La construction du "mur de la honte" à la frontière gréco-turque, s'explique par le désarroi des autorités face à une immigration massive que la Grèce, en pleine crise économique, peine à intégrer.
Une analyse de notre correspondante à Athènes.
La construction d'un mur de barbelés de 12 kilomètres à la frontière gréco-turque n'y changera sans doute pas grand-chose. Mais, accusée par ses partenaires européens d'être un "pays passoire", la Grèce ne sait plus comment faire face une immigration clandestine en forte expansion : 125 145 arrestations ont été enregistrées aux frontières en 2009.
Les conditions de vie dans les centres de rétention sont régulièrement dénoncées comme inhumaines par les organisations humanitaires, les incidents xénophobes plus ou moins graves se multiplient, et il arrive que les jardins d’enfants soient interdits aux enfants étrangers. Comment la Grèce en est arrivée là?
Un pays d'émigration devenu un pays d'immigration
Jusque dans les années 80, la Grèce était un pays d’émigration (en Allemagne, où il y a eu jusqu’à 700 000 émigrés, Belgique, États-Unis, Canada, ou encore, Australie).
Devenu un eldorado pour ses voisins balkaniques, après son intégration dans l’Union européenne en 1981 et, surtout, depuis les années 90 avec la chute du mur de Berlin qui lui a ouvert les portes de l'Europe orientale, elle est devenue un pays d’immigration, pour une constellation de nouveaux migrants : Russes du Pont (Russes de la mer Noire) ou Epirotes d’Albanie pouvant se targuer d’une ascendance hellénique, Égyptiens ou Syriens sous contrats binationaux, et arrivants des pays de l’Est : Polonais d’abord, Bulgares, Roumains, Moldaves, Ukrainiens et, surtout, Albanais.
Du "miracle économique" à la crise
La Grèce du "miracle économique", sans aucune infrastructure, ni préparation administrative, a pu accueillir tous ces émigrés – évalués à un million et demi pour une population totale de 11 millions d’habitants -, car le marché de l’emploi (formel et informel) était demandeur du fait d'une croissance dopée par la manne à gogo des subventions européennes et Jeux olympiques en 2004.
Cet appel d’air a attiré aussi d’autres populations, chacune se spécialisant dans un domaine : les Indiens dans les fermes marines, les Pakistanais dans les cultures maraîchères, les Philippines dans les aides à la personne. Le mode de vie "à la grecque" – soleil, relations informelles et petites combines – a permis une rapide intégration.
La preuve en est le pourcentage élevé (parfois plus de la moitié) d’enfants d’origine étrangère dans les écoles, contrepoids démographique bienvenu pour faire face au très faible taux de natalité des Grecs (le plus bas d’Europe). Sans pour autant que la condition sociale de ces émigrés ait été rose : travail au noir, peu ou pas de couverture sociale, humiliations quotidiennes, quasi-impossibilité de naturalisation.
Deux phénomènes ont changé la donne :
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La terrible crise économique qui frappe la Grèce, soignée à coups de politiques de rigueur, a rendu encore plus difficiles les conditions de vie des plus vulnérables, que sont le plus souvent les immigrés. Chômage et baisse du pouvoir d’achat ont fait perdre à beaucoup de ceux qui étaient légaux leurs droits de résidence. Certains sont repartis, d’autres survivent dans des conditions toujours plus précaires.
- La quasi-fermeture des autres portes d’entrée en Europe, l’arrivée exponentielle ces deux dernières années de migrants venus d’Asie (Afghans, Kurdes, Irakiens, …) et d’Afrique (beaucoup du Maghreb), d’abord par voie maritime, puis désormais par la voie terrestre de la frontière avec la Turquie (125 145 arrestations aux frontières en 2009). Ces clandestins pris en charge par des réseaux mafieux très organisés, considèrent la Grèce comme un pays de transit avec comme destination finale l’Angleterre ou l’Allemagne, mais se retrouvent piégés avec la circulaire européenne dite "de Dublin", qui permet le rapatriement des migrants dans le premier pays européen abordé.
Ce panorama n’excuse en rien la décision de construire ce "mur de la honte" à la frontière gréco-turque, mais elle explique le désarroi des autorités grecques face à un phénomène qui les dépasse.
Le cas grec montre la nécessité urgente d’une véritable politique migratoire européenne autre que celle d’une Europe-forteresse.