Après plusieurs "affaires", la France pourrait légiférer sur la prévention des conflits d’intérêts. Un rapport a été remis ce mercredi à Nicolas Sarkozy. Le problème est loin d’être franco-français : à Bruxelles, de plus en plus d’anciens commissaires se reconvertissent trop vite dans le lobbying.
Comment venir à bout des conflits d’intérêts, cette gangrène qui mine les institutions nationales et européennes ? L’été dernier, quand tous les médias faisaient écho à l’affaire Woerth-Bettencourt, Nicolas Sarkozy avait demandé qu’une commission de réflexion soit mise en place sur ce sujet.
C’est chose faite… Jean-Marc Sauvé, vice président de Conseil d’Etat, Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la Cour d’appel de Paris et Didier Migaud, président de la Cour des comptes ont remis leurs 29 propositions au Président de la République.
Les trois magistrats suggèrent en premier lieu d’inscrire la définition et les règles de prévention du conflit d’intérêt dans la loi. Il y a conflit d’intérêt quand l’intérêt privé d’une personne risque d’influencer -ou de sembler influencer- la conduite d’une mission de fonction publique.
Le rapport préconise par ailleurs d’ "instaurer un dispositif de déclaration d’intérêts" pour un certains nombre d’acteurs publics (4 000 personnes concernés) au premier rang desquels figurent bien sûr les membres du gouvernement. Martin Hirsch, ancien Haut Commissaire aux Solidarités actives avait fait cette proposition dans son livre : «Pour en finir avec les conflits d’intérêts».
Interdire les cadeaux supérieurs à 150 euros
Les membres de la commission insistent aussi sur la nécessité de durcir certaines incompatibilités de fonctions. Pour exemple, un ministre devrait renoncer à son mandat exécutif local et à ses fonctions d’administration ou de direction dans un parti politique. La double casquette d’Eric Woerth en tant que ministre du budget et trésorier de l’UMP avait fait jaser les esprits de l’Assemblée nationale.
Enfin, un réseau de déontologue serait chargé de surveiller toutes institutions administratives. Ce réseau sera animé par une "autorité de déontologie de la vie publique" composé de hauts magistrats, incorruptibles bien évidemment.
Cadeaux en tout genres et autres rétributions officieuses feront l’objet d’un contrôle «à l’exception de ceux qui sont mineurs» précise le rapport (inférieur à 150 euros). Le système de déclaration obligera les bénéficiaires à remettre ces cadeaux à la collectivité concernée.
Transparence International France (TIF), section française de Transparency International (principale organisation de la société civile de lutte contre la corruption) a, dès la remise du rapport, salué "le dispositif proposé qui correspond aux meilleurs standards internationaux et appelle à son extension aux élus nationaux et locaux".
L’organisation insiste toutefois sur la nécessité de donner le droit aux citoyens de pouvoir saisir l’Autorité de la déontologie pour s’assurer de la bonne application des règles. Enfin, TIF appelle à ce que soit accordé a cette autorité des moyens d’audit et d’investigation.
En France, à droite comme à gauche, les hommes et femmes politiques ne se gênent pas pour user de leur fonction pour faire du lobbying. François Pérol, ancien conseillé économique de Nicolas Sarkozy avait été parachuté à la tête du groupe Caisse d’épargne/Banque populaire alors qu’il avait pris part aux opérations de fusion.
Or une loi de 2007 interdit à tout fonctionnaire de travailler pour une entreprise qu’il a surveillé ou conseillé dans les trois ans précédant son départ. Dans le doute, il doit saisir la commission de déontologie. Autre cas flagrant de conflit d’intérêts, Jeannette Bougrab alors présidente de la HALDE avait organisé un colloque sur l’assurance alors qu’elle fait partie du lobby des assureurs. Les propos du débat avaient été légèrement orientés…
Le pantouflage des anciens commissaires européens
Ces problèmes de conflit d’intérêt ne sont pas exclusivement franco-français loin s’en faut ! Les lobbyistes courent les rues de la capitale belge, ils seraient 15 000 selon la Commission. Les anciens dirigeants européens sont de plus en plus nombreux à se recycler dans la défense d’intérêts privés en relation avec leur ancienne fonction.
En 2006, Melchior Wathelet, ancien juge de la Cour de justice de l’Union européenne avait assuré la défense de la société Microsoft face à cette même juridiction. Sur les treize commissaires ayant quitté leur fonction en février 2010, au moins six ont rejoint le secteur privé.
La Bulgare Meglena Kouneva, ancien commissaire à la protection des consommateurs a rejoint BNP Paribas. C’est elle qui avait préparé la "directive Crédit" sur les prêts à la consommation, supprimant plusieurs protections pour les emprunteurs. La "campagne de féminisation du personnel dirigeant" avait été l’argument officiel de la banque au moment de son embauche.
Enfin le cas de Günther Verheugen est un cas d’école du conflit d’intérêt. Cet ancien commissaire aux entreprises et à l’industrie (2004 à 2010) propose par le biais de sa société de relations publiques d’aider "les hauts dirigeants des institutions publiques et privées et des entreprises" dans leur action de lobbying envers l’UE.
Face à cette situation, le Parlement européen et plusieurs ONG se battent depuis des années pour que soit revue le code éthique de la commission européenne. Quant à la France, rien n’est encore fait puisqu’il appartiendra à Nicolas Sarkozy et à François Fillon de rendre leurs arbitrages. "Ce qui est important, c’est de ne pas détricoter le rapport" affirme-t-on dans l’entourage de la commission de réflexion. On se souvient du sort réservé au rapport Attali dont on attendait tant à sa présentation…