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La Bavière veut recruter à l’Est

mardi, 1 février, 2011 - 12:53

La Bavière, plus encore que d'autres régions allemandes, souffre d'une pénurie de main d'œuvre qualifiée. La solution: attirer des travailleurs étrangers. Mais les conservateurs ne veulent pas entendre parler d'une réforme de la loi sur l’immigration.

"L’État Libre de Bavière" recrute. Les entreprises en mal d'ingénieurs et de techniciens vont lancer à partir du 1er mai une campagne de recrutement sur internet dans les pays d'Europe de l'Est auxquels l'Allemagne va ouvrir ses frontières. "Nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas satisfaire la demande de main d'œuvre sur le marché du travail allemand", a reconnu (dans le quotidien Neue Passauer Presse) Bertram Brossardt, président de la fédération de l'économie bavaroise.

"En quelques mois, nous sommes passés de la crise et de la nécessité de sauver les emplois à un problème de pénurie de main d’œuvre", s’amuse Alexandra Gelhaar, la responsable de la chambre de commerce et d’industrie de Rosenheim, une petite bourgade au pied des Alpes bavaroises. Selon elle, ce problème est même devenu "la préoccupation majeure des chefs d’entreprise" de la région.

La Bavière a des problèmes de riche. La région affiche en effet des résultats économiques particulièrement flatteurs: avec ses 12,5 millions d’habitants (soit 15,3 % de la population), le Land pèse pour plus de 18 % dans le PIB allemand. Surtout, son taux de chômage est le plus bas de la République fédérale : 4,5 % en moyenne. Et, dans certaines zones du sud règne clairement le plein-emploi avec des taux de chômage avoisinant les 2,5 %.

L'agence pour l'emploi licencie… faute de chômeurs

En novembre dernier, la ville d'Eichstätt a créé la sensation en supprimant des postes à l'agence pour l'emploi locale. Parce qu'il n'y avait plus assez de chômeurs… Le taux de chômage était tombé à 1,3%.

En réalité, ce taux de chômage, pour remarquable qu’il soit, est préoccupant pour les chefs d’entreprises de la région. Car dans une Bavière vieillissante, trouver de la main d’œuvre, surtout de la main d’œuvre qualifiée, devient une gageure.

Pénurie d'ingénieurs

Ce qui manque et va désormais manquer le plus, c’est le fer de lance de l’industrie locale (composée de PME spécialisés dans les industries de pointe et de grands groupes comme Siemens et BMW) : les ingénieurs, les techniciens, les chercheurs, ceux qui, chaque jour, apportent la valeur ajoutée aux produits bavarois et leur permettent de demeurer compétitifs malgré leurs prix sur le marché mondial.

Sans cette force de frappe de l’innovation et de la qualité, l’industrie allemande risque de perdre pied. Le problème est donc sérieux. Déjà, Alexandra Gelhaar affirme connaître des cas d’entreprises qui ont dû différer ou renoncer à des commandes par manque de personnels qualifiés.

L'immigration contre le vieillissement

Il est vrai que la Bavière vieillit très vite et il suffit de flâner dans les rues des petites villes de la région pour être frappé par l’importance des têtes blanches. Certes, les prévisions de Destatis, l’Insee allemande, sont moins effrayantes pour la Bavière que pour le reste de l’Allemagne : la population devrait stagner d’ici à 2030 et la population active ne reculer que de 5 %. A condition d'attirer des jeunes venus d'autres Länder, mais aussi du reste du monde.

Du reste, toutes les études le disent : l’Allemagne ne pourra pas se passer d’une immigration massive pour maintenir son niveau de performance économique dans les vingt prochaines années, et la Bavière ne fera pas exception.

L’agence fédérale pour l’emploi (BA), qui vient de publier, un plan en dix points pour éviter la pénurie, évoque la nécessité de faire venir 800 000 personnes d’ici à 2025 en Allemagne pour satisfaire le marché du travail. Elle insiste tout spécialement sur les besoins en personnel qualifié. Selon les statistiques du BA, 67 000 places d'ingénieurs n'étaient pas pourvus en en octobre 2010 et seulement 24 000 ingénieurs étaient sans emploi.

Faciliter l'entrée des étrangers

Le ministre de l'Économie, le libéral (FDP) Rainer Brüderle, a souligné récemment "le risque qu'un manque de main d'œuvre qualifiée ralentisse le croissance et la prospérité du pays". Le cabinet d'étude Ernst and Young a en effet calculé que le chiffre d'affaires des entreprises allemandes pourrait grimper de 30 milliards d'euros annuels si elles disposaient de suffisamment de main d'œuvre qualifiée.

Sauf que, aujourd'hui, le droit allemand prévoit une priorité pour les nationaux. Lorsqu'un étranger trouve un travail en Allemagne, il doit demander une autorisation de séjour aux autorités qui ne l'accordent que lorsque l'agence pour l'emploi assure qu'aucun Allemand n'est en mesure de remplir la tâche concernée. Les ressortissants des 15 pays membres de l'UE avant l'élargissement de 2004 ne sont pas concernés par cette "préférence nationale". Les Polonais, les Hongrois ou les Slovaques, si.

A Rosenheim, Alexandra Gelhaar reconnaît qu’on ne pourra pas s’en passer. "Il faut contrôler cette immigration", s’empresse-t-elle d'expliquer, avant de défendre l’idée de faciliter l’entrée des étrangers dans le pays.

Une des principales idées, développées à Berlin par le ministre de l’Économie, est l’abaissement du niveau de revenus – de 66 000 à 40 000 euros annuels – exigé pour un étranger voulant immigrer en Allemagne.

En réalité, la République fédérale doit rapidement changer de culture et prendre exemple sur ceux qui deviennent ses concurrents dans la course aux ingénieurs : Canada, Australie, États-Unis. Le patronat allemand défend un système de "points" à la canadienne pour ouvrir les vannes en fonction des besoins de l’économie.

Bastion du conservatisme

Mais la Bavière, est aussi le bastion du conservatisme allemand. Depuis soixante ans, la CSU, sœur de la CDU d’Angela Merkel, y règne en maîtresse absolue. Elle n’a perdu qu’en 2008 la majorité absolue qu’elle avait depuis 1970. La vision du monde de la CSU est un mélange de libéralisme économique et de forte conscience de l’identité bavaroise et allemande. Une identité qu’elle entretient par des discours parfois à la limite du populisme, notamment sur l’importance croissante de l’islam.

Pour ce parti, le retour de l’immigration est un tabou absolu. On craint d’ailleurs moins le manque de main d’œuvre qualifiée que l’ouverture prévue en mai prochain des frontières avec les pays de l’Est entrés dans l’UE en 2004. Le mythe du plombier polonais prend de nouvelles couleurs sur les bords du Danube et de l’Isar dans une version tchèque ou balte.

Et malgré les pressions des chefs d’entreprise de sa région, la CSU tient bon : pas de changement à la loi sur l’immigration. L’Allemagne compte encore 2,7 millions de chômeurs : assez pour combler les vides. Et, si ça ne suffit pas, la Bavière peut toujours se tourner vers ses voisins. "Il vaut mieux importer de la main d'œuvre d'Europe que de changer les lois sur l'immigration depuis d'autres régions du monde", estime Max Straubinger, un responsable des questions sociales à la CSU.

Attitude suicidaire mais populaire

C’est évidemment une vision simpliste et strictement comptable du marché du travail, mais le parti ne veut pas se couper de sa base conservatrice qui est déjà très décontenancé par le style d’Angela Merkel. Comme il fait évidemment partie de la coalition au pouvoir à Berlin, la CSU bloque pour le moment toute réforme des conditions d’entrée en Allemagne.

Une attitude assez suicidaire qui ne lui nuit pourtant pas dans les sondages. La CSU y remonte, en effet, nettement. Mais pour une autre raison : la popularité du ministre fédéral de la Défense issu de ses rangs, Karl Theodor zu Guttenberg, le playboy très américanisé du gouvernement, chouchou de ses dames et anti-Merkel absolu dans sa façon de se mettre en scène avec son épouse dans les médias. On est loin, évidemment, des problèmes à long terme de l’économie bavaroise.


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