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Tunisie: le silence assourdissant de la France et de l’Europe

jeudi, 13 janvier, 2011 - 16:55

 Les pays européens – la France plus que tout autre – se gardent bien de s’insurger contre la repression en Tunisie. Pour éviter l’islamisme, ils se passent volontiers de démocratie. Sans compter tous ces hommes de pouvoir “taginés” dans des palaces…

Le Maghreb, sa population, n'ont rien à attendre de l'Europe en général et de la France en particulier. Ou pour être plus exact ils n'ont rien à attendre de la Commission européenne, des gouvernements européens et des classes politiques européennes, surtout la française.

C'est l'une des réflexions que je ne cesse de ressasser depuis que l'Algérie et, plus encore, la Tunisie ont été entraînées dans une spirale de violences dont il faut craindre qu'elles ne se répètent (pour l'Algérie) ou qu'elles ne s'aggravent encore (pour la Tunisie).

Pas de leçon à donner ?

Qu'entendons-nous de la part de la classe politique française pour ne prendre que cet exemple ? Un silence assourdissant, parfois troublé par quelques déclarations qui nous expliquent que tout ne va pas si mal au Maghreb, que les trois pays ne sont pas des dictatures, que des progrès importants ont été réalisés et que la France n'a pas de leçon à donner (elle qui passe son temps à le faire quand il s'agit d'autres pays dits voyous tels l'Iran ou la Syrie). Imaginez une voix, un peu cassante, un peu impatiente, certainement pas gênée: "des morts ? Oui, d'accord, mais cela finira bien par changer…" Désinvolture, mépris…

On pourra me demander mais que peut l'Europe ? Que peut la France ? Et j'imagine que les défenseurs de la souveraineté nationale s'apprêtent à bondir. Je les entends déjà m'accuser de trahison pour avoir appelé, ou tout simplement évoqué, une quelconque interférence étrangère dans les affaires des Algériens mais aussi des Tunisiens, sans oublier les Marocains – lesquels sont embarqués dans la même galère même si cela ne bouge guère chez eux, en ce moment (cela viendra, croyez-moi).

Contre les cris, le son de la télé…

Disons donc que la France et l'Europe sont dans la même position que celui qui entend son voisin cogner femmes et enfants jusqu'au sang. Ils peuvent effectivement se boucher les oreilles ou monter le son de la télévision. Ils peuvent regarder ailleurs et uriner sur ces valeurs dont ils se gargarisent si souvent, en se posant comme exemple à suivre par le monde entier. Ensuite, quand ils croiseront le coupable dans les escaliers, ils discuteront avec lui comme si de rien n'était. Et la vie suivra son cours, du moins pour celles et ceux qui ne l'auront pas perdue.

En réalité, la France et l'Europe sont dans une position bien plus forte qu'on ne le croit. N'existe-t-il pas un certain accord d'association signé, de façon séparée, par l'Union européenne et les trois pays du Maghreb ? Cet accord qui fait la part belle au libre-échange et à la baisse des tarifs douaniers, n'est-il pas accompagné d'un volet qui porte sur la question des droits de la personne humaine ? De même, ce fameux «partenariat privilégié» que l'Europe agite comme une carotte aux yeux des pays du sud et de l'est de la Méditerranée, n'est-il pas aussi porteur, du moins sur le papier, d'exigences à propos du respect des libertés individuelles et du pluralisme politique ?

Le chantage à l’islamisme

Il est vrai que les Européens sont tétanisés. Les régimes maghrébins, nous expliquent-ils, sont malgré tout le rempart contre tous les «ismes» : l'intégrisme, le radicalisme, le terrorisme, l'islamisme. Etrange mais très habituelle situation où celui qui crée le problème se targue d'être le seul à le résoudre. Le fait est que les pouvoirs maghrébins font chanter l'Europe avec cette menace de l'islamisme. Ils savent que c'est un sujet dont la seule évocation fera taire les scrupules et disparaître les bons conseils à propos de l'importance d'un Etat de droit et du respect des libertés.

Ce n'est pas tout. Si la France politique – Verts exceptés – est si silencieuse, c'est aussi parce qu'elle est tenue. Voilà le grand tabou qui devient tellement évident quand le Maghreb s'embrase. Nous le savons tous. C'est même de bonne guerre. Parmi ceux qui clament, contre toute évidence, que la démocratie fait son chemin au Maghreb, combien sont vraiment sincères ?

Invités d’honneurs et experts de salon

Et combien ont peur que soient révélées leurs compromissions ? Que cessent leurs vacances au soleil, tous frais payés, dans des palaces de luxe ou des palais ? Combien sont «couscoussés» ou «tajinés» ? Combien ont peur que ne soient révélés leurs rapports bidons, dûment rémunérés ?

Combien ont peur que ne soient dévoilés leurs petits péchés mignons ou, plus grave encore, leurs turpitudes et leurs actes immoraux – dont ils n'ignorent pas qu'ils ont certainement été enregistrés et filmés par ceux qui sauront les ramener dans le droit chemin, s'ils osent la moindre critique ? Quand les Maghrébins auront repris leur destin en main, et cela finira par arriver car rien n'est immuable, il faudra se souvenir de ces lâchetés intéressées.

(Chronique parue le 13 janvier dans Le Quotidien d'Oran)
 

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