Réunis à Bruxelles lundi 31 janvier pour le Conseil des Affaires Etrangères, les chefs de la diplomatie des Etats-membres ont décidé de geler les avoirs de l'ex-président tunisien Ben Ali. L'Union Européenne emboite ainsi le pas à la France, la Suisse et l'Autriche. Explications sur les procédures mises en place.
Suite à la demande des autorités tunisiennes, les avoirs de Zine El Abidine Ben Ali et de son épouse Leïla Trabelsi vont être gelés au niveau européen, ont déclaré lundi les ministres des Affaires Etrangères des 27 au sortir d'une réunion du Conseil. Les chefs de la diplomatie n'excluent pas d'y ajouter les noms de proches du président déchu dans un avenir proche.
La diplomatie européenne en marche
A l’issue d’une réunion d’experts, jeudi 20 janvier, l’UE avait annoncé sa volonté d’œuvrer pour geler prochainement les avoirs du président Ben Ali et de membres de sa famille.
Nous travaillons sur un ensemble de mesures afin d'aider la Tunisie (…) et ce, en contact avec les autorités tunisiennes",
avait déclaré Maja Kocijancic, porte-parole de Catherine Ashton, Haute Représentante de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune.
Pour engager la procédure, il fallait que Tunis fournisse une liste des personnes à toucher : c'est chose faite depuis mercredi dernier, date à laquelle la Tunisie a lancé un mandat d'arrêt international contre le président déchu et son épouse Leïla Trabelsi, pour "acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers" et "transferts illicites de devises à l'étranger".
La réunion du 31 janvier devait également examiner le projet de proposition législative sur le gel des avoirs des groupes criminels organisés qui profitent de l'ouverture des frontières intérieures pour étendre leurs activités. Elle résulte d'une demande urgente formulée le 20 janvier par les ministres des Affaires Intérieures.
Pour une fois, Paris réagit
Le parquet de Paris avait annoncé, lundi 24 janvier, avoir ouvert une enquête préliminaire sur les biens en France de l'ex-président tunisien à la suite d'une plainte déposée par trois organisations non-gouvernementales (Sherpa, Transparency International et la Commission arabe des droits humains) pour "corruption, détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, abus de confiance et blanchiment aggravé commis en bande organisée".
Interrogé sur la question des avoirs de Ben Ali lors de la conférence de presse de présentation de la présidence française du G8-G20, lundi 24 janvier, Nicolas Sarkozy avait affirmé que la France s’engagerai à "rechercher systématiquement les richesses pillées par Ben Ali qui doivent être rendues au peuple tunisien". Revenant sur le déroulement de la gestion diplomatique critiquable et pour le moins critiquée de la France vis-à-vis de la Révolution de Jasmin, soulignant l’importance du "poids de l’Histoire", le Président de la République avait annoncé une "ère nouvelle de relations de confiance fondées sur des valeurs partagées" et sa volonté d’accélérer le processus d’attribution par l’Union Européenne du statut avancé à la Tunisie.
Si ce partenariat privilégié se fait sur le modèle de celui accordé au Maroc en 2008, cela permettrait le renforcement des liens économiques avec la Tunisie et sa participation à certaines organisations européennes (Europol, Eurojus, …).
La France volontaire
A l’origine d’un appel pour un "gel européen des avoirs" de Ben Ali, et oeuvrant au niveau de l’Hexagone pour empêcher la fuite de la fortune tunisienne, le ministère français des Affaires Etrangères n’a, cette fois, pas voulu apparaitre en retrait comme l’ont montré les déclarations de son porte-parole jeudi dernier.
Comme l’a annoncé le président de la République dès samedi dernier, la France a pris à titre national toutes les mesures nécessaires pour obtenir le blocage de toute transaction suspecte".
Concrètement, la décision de gel des avoirs ne peut se faire qu’à un niveau : par le procureur de la République de Paris après dépôt d’une plainte ou par décision internationale, comme l’a rappelé le porte-parolat du ministère des AE. Au niveau du ministère des Finances, les avoirs du clan Ben Ali sont actuellement "surveillés" par Tracfin, organisme de lutte contre les mouvements suspects de capitaux, où une cellule ad hoc dédiée est chargée d’alerter les autorités de tout mouvement financier suspect. Elle peut procéder à un blocage administratif de 48 heures si des mouvements anormaux sont observés, blocage qui entraine ensuite une procédure judiciaire pouvant déboucher sur un gel des avoirs.
L'UE coordine ses efforts
En Suisse, où la procédure est la même, "l’Association des Tunisiennes et Tunisiens de Suisse a demandé au Conseil Fédéral de bloquer les biens détenus par l’ancien président, et le Parti Socialiste doit formuler la même demande à la Commission de politique extérieure des Etats", rapportait le 16 janvier le site tsrinfo.ch.
L'Autriche est allée dans le même sens en annonçant samedi 29 le gel immédiat de tous les éventuels avoirs de Ben Ali et de sa famille sur son territoire. Le ministre des Affaires étrangères Michael Spindelegger a déclaré : "Nous soutenons la Tunisie dans ses efforts pour une démocratisation pacifique".
La décision prise lors du Conseil des Affaires Etrangères est un pas sur le chemin d'une diplomatie européenne qui se donnerait les moyens d'avoir une action commune. Reste maintenant à voir ce que cela va donner en pratique …