badge attendent le début de l’audition. Les portes s’entrouvrent à 13h50. Les journalistes sont assis sur les côtés, les différentes parties du procès s’installent sur les bancs centraux. Côté gauche, la représentante de l’Etat suédois et ses aides, côté droit les avocats de Julian Assange et les six personnes ayant acceptées de verser une caution pour son maintien en liberté.

Parmi eux, au moins trois "people" britanniques : le réalisateur de cinéma Ken Loach, le journaliste australien John Pilger et la responsable d’une organisation non-gouvernementale, Jemima Khan.

Une boite postale en Australie pour adresse

Il est 14h08 lorsque Julian Assange, accompagné d’un policier, entre par une porte dérobée dans le box protégé par des vitres blindées à droite de l’entrée de la chambre n°1 de la Cour des magistrats de Westminster. Il sourit, fait un petit signe de la main aux journalistes assis devant lui, puis s’assoit à son tour. Il est vêtu d’un costume bleu foncé et d’une chemise blanche.

Le juge entre à son tour, l’audition débute. La greffière lui demande de confirmer son identité, ce qu’il fait, puis lui demande son adresse. Il répond : "Est-ce pour une correspondance ou pour un autre motif ?" Et fournit l’adresse d’une boîte postale en Australie. La greffière ne considère pas cette réponse comme appropriée, tout comme le juge, qui lui demande "de ne pas aggraver son cas". Après discussion avec son avocat, il donne une adresse en Australie tandis que son avocat propose de donner son adresse anglaise mais par écrit "pour sa sécurité".

"Relations sexuelles sans préservatif"

La représentante des autorités suédoise, Gemma Lindfield, énonce alors les accusations portées à son encontre. Les avocats d'Assange prennent des notes car ils n’ont jusqu’alors pas eu connaissance des charges précises portées à l’encontre de leur client. Il est donc accusé de "coercition pour avoir forcé une première victime, Mademoiselle A, à avoir le 14 août une relation sexuelle avec lui contre sa volonté". Il aurait "tenu ses bras et ses jambes". Il l’aurait ensuite agressé sexuellement en n’utilisant pas de préservatif alors qu’elle en avait "exprimé le souhait". Il aurait à nouveau répété cet acte le 18 août. Enfin, le 17 août, il aurait "exploité" Mademoiselle W "en ayant des relations sexuelles avec elle sans préservatif alors qu’elle dormait".

La greffière demande au suspect, qui a été arrêté à 9h25 et a été amené là dès que possible, s’il accepte d’être extradé. Il lui répond : "Je comprends l’offre mais je ne l’accepte pas".

Il veut s'exiler en Suisse !

Gemma Lindfield réclame alors son extradition. Elle énonce plusieurs motifs : le suspect sait qu'il est recherché depuis le mois d’août et connait les charges à son encontre, mais il a refusé de parler à la justice suédoise, c’est un nomade puisqu’il n’a pas d’adresse. Il risque donc de ne plus pouvoir être localisé et chercherait à s’exiler en Suisse. Enfin, il possède de nombreux partisans qui pourraient lui permettre de disparaître d’un pays où il n’est arrivé que le 9 novembre.

Le juge lui demande des précisions sur les accusations de viol à son égard. Elle explique alors qu’elle n'en sait pas plus, mais que tout est détaillé dans le mandat d’arrêt européen. Avec un petit sourire un coin, le juge estime son point de vue "très intéressant".

La défense prend alors la parole. L'avocat célèbre John Jones, qui plaide pour Julian Assange, rappelle que son client n’a jamais été condamné, qu’il s’est rendu volontairement à la police le matin même après avoir négocié depuis longtemps avec elle, qu’il aurait pu quitter le pays depuis longtemps, qu’il a quitté la Suède après en avoir reçu l’autorisation et ne s’en est donc pas enfui, qu’il a résidé pendant deux mois au Front Line Club, puis ces trois dernières semaines chez un ami et, enfin, que la police dispose de son passeport ce qui l’empêchera de fuir.

Le soutien de Ken Loach

Les six témoins ayant accepté de verser une caution pour lui, 20.000 livres sterling chacun (23.000 euros) au minimum pour un total minimum de 120.000 livres sterling, montent alors à la barre. Seul le journaliste John Pilger admet le connaître personnellement. "Je le porte en haute estime. L’accusation suédoise est absurde". Les autres, comme le réalisateur de cinéma Ken Loach, le soutiennent pour ses actions : "Je pense que le travail qu’il a fait est un service public, je pense que nous avons le droit de connaître la vérité sur ceux qui nous gouvernent".

Pendant ce temps, Julian Assange est stoïque dans sa cage de verre. Il regarde droit devant lui et ne bouge pas, même lorsque le juge relit ses notes et entame sa déclaration finale. Il admet avoir été convaincu par les arguments de la défense. Plusieurs points restent cependant en suspend : "les accusations de viols sont très sérieuses, cet homme n'a pas de liens sociaux importants dans le pays" et "il possède la capacité financière, à travers ses soutiens, de s’enfuir et de ne pas se rendre à la justice. En conséquence, je demande sa mise en détention jusqu’au 14 décembre, date de la prochaine audition".

Une situation "assez exotique"

Le juge se lève et disparaît. Julian Assange, légèrement surpris, se lève aussi et disparaît par la porte arrière. L’annonce a été tellement brutale et inattendue que l’ensemble de la salle est abasourdie, comme sonnée. Les six soutiens du patron de Wikileaks se réunissent avec ses avocats. John Pilger répète que cette décision est "absurde et injuste", Ken Loach rappelle son soutien "aux droits de l’homme". Le groupe s’échappe rapidement avant que, devant les caméras restées à l’extérieur, l’avocat Mark Stephens rappelle être "dans une situation assez exotique de ne pas pouvoir voir la moindre preuve contre lui. Le juge veut les voir lui-même et il a été impressionné par le fait que de nombreuses personnes étaient prêtes à lui venir en aide. Dans ces circonstances, je pense que nous allons demander une nouvelle demande de libération sous caution".

La voiture conduisant Julian Assange vers sa cellule quitte le Palais de justice."On t’aime" lui crient ses partisans à son passage.
 




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