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Un Défenseur des droits peu défendu

mardi, 18 janvier, 2011 - 15:29

Les députés examinent depuis une semaine le projet de création d'un Défenseur des droits présenté par le garde des Sceaux, Michel Mercier. Le vote est prévu aujourd'hui. Véritable "monstre à cinq têtes" à la botte du gouvernement ou contre-pouvoir efficace sur le modèle des "ombudsman" suédois et danois?

La République va-t-elle enfanter un "monstre à cinq têtes" dixit le Parti Socialiste? "Pourquoi avoir peur de ce que l’on a créé ? Le Défenseur n’est pas un monstre! C’est un vrai progrès dans la défense des droits", répond le garde des Sceaux Michel Mercier, fervent défenseur de la nouvelle fonction – prévue par la révision constitutionnelle de juillet 2008. Les députés votent ce mardi.

La nouvelle entité regroupera cinq autorités: le médiateur de la République (né en 1973), le Défenseur des enfants (2000), la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS, 2000), la Halde et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

"Un mastodonte administratif", pronostique Noël Mamère (Europe Écologie Les Verts). "La technostructure va prendre le pouvoir !", enchérit René Dosière, député apparenté PS.

A l'inverse, pour Patrick Ollier, ministre chargé des Relations avec le Parlement et l’un des laudateurs du projet, l'organisation actuelle de la défense des droits en autorités indépendantes "manquait de clarté pour nos concitoyens". La nouvelle structure unique sera "plus lisible", sa saisine, "directe et gratuite", "plus facile". Un projet en accord, selon le gouvernement, avec la "République irréprochable" voulue par Nicolas Sarkozy.

Recul des contre-pouvoirs

Avec pour mission de veiller au respect des droits et libertés par les administrations, les collectivités territoriales et les établissements publics, le Défenseur des droits devrait susciter le consensus.

Pourtant, ce pouvoir "tout en un" irrite dans les rangs de gauche, mais aussi à droite. D'abord en raison de son mode de désignation. Le Défenseur des droits sera en effet nommé en Conseil des ministres, sur proposition du président de la République. Ce garant de la justice sera assisté d’"adjoints", nommés eux aussi par le Premier ministre. Enfin, le nouveau "justicier" devra être âgé de moins de 68 ans.

A droite, le député UMP Christian Vaneste alerte : "Il ne faut pas que ces nominations relèvent seulement du fait du prince !"

Autre critique récurrente, le Défenseur des droits incarnera des structures considérées jusqu’alors comme des contre-pouvoirs. A la trappe donc, cinq institutions garantes d'un équilibre… et leurs représentants avec. Inquiets, certains de ces derniers déplorent un nouveau poste aux compétences trop larges. A l’image de Dominique Versini, futur ex-défenseur des Enfants : "supprimer le défenseur des enfants, ce serait une première en Europe (…) aucun enfant n’écrira au défenseur des droits. Ils ne sauront pas ce que c’est !"

"Ombudsmania"

Véritable tendance, les "ombudsmans" sont répandus dans le monde entier. Ce terme suédois désigne une personne indépendante et objective qui enquête sur les plaintes des gens et porte doléances des citoyens, des usagers ou des consommateurs. En Europe, 40 des 47 pays présents dans le Conseil de l’Europe ont leur ombudsman – dit aussi Médiateur dans certains États. En 2006, près de 120 pays se vantaient d’avoir leur propre Monsieur Défense des droits. Qui n'a parfois (comme en Tunisie jusqu'à présent!), que des pouvoirs limité.

Toutefois, à la différence de la France, la majorité des ombudsmans sont généralement nommés par voie parlementaire, ce qui suscite moins de contestation. Chaque pays possède son mode de désignation et les compétences de ces garants varient. On distingue trois États où les Ombudsman sont rois. Incontestés, ils jouissent d’une notoriété sans faille en Suède, au Danemark et en Espagne.

En Suède, depuis 1809

Les ombudsmans suédois sont les pionniers de la fonction. Au nombre de quatre, ils plaident depuis 1809 pour rendre justice auprès des citoyens suédois. Tout à fait légitimes aux yeux de leurs concitoyens, les ombudsmans sont nommés par le Parlement. Se sont ajoutés au fil des ans des sortes de "sous-ombudsmans" thématiques chargés de la consommation, de l'égalité des chances, des discriminations ethniques, du droit des enfants, des handicapés et même des homosexuels, depuis mai 1999.

Danemark : un pouvoir étendu

Au Danemark l’ombudsman du Parlement est né en 1954. Juriste et élu par le Parlement, il enquête sur les plaintes déposées contre l’autorité publique. Il peut émettre des critiques et recommander aux autorités de revoir leurs décisions. Chaque année, l’ombudsman danois reçoit quelques 4000 plaintes de la part de citoyens qui s’estiment victimes d’une erreur commise par les autorités. Il dispose de quelque 85 collaborateurs. Son domaine d’action est très étendu. En ce moment, l’ombudsman planche sur l’attitude du gouvernement danois, dans l’affaire des vols de la CIA, avec de nouveaux éléments révélés par Wikileaks.

Espagne : pour tourner la page du franquisme

En 1982, l’Espagne s’est dotée d’un "Défenseur des peuples" – titre plus séduisant – histoire de tourner la page de la dictature franquiste. Ce défenseur contrôle des actes de l'administration, veille à la sauvegarde des droits et libertés et a même le pouvoir de saisir la Cour constitutionnelle en cas de violation des droits fondamentaux. Il nomme également d’autres défenseurs au sein des communautés autonomes espagnoles.

"L’Ombudsmania" atteint aussi la scène internationale. L’Union Européenne (depuis1995) ou encore l’Organisation des Nations Unies (depuis 2002) ont leur ombudsman.

En avril dernier, à Monaco, les Défenseurs des 40 pays présents au Conseil de l’Europe se sont réunis pour présenter leurs différentes structures respectives. Une première. Manière de rendre justice à leur propre fonction, encore trop méconnue de certains.


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