Recettes fiscales en berne, érosion de l’épargne disponible, salaires sous pression... La note est salée pour les pays européens dont les richesses sont détournées vers les paradis fiscaux. Deuxième volet de notre enquête sur l'évasion fiscale.
"Le monde de la finance off-shore ressemble à un grand casino. Sauf que la roue de la fortune tourne toujours dans le même sens. Au bénéfice des grandes entreprises et des intermédiaires financiers et juridiques, mais au détriment des peuples et des Etats eux-mêmes. Ces derniers voient de plus en plus leurs marges de manœuvre remises en cause par le poids des paradis fiscaux dans l’économie internationale", dénonce le rapport "L’économie déboussolée" du Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire.
Cette étude met en avant quelques chiffres significatifs concernant, notamment, la France où l'évasion fiscale coûte 40 à 50 milliards d’euros par an à l’Etat, dont 15 et 20 milliards par le biais des paradis fiscaux, selon le rapport sur les paradis fiscaux de la commission des finances de l’Assemblée Nationale. Une somme qui représente l’équivalent en 2009 du déficit de la sécurité sociale…
Colgate-Palmolive lave plus blanc
"Privant les Etats de recettes, la délocalisation virtuelle de la richesse créée par les multinationales fait aussi pression à la baisse sur les revenus du travail dans le secteur privé", mentionne le rapport. Il prend pour cas d'école Colgate-Palmolive. Il rappelle comment, en décidant de déménager son quartier général pour l’Europe à Genève en janvier 2005, la firme américaine a privé la France de 40 millions d’euros d’impôts tandis que les salariés tricolores ont vu s’envoler de l’autre côté des Alpes participations et intéressements calculés sur les bénéfices…
Le groupe avait, en effet, négocié un taux d’impôt sur les bénéfices de 6,44 %, contre, 33,33 % en France (taux maximal néanmoins à relativiser, rares étant les entreprises qui ne bénéficient pas d'abattements spécifiques et autres avantages fiscaux). Avec l’aide du cabinet Ernst & Young, l’entreprise a mis en place une réorganisation de ses activités en France, séparées désormais en deux entités : l’une chargée de fabriquer les produits dans son usine de Compiègne et l’autre de les commercialiser.
Depuis Genève, la maison-mère vend les matières premières à l’usine de Compiègne et lui achète les produits finis au prix de revient, plus une petite marge de 6%. Ensuite, elle revend les produits finis à la société commerciale française, localisant ainsi les profits là où ils sont le moins taxés. "C’est un énorme défi pour les syndicats : comment peuvent-ils être sûrs des arguments mis en avant par les directions pour dégraisser ?", s’interroge le CCFD-Terre solidaire.
PME et CAC 40 : deux poids, deux mesures
Le rapport met également en évidence les conséquences des paradis fiscaux pour les PME. En France, le Conseil des prélèvements obligatoires s’en est d’ailleurs ému : "Les grandes entreprises sont comparativement moins taxées que les PME (…) et que les entreprises de taille intermédiaire", lit-on dans son rapport 2009. Les entreprises du CAC 40, qui réalisent environ 30% des profits totaux des entreprises françaises, ne versent que 13% de l'impôt sur les sociétés, alors que les PME de moins de 250 salariés, dont la participation aux profits des entreprises est de 17 %, paient 21 % de l'impôt sur les sociétés.
D’autres pays commencent eux aussi à monter au créneau, poursuit l’étude, décrivant la mobilisation en train de prendre forme aux Etats Unis. Business and Investors Against Tax Havens, une coalition de PME, a ainsi adressé au Président Obama et au Congrès une pétition et un rapport demandant de limiter l'utilisation massive des paradis fiscaux par les grandes entreprises et d’éliminer les avantages fiscaux pour les transactions via ces paradis qui n’ont pas d’objet commercial véritable.
Une démarche qui pourrait inspirer les PME européennes.