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La Chine « sauve » l’Europe à bon compte

mercredi, 5 janvier, 2011 - 12:32

La Chine continue d'acheter la dette de certains pays européens. Un comportement intéressé qui inquiète, bien que les sommes en jeu ne soient pas toujours colossales. Elle renseigne surtout sur la stratégie chinoise, qui entend faire de l'Europe un allié accommodant face aux États-Unis.

C'est une histoire de Lune. Les dirigeants chinois se déplacent en Grèce (en octobre dernier), au Portugal (en décembre) ou en Espagne (ces jours-ci) et les trois pays décrochent la lune : la Chine, grand seigneur, accepte d'acheter une partie de leur dette.

En fait, les sommes déjà créditées ou promises, sont presque dérisoires au regard des immenses réserves chinoises. "Les montants ne sont pas très importants pour la Chine, mais ils le sont pour les pays qui cherchent à se refinancer", résume Mary-Françoise Renard, responsable de l'Institut de Recherche sur l'Économie de la Chine, à l'université d'Auvergne. Ils viennent surtout s'ajouter aux 630 milliards (environ) de dette publique de la zone euro que détient déjà la Chine.

Prenons le cas du Portugal. L'achat de bons du Trésor pour une valeur de 4 à 5 milliards d'euro aidera sans doute Lisbonne à refinancer les 15 milliards de sa dette qui arrivent à échéance d'ici à avril 2011. L'opération chinoise ne concerne cependant qu’une fraction de la dette totale du Portugal, qui s’élève à plus de 80% du PIB, soit près de 130 milliards d’euros. Ce coup de pouce n'a d'ailleurs pas empêché l'agence de notation Moody's de menacer de dégrader la note du pays.

"Le sot regarde le doigt"

Qu'importe, responsables politiques et économique, relayés par la presse, semble découvrir aujourd'hui la Lune, en l'occurrence que la Chine investit en Europe à la faveur de la crise économique. Comme si ce n'était pas le cas d'autres grandes puissances. Comme si ce n'était pas le cas avant. La concession du port du Pirée à un groupe chinois, par exemple, date de 2008, mais a fait sensation cette année.

"La Chine au secours de l'Europe", "La Chine achète l'Europe", "Les Chinois, nouveau banquiers du monde". Tantôt ébahis, tantôt inquiets, les médias usent et abusent des superlatifs. Au risque aussi de prendre des vessies pour des lanternes, chinoises ça va de soi. Immanquablement, on pense à cette maxime, parfois attribuée à Confucius : "quand le sage montre la Lune, le sot regarde le doigt".

De la propagande plus qu'une affaire de gros sous

Il faut dire que la Chine sait se mettre en scène dans le rôle du sauveur. "Acheter de la dette en euros n'est pas véritablement nouveau, explique Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la Chine. Mais, les chinois savent très bien vendre leurs actions, ils ont un département propagande qui est fait pour ça".

Acheter la dette européenne, c'est déjà s'offrir une façade attrayante, une crédibilité et des gages pour l'avenir. "L'image globale d'un pays en développement sauvant de la faillite un pays développé suffit probablement à la Chine pour offrir son assistance", considère Alistair Thornton, spécialiste de la Chine chez IHS Global Insight, cité par Le Point.

Juteux retour sur investissement

A l'évidence, l'action de la Chine n'est pas désintéressée. L'Europe est d'abord le principal partenaire commercial de la Chine, avec des échanges qui s'élèvent à 361 milliards d'euros en 2010. Soutenir la zone euro, c'est donc soutenir les exportations chinoises.

En misant sur la dette de pays en difficulté, donc risqués, Pékin espère aussi un juteux retour sur investissement. Et s'il y a des pertes, elles seront faibles, une goutte d'eau face aux 2 648 milliards de dollars de réserves de change dont dispose la Chine. Un matelas confortable, le plus important au monde, une force de frappe considérable. En s'engageant à financer une partie de la dette européenne, la Chine s'offre à peu de frais le beau rôle.

La Chine en profite également pour mieux répartir ses avoirs. En octobre 2010, Pékin détenait 906,8 milliards de dollars d’obligations publiques américaines, soit 21% de la dette publique totale (détenue par des non-résidents). "La Chine s'inquiète de ses placements en dollars car elle n'a aucune prise sur l'évolution de cette monnaie, et elle achète donc de l'euro. C'est de la gestion de bon père de famille. C'est une stratégie assez répandue dans tous les pays et qui n'a rien d'étonnant", explique Jean-Philippe Béja. D'autant que les bons du Trésor américain rapportent peu et qu'un conflit majeur oppose les deux grandes puissances au sujet de la sous-évaluation de la monnaie chinoise.

Même si elle doit être relativisée, même si elle semble moindre qu'au États-Unis, la dépendance financière de l'Europe ne doit pas être sous-estimée. Le Financial Times a révélé en mai 2010 que l'organisme public chargé de la gestion des devises chinoises détenait 630 milliards de dollars d'obligations de la zone euro, soit l'équivalent d'environ 13 % (à cette date) de la dette souveraine de cette dernière.

L'arbre ne cache pas la forêt

Un autre élément doit être relevé avant d'en arriver au cœur de l'affaire. La Chine achèterait l'Europe, pas seulement par le biais de la dette mais plus directement grâce à ses entreprises. A tel point que Bruxelles s'en est ému. Fin décembre, le Commissaire européen à l'Industrie constatait que "les entreprises chinoises qui en ont les moyens achètent de plus en plus d'entreprises européennes disposant de technologies clefs dans des secteurs importants". Antonio Tajani propose désormais "la mise en place d’une autorité chargée d’examiner les investissements étrangers en Europe".

L'inquiétude de la Commission doit cependant, là encore, être relativisée. La concession à un groupe chinois du port du Pirée (en 2008) ou la signature d'une quinzaine de contrats entre la Grèce et la Chine (en octobre dernier), pour plusieurs milliards d'euros, sont des arbres qui ne cachent pas la forêt. Si les investissements directs chinois en Europe ont été multipliés par 5,2 sur les neuf premiers mois de 2010, ils représentent encore moins de 2,5 milliards d'euros – sur un total d'une quarantaine de milliards investis à l'étranger l'an passé. En Europe, leur principales destinations sont d'abord l'Allemagne, la Grande-Bretagne et, loin derrière, la France.

Le volume des investissements n'est donc pas considérable. Il faut malgré tout noter que les groupes chinois – souvent liés aux autorités – profitent de fragilité des maillons faibles de l'Europe pour accroître leur emprise sur leurs infrastructures de transport et renforcer la chaîne de distribution des produits chinois. Cosco, le transporteur maritime géant, étend ainsi ses activités dans le port de Naples, et le Groupe HNA est sur les rangs pour construire près de Rome un terminal capable d'accueillir les avions-cargos chinois.

L'empire du milieu attaque … les États-Unis

L'empire du milieu n'attaque pas massivement l'économie européenne. Au contraire, "il a besoin d'une Europe en bonne santé, qui assure un débouché à ses produits et d'une Europe forte pour ne pas se retrouver dans un tête à tête avec les américains", analyse Mary-Françoise Renard. La Chine pousse ses pions et entend faire l'Europe un allié, docile, dans le grand jeu qui l'oppose aux États-Unis. "Elle essaie de diviser le camp occidental", estime Jean-Philippe Béja.

La stratégie qui consiste à soutenir financièrement les pays européens en difficulté est gagnante à tous les coups. Car un élément ne doit pas être perdu de vu : la démarche chinoise est autant politique qu'économique. Et l'Europe, plus un pion (important) dans le "grand jeu" entre la Chine et les États-Unis qu'un adversaire.

  • En faisant de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne des débiteurs, la Chine mise sur un soutien politique. Exemples: la reconnaissance de son statut d'économie de marché ou de l'embargo sur les armes qui la touche depuis 1989. Les autorités chinoises ont récemment remis ces sujets sur la table, sans les lier, évidemment, à leur soutien financier. La visite, cette semaine, du vice-Premier ministre chinois en Espagne, avant la Grande-Bretagne puis l'Allemagne, permettra de voir quelle influence la Chine a déjà gagné en Europe.
  • En volant au secours de ces pays, les Chinois veulent aussi désamorcer le front commun des Européens contre la sous-évaluation du yuan. "Il s'agit d'enfoncer des coins dans la politique européenne, même si cela n'aura d'effets qu'à long terme", décrypte Jean-Philippe Béja. Mary-Françoise Renard fait, elle, une analyse différente : elle estime que la Chine compte sur l'Europe, plus conciliante que les États-Unis, pour la soutenir sur les questions monétaires. Elle est donc prête à soutenir les pays européens et à leur proposer des partenariats. "Avec la Chine, les pays occidentaux sont pris dans une logique, le libre-échange, qu'ils ont toujours soutenu et qui leur a profité jusque-là. Sauf que les Chinois jouent très bien ce jeu. Mieux vaut en faire des partenaires avec qui l'on a des projets en commun, plutôt que des concurrents".



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