Christine Boutin s'est permis d'envoyer un courrier aux juges de la Cour de Justice de l'Union européenne avec l'espoir d'influencer sur leur décision dans un cas impliquant un couple homosexuel. La présidente du Parti Chrétien Démocrate craint que les unions civiles ne soient reconnues au même titre que le mariage.
En décembre dernier, Christine Boutin, présidente du Parti Chrétien Démocrate, a pris la peine d'écrire aux juges de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'espoir d'influencer sur leur décision dans un cas impliquant un couple homosexuel. Pour la CJUE, ce n'est pourtant qu'une affaire comme une autre. L'ancienne ministre du logement craint que les unions civiles ne soient reconnues au même titre que le mariage.
Pas marié, pas de pension
De quoi s'agit-il? Un citoyen allemand s’est vu refusé la jouissance d'une pension de retraite après le décès de son partenaire. Si le couple avait été marié, cela n'aurait pas posé de problème. Mais en tant que couple homosexuel, ils ne pouvaient prétendre qu'à une union civile type PACS, comme la loi allemande le permet.
Considérant cela comme une discrimination, il a porté l'affaire en justice qui (via une question préjudicielle) s'est retrouvée sur le bureau des juges européens de Luxembourg. En juillet dernier, l'avocat général, Niilo Jääskinen a rendu son avis donnant raison au plaignant.
Sauver l'Union européenne d'elle-même
En attendant la décision finale des juges, Christine Boutin a donc décidé d'"attirer leur attention". Selon l'ancienne ministre du logement, la justice européenne serait sur le point de rendre un jugement "dangereux" et "illégitime". Dangereux, car reconnaître que les unions civiles et le mariage sont sur un pied d'égalité, y compris dans le cas d'unions homosexuelles, risquerait "d'accentuer le rejet" de l'Europe "par les populations". Pas moins.
Christine Boutin entend bel et bien sauver l'Union européenne d'elle-même: ce serait "courir un grand risque politique que de ne pas réagir à de telles dérives".
De la politique, un peu de droit et beaucoup de morale
En dehors de ces considérations politiques, la Présidente des Chrétiens démocrates justifie sa position par le respect de la notion de "subsidiarité".
Dans le droit européen, ce terme correspond au principe selon lequel l'UE intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres.
Autrement dit, selon l'interprétation de Christine Boutin: l'Union européenne ne devrait pas intervenir en matière de droit de la famille, et laisser les juridictions nationales faire. En acceptant de répondre à l'affaire, la CJUE outrepasserait ses droits.
Or, si cette notion de subsidiarité existe bien, elle ne s'applique pas au cas présent, et le Parti Chrétien Démocrate donne l'impression d'utiliser des notions de droit dans le but unique de défendre une position morale.
Discrimination selon l'orientation sexuelle
Car l'argumentaire de l'avocat général ne repose pas sur le droit de la famille (dans lequel l'UE n'intervient presque pas), mais sur le principe de non-discrimination en raison de son orientation sexuelle. Dans le cadre du travail et de l'emploi, il existe une directive européenne sur le sujet, datant de 2000. Niilo Jääskinen souhaite s'en servir pour protéger les droits du requérant dans la mesure où la situation actuelle du conjoint découle du droit du travail de la personne décédée.
Une telle décision ne reconnaitrait nullement l'équité entre le mariage et les unions type PACS.
L'avocat général développe sa position sur la base de la non-discrimination. Il constate que le plaignant ne peut pas jouir des mêmes droits que le conjoint d'un couple marié alors que, dans la pratique, ses devoirs sont les mêmes. Qui plus est, s'il n'est pas marié, ce n'est pas en raison de son refus de contracter un contrat de mariage, mais en raison de son incapacité à pouvoir le faire, puisqu'il est homosexuel.
La Cour sera t-elle audacieuse?
Au cas où cette directive ne pourrait être invoquée dans cette affaire, Niilo Jääskinen propose que la CJUE reconnaisse un nouveau principe général: celui de la non-discrimination sur la base de l'orientation sexuelle. Si les textes européens sont déjà clairs concernant la discrimination en raison de la nationalité ou du sexe, ils sont encore flous quant à l'orientation sexuelle.
Reconnaître un tel principe serait très audacieux de la part de la Cour. Les conséquences seraient larges et nombreuses puisque cela toucherait tous les domaines du droit. Il y a toutefois bien peu de chance que les juges européens aillent si loin.
Il est fort probable qu'ils se contentent d'utiliser la législation existante, en étendant son application aux conjoints, limitant l'application du principe de non-discrimination sur la base de l'orientation sexuelle aux domaines de l'emploi et du travail, les deux domaines couverts par la directive de 2000.
La supériorité du droit européen
Pour sa défense, l'ancien employeur du défunt a invoqué la Constitution allemande, qui protège la famille et le mariage traditionnels. Or, sur ce point l'avocat général a été clair: "une disposition de droit interne, même de rang constitutionnel, ne peut en soi justifier une réglementation (…) qui entrerait en conflit avec le droit de l’Union, et en particulier avec le principe de l’égalité de traitement".
Pourtant, Chrisitine Boutin évoque elle aussi, le respect de la souveraineté des États. Un détail lui a peut-être échappé quant à l'application du droit européen: ce dernier a été reconnu comme supérieur aux droits nationaux depuis 1965 et l'arrêt Costa.
Si elle se dit "confiante dans la suite que [les juges] donneront à sa demande", espérons qu'elle ne soit pas trop déçue le jour du jugement.