Plusieurs États européens ont renoncé à renvoyer en Grèce les demandeurs d'asile. Ils craignent d'être condamnés, comme la Belgique, par la Cour européenne des droits de l'homme. La France réserve encore sa décision, tout en soutenant la création d'un mur à la frontière gréco-turque.
Les uns après les autres, les États européens suspendent les renvois de réfugiés vers la Grèce, craignant d'être condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), comme l'a été la Belgique vendredi dernier.
La position française, elle, se fait attendre : en visite à Athènes, Brice Hortefeux a expliqué qu'il donnerait sa réponse "dans les prochains jours". En 2008, déjà ministre chargé de l'immigration, il avait répondu à des associations que la France n'entendait pas changer de politique, arguant du faible nombre de clandestins renvoyés vers la Grèce : une soixantaine en 2007.
Depuis, ce chiffre a baissé: en 2009, seules 39 personnes ont effectivement été renvoyées en Grèce, moins que vers l'Allemagne (203), l'Italie (160) ou la Pologne (123). Mais, la donne politique a changé.
Les gouvernements ont la trouille, car des milliers de plaintes pourraient être déposées,
déclare à l'AFP un responsable européen, sous couvert de l'anonymat.
La Norvège (15 octobre 2010), le Royaume-Uni (17 septembre 2010), l’Islande (14 octobre 2010) et la Suède (novembre 2010) avaient déjà pris leur décision, avant l'arrêt de la CEDH. Par précaution. Ils examinent désormais eux-mêmes les demandes d’asile des personnes concernées. Le Danemark, puis la Finlande et la Grande-Bretagne ont embrayé. hi encore, la Suisse.
Expulsion conforme aux lois européennes
L'onde de choc européenne trouve son origine en Belgique, condamnée le 21 janvier par la CEDH à verser 20.000 euros – à titre de dédommagement – à un demandeur d'asile afghan renvoyé en Grèce. Cette expulsion est pourtant conforme à la réglementation européenne dite "Dublin II" qui prévoit que toute demande est examinée dans le premier pays d'accueil de l'UE.
Alors que des dizaines de milliers d'Afghans ou d'Irakiens sont entrés en Grèce ces dernières années (par la Turquie voisine), le pays s'estime exposé à une charge disproportionnée en matière d'asile. Les autorités prévoient même la construction d'un mur de 12,5 kilomètres le long de sa frontière terrestre avec la Turquie. Le ministre français de l'Intérieur soutien officiellement cette construction. "Les mesures qui sont engagées, dès lors qu'il ne s'agit pas de restaurer le Mur de Berlin, vont dans le bon sens et nous les soutenons", explique t-il.
¾ des migrants passent par la Grèce
Lors de l'audience de la CEDH, le 1er septembre, le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, avait souligné que "Dublin II" contraignait certains pays de l'UE – en clair, la Grèce – à traiter un nombre de demandes d'asiles outrepassant leurs capacités.
Selon l'Agence européenne de surveillance des frontières extérieures (Frontex), plus des 3/4 des 40 977 personnes interceptées au cours du premier semestre 2010 sont entrées dans l'UE via la Grèce.
Fort logiquement, Athènes se réjouit du changement d'attitude de ses voisins, qu'elle réclame depuis des mois. La secrétaire d'État chargée de l'Immigration, Anna Dalaras, a salué l'"approche positive" des partenaires européens sur "la question de la levée de Dublin II". Sur le fond, c'est pourtant bien sa politique vis-à-vis des demandeurs d'asile qui est lourdement remise en cause.
"La Cour [CEDH] ne sous-estime pas le poids que fait actuellement peser sur les États situés aux frontières extérieures de l’UE l’afflux croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Néanmoins, cette situation ne saurait exonérer la Grèce de ses obligations au regard de l’article 3 [de la Convention européenne des droits de l’homme]", à savoir l'interdiction des traitements inhumains et dégradants.
Un espoir infime
Les juges européens ont, en effet, considéré que le renvoi du demandeur d'asile afghan allait à l'encontre des droits de l'Homme: depuis plusieurs années, de nombreuses organisations soulignent les "défaillances structurelles importantes" de la procédure d'asile en Grèce, rappelle l'arrêt de la CEDH. Les demandeurs sont systématiquement placés en détention, éventuellement brutalisés par la police, relève la Cour. Avec, au final, un espoir infime de voir leur demande d'asile aboutir.
Amnesty international a publié en mars 2010 un rapport accablant sur la question. D'après les chiffres Eurostat, 16 440 décisions d'asile ont été prises en 2009 pour… 210 réponses favorables – soit un taux de 1,3%. Avec ses 14% (au 2ème trimestre 2010), la France passerait presque pour un eldorado. C'est pourtant encore loin des 36% (en moyenne) qu'affichent les cinq autres pays européens qui reçoivent le plus de demandes affichent une moyenne.
Mais, la Grèce est accablée et accablante. Idil Atak, de l'université canadienne McGill, a constaté que "les demandes ne sont enregistrées que les samedis à raison de 50 à 60 dossiers par semaine". A ce rythme, il faudrait, au mieux 15 ans rien que pour examiner les 46 000 demandes d'asile en souffrance!
L'université d'Athènes occupée par des migrants
Face à cette situation, les migrants sont impuissants. Mais, il arrive qu'ils tentent de faire valoir leurs droits. Depuis mardi soir, le principal bâtiment de l’Université de Droit d’Athènes est occupé par quelques 300 migrants, demandant la régularisation de leur situation, soit par l’octroi de l’asile dans le pays, soit en les autorisant à aller vers d’autres pays européens. Une grande banderole surplombe la grande porte d’entrée : "Aucun travailleur sans protection sociale, aucun immigré sans papiers".
Dans le grand hall, se déroule sans discontinuité des assemblées générales, avec beaucoup de jeunes Grecs, visiblement activistes d'extrême-gauche, qui prennent la parole pour dénoncer la politique migratoire grecque et le projet du gouvernement de construire un mur de barbelés à la frontière gréco-turque.
Risque de contagion
Les migrants se sont réfugiés dans les salles de cours du premier étage. Allongés à même le sol, enfouis sous des couvertures, ils ont entamé une grève de la faim. Dès que des journalistes arrivent, ils font le signe de la paix : souvent très jeunes, une vingtaine d’années à peine, la grande majorité du Maghreb, d’Iran ou d’Afghanistan. Ils sont protégés par la sacro-sainte sanctuarisation des universités qui, depuis la fin de la chute de la dictature des Colonels, interdit toute intrusion des forces de l’ordre dans les facs. A l’extérieur, des escortes de policiers anti-émeute, armés de matraques, encerclent le bâtiment, ainsi que d’autres lieux universitaires de la capitale comme l’Ecole Polytechnique.
Le gouvernement craint un phénomène de contagion dans tout le pays. Toutes les autorités grecques (ministère de l’Intérieur, Police, Secrétariat de l’émigration…) se renvoient la responsabilité et le gouvernement est sur le qui-vive, craignant la multiplication de ces occupations de migrants.
"Crise humanitaire"
Cet épisode illustre l'incapacité de la Grèce à faire face à un phénomène s’est développé de façon exponentielle ces deux dernières années avec la fermeture des autres points d’arrivée en Europe, comme Malte, l’Espagne ou l’Italie. La Turquie ayant levé la demande de visas pour de nombreux pays, de nombreux candidats prennent un avion low-cost pour Istanbul, et de là rejoignent en deux heures la frontière terrestre du Nord de la Grèce.
C'est pourquoi, dés septembre 2010, le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR) a appelé l'Union européenne à aider la Grèce, la jugeant confrontée à une "crise humanitaire".
De son coté, la Commission européenne propose depuis des mois aux gouvernements de réviser les accords de Dublin, mais se heurte au refus de la majorité des États, conduits par l'Allemagne et la France. La jurisprudence de la CEDH devrait conforter sa position. Et le projet d'un régime commun pour le droit d'asile, à l'horizon 2012, pourrait enfin voir le jour.
Article actualisé le 27 janvier, à 15h25