Un dirigeant d'entreprise allemande accuse la France d'être en pointe en matière d'espionnage industriel. Des spécialistes contestent cette version. Dans le même temps, trois cadres de Renault ont été mis à pied, soupçonnés d'avoir diffusé des informations sur le projet de voiture électrique.
Voilà enfin un domaine où la France serait meilleure que l'Allemagne : l'espionnage industriel. "La France est l'empire du Mal en ce qui concerne le vol de technologies, et l'Allemagne le sait", aurait déclaré, avec un sens remarqué de la nuance, Berry Smutny, le directeur général du petit fabricant allemand de satellites OHB Technology.
L'industriel est cité dans une note diplomatique divulguée par WikiLeaks. Le document, qui émanait de l’ambassade des États-Unis à Berlin le 20 novembre 2009, a été mis en ligne hier par le journal norvégien Aftenposten. On y apprend que "l'espionnage français est tellement étendu que les dégâts (qu'il provoque) pour l'économie allemande, dans leur totalité, sont plus importants que les dégâts provoqués par la Chine ou la Russie".
Bernard Carayon, député UMP et auteur de plusieurs rapports sur l'intelligence économique, se montre particulièrement sceptique. Interrogé par le magazine L'Expansion, il assure que :
La France est très rarement mouillée dans des affaires d'espionnage industriel. Par contre, en la matière, les Etats-Unis, la Chine et la Russie sont des véritables pilleurs professionnels. A la différence des Européens, plutôt naïfs sur le sujet, ces pays mènent une politique de suprématie et non de compétitivité, qui justifie à leurs yeux des pratiques très offensives et souvent illégales.
Révélations ou tentative de déstabilisation ?
Les révélations du journal norvégien sont à prendre avec des pincettes. D'abord parce que la source, le diplomate américain qui rapporte ces propos, est anonyme. Le fond de l'affaire, surtout, intrigue.
OHB Technology a remporté en janvier 2010 un contrat pour la construction de plusieurs satellites destinés au programme de navigation Galileo, futur "GPS" européen. Aux dépens d'Astrium, une filiale du géant européen EADS. La PME allemande est aussi le principal acteur dans le programme allemand de construction de satellites d'observation optique (HiROS).
"Le projet initial était qu'EADS-Astrium conçoive, construise et exploite HiROS conjointement avec l'agence spatiale allemande DLR", lit-on dans le télégramme publié hier. Mais les dirigeants allemands d'Astrium et de DLR ont estimé que la France souhaitait saborder le projet, de peur qu'il n'entre en concurrence avec ses propres activités commerciales. Dès lors, "la décision a été prise de faire d'OHB le principal contractant", ajoute la note.
Espionnage industriel ou tentative de déstabilisation entre deux concurrents? Difficile de trancher. Bernard Carayon estime que "l'Allemagne a vingt ans de retard sur la France dans le domaine aérospatial. En aucun cas, Astrium n'aurait eu intérêt à espionner OHB".
Espionner les satellites espions
D'autres câbles diplomatiques, obtenus par Wikileaks, donnent une nouvelle dimension à ce dossier. Si l'on en croit ces notes, le projet HiROS serait développé conjointement par les allemands et les américains. Officiellement destiné à des fins civiles, le programme serait en fait destiné à développer de nouveaux satellites espions, "sous le contrôle complet" des services secrets allemands (BND) et de l'agence spatiale allemande (DLR). Une information évidement démentie.
Officiellement, la France et l'Allemagne sont pourtant engagées dans le programme commun d'imagerie spatiale MUSIS – aux côtés de la Belgique, de l'Espagne, de la Grèce et de l'Italie. La France devait essentiellement se charger de l'observation optique avec ses satellites Hélios, alors que l'observation radar revenait à l'Allemagne avec son projet Sar-Lupe. Un accord de principe manifestement remis en cause par le projet HiROS. La question reste ouverte : Paris a t-il cherché à le torpiller? Berlin joue t-il sa propre partition en tentant de marginaliser et de jeter le discrédit sur la France?
Les entreprises françaises pillées par… les entreprises françaises
Les amateurs de coïncidences ne manqueront pas de relever qu'une autre affaire d'espionnage secoue la France. Sauf que, cette fois, la victime est une entreprise française. Renault a en effet mis à pied, hier, trois cadres, dont un membre du comité de direction, soupçonnés d'avoir diffusé des informations importantes concernant le programme de véhicule électrique de l'entreprise. Un programme dans lequel Renault-Nissan a investit la bagatelle de 4 milliards d'euros et qui représente un pari technologique et commercial majeur.
Que l'on se rassure, les précieuses informations – si elles ont été bien été volées – ne sont peut-être pas parties chez la concurrence étrangère. Il y a trois ans, une note des renseignements généraux français indiquait que les entreprises françaises se faisaient piller en premier lieu par les entreprises françaises, puis par les Européens et les Américains et ensuite seulement par des pays comme la Chine.