Le quartier Vauban de cette ville du Bade-Wurtenberg est un laboratoire : maisons durables hérissées de panneaux solaires, rues exclusivement piétonnes et cyclistes, logements communautaires et gouvernance collective.
3ème volet d’une série de reportages sur les villes les plus vertes d’Europe
"Nous faisons le monde que nous voulons." Cette inscription à l’entrée du quartier Vauban, sur la façade de l’ancienne caserne française, indique immédiatement la couleur. Les 6.000 habitants du quartier, relié au centre-ville situé à trois kilomètres par le tramway, ont depuis une dizaine d’années construit une “cité idéale” : les toits des maisons multicolores de trois étages, bâties en bois ou avec d’autres matériaux durables, sont hérissés de panneaux solaires.
Dans les nombreux espaces verts, les enfants jouent à l’abri des voitures bannies des rues étroites où seuls piétons et vélos déambulent en toute liberté. Sur les hauteurs, la villa solaire Héliotrope, une maison pivotante datant de 1994 dont la rotation épouse les mouvements du soleil, avait ouvert la voie.
Ce “paradis écologique” est devenu une référence. Des tour-opérateurs organisent plusieurs fois par jour, sauf le dimanche, des visites guidées. Celles de l’association Innovation Academy attirent près de 10.000 personnes par an.
Un paradis pour happy few
Andreas, quadra et militant vert, réside à Vauban depuis 1999. Rétif au début, il accepte d’ouvrir les portes de son appartement situé dans la première “maison passive” du quartier, un mode de construction qui limite les déperditions d’énergie. Il raconte:
Grâce à une orientation au Sud, des triples vitrages et l’utilisation de matériaux durables comme le bois, je n’ai même pas besoin de chauffage en hiver. Ce type d’habitat représente un surcoût de 10 % lors de la construction mais, grâce à la baisse de 20 % des factures d’électricité, on rentre dans ses fonds au bout de dix ans.
Pour Andreas, les bénéfices ont été immédiats : partageant cet espace d’une soixantaine de mètres carrés avec un autre colocataire, son appartement fait partie des 20 % de logements sociaux communautaires et étudiants gérés par le collectif Susi. Pour avoir la chance de figurer parmi les heureux élus, il faut faire preuve de patience…
Elke, une jeune mère au foyer avec deux enfants, a attendu deux ans pour obtenir un deux-pièces et avoir une chambre séparée pour ses bambins. Arrivée à Vauban quand elle était étudiante, elle était prête à bien des sacrifices pour rester sur place, car, explique-t-elle:
Je peux laisser les enfants jouer dehors sans être sans arrêt derrière eux. Cela n’a pas de prix.
Homogénéïté sociale
Devenir propriétaire n’est guère plus aisé. Seul le bouche-à-oreille permet d’acquérir des appartements vacants en nombre très limité. Les habitants ne sont pas enclins à laisser la place. Regroupés au sein de “groupes de construction”, ils sont à l’origine de la physionomie actuelle de Vauban. Ils ont acheté ensemble le terrain, défini les plans, suivi les travaux sans toujours recourir à un architecte.
Martin, la trentaine, rencontré dans le tram qui relie le quartier au centre-ville, résume la philosophie du quartier:
Ce système permet de choisir ses voisins et de conserver une certaine homogénéité sociale. Tous les habitants pensent la même chose, vivent de la même manière.
Les couples avec jeunes enfants semblent en effet avoir colonisé le quartier. Cette communauté de pensée est d’ailleurs revendiquée : la plupart des aménagements sont décidés collectivement.
Habitants militants
Conséquence possible de cette cogestion, le torchon brûle entre les habitants de ce quartier modèle, dont 49 % ont accordé leur voix aux Verts lors des dernières municipales, et l’édile accusé d’avoir cédé aux sirènes des promoteurs. Ces querelles sont une véritable épine dans le pied de l’équipe aux commandes de Fribourg, qui a fait de l’écologie son principal argument marketing. Non sans succès : chaque année, quelque 2 000 nouveaux arrivants s’installent dans “la cité verte”.
" Depuis les années 1980 où les gens se sont mobilisés contre la construction d’une centrale nucléaire, la ville est devenue un symbole pour les adeptes de la contre-culture", remarque Toblias, étudiant originaire de Dresde qui poursuit à Fribourg ses études de géographie. Fribourg profite également de l’explosion du marché des énergies renouvelables et de l’installation à ses portes d’un nombre croissant d’entreprises et de chercheurs.
Pour répondre à la pression démographique, le quartier de Rieselfeld a lui aussi été entièrement aménagé sur des terrains en friche en tenant compte de normes environnementales. Mais ici, les jusqu’au-boutistes n’ont pas eu le dernier mot : la zone n’est pas fermée aux voitures. Les logements sociaux occupent 50 % de l’espace.
Ce vendredi, en fin d’après-midi, la queue aux caisses du hard discounter Lidl, situé en plein centre du quartier, s’allonge. Les habitués ne semblent pas se préoccuper de l’impact de la production et du transport de tomates marocaines sur les émissions de gaz à effet de serre. Lutte contre le réchauffement climatique et pouvoir d’achat ne font pas toujours bon ménage…
HLM photovoltaïques
En dépit de ses contradictions, la mairie maintient le cap. Les bâtiments publics et les cités HLM rénovés se couvrent d’équipements photovoltaïques. Christine Wegner-Sänger, chargée d’études au service Environnement de la ville, défend sa stratégie:
Nous encourageons les initiatives individuelles, l’espace manquant pour construire de nouveaux quartiers à l’image de Vauban ou de Rieselfeld, sauf à détruire les forêts qui représentent 40 % de l’espace de la commune .
Si le roi Soleil règne en maître incontesté sur la ville, Éole n’a pas dit son dernier mot : plus de 500 habitants de Fribourg ont investi à titre individuel dans la construction de six turbines à vent aux portes de la ville. Comme à Freiamt, une commune de 4 800 habitants, à 25 kilomètres au nord de Fribourg où une centaine d’habitants se sont, eux aussi, cotisés pour construire quatre de ces moulins à vent des temps modernes et recouvrir leurs toitures d’étranges miroirs.
"La révolution initiée par Fribourg a fait école", se félicite Ehrard Schulz, habitant de la commune et fondateur de l’antenne fribourgeoise des Amis de la Terre, cheville ouvrière de cette “conversion”.