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Les Punks à la Villa Médicis

lundi, 7 février, 2011 - 19:25

Depuis le 17 janvier, en haut des escaliers Renaissance de la féerique Villa Médicis de Rome les visiteurs sont accueillis par ces trois mots: "We are not". Bienvenue à l’Europunk !

Circonscrire l’essence d’un mouvement de rupture comme celui des Punks entre les quatre murs d’un musée représente déjà un certain défi. Lorsque l’écrin s’appelle la Villa Médicis, joyau de la Renaissance italienne qui trône majestueusement au dessus des toits roses de la ville éternelle on applaudit des deux mains la téméraire initiative. Commissaire de l’exposition et directeur de la Villa Médicis depuis 2009, Eric de Chassey ne trouve pourtant là aucune contradiction : "la Villa Médicis est depuis toujours le lieu de croisements et de sollicitations culturelles de ce type".

550 objets pour raconter l’Europunk

L’exposition Europunk raconte à travers un parcours essentiellement iconographique la naissance du mouvement punk européen à partir de la seconde moitié des années 70, au Royaume-Uni, en France mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Italie et aux Pays-Bas. Un laps de temps qui permet d’avoir assez de recul "pour analyser sa profonde influence sur la culture européenne contemporaine".

Les 550 pièces de l’exposition comprennent des œuvres signées par des artistes reconnus, des Bazooka à Jamie Reid, collectionnées dans toute l’Europe. On peut ainsi admirer des tee shirts percés d’épingles à nourrices comme des collections de fanzines, des affiches des concerts mythiques du mouvement, des dessins et collages, des photocopies, et, bien sûr, les incontournables pochettes de disque ou de films : "le punk a produit musiques et images sans faire de l’art mais avec l’ambition de changer la vie. C’est de cette contradiction que se trouve son moment d’extraordinaire créativité. C’est de cette constatation qu’est venue l’idée de se concentrer sur l’aspect visuel" ajoute Eric de Chassey.

Courte histoire que celle des Punks : elle  commence avec la première apparition télévisuelle des Sex Pistols en 1976 – date officielle de la naissance du mouvement punk – dans l'émission "So It Goes" de Granada Television de Manchester. Elle se conclut, selon les historiens punks, par le premier passage à la BBC de Joy Division, en 1979.

1976 – les Sex Pistols chantent « God Save the Queen » à la télé

Outre le fait qu'elle a marqué l’histoire musicale, la célèbre première apparition des Sex Pistols à Granada Television est particulièrement mise en valeur par l’exposition parce qu’elle signifie tout de suite ce que fut l’impact visuel du Punk. Le grand public voyait pour la première fois un vrai "mouvement",  fruit du travail de stylistes comme Malcom Mc Laren, Vivienne Westwood et des images de Jamie Reid, créateur du fameux visage de la reine Elisabeth dont les yeux et la bouche sont couverts du titre de la chanson "God Save The Queen".

Cette apparition marque le moment décisif de la créativité punk : elle dévoile surtout au grand public un spectacle visuel qui fait de la violence un canon esthétique. Ces images provocatrices iront d’ailleurs bien au-delà de la brève expérience du groupe musical qui se sépare après une tournée chaotique aux Etats Unis en janvier 1978.

Bazooka – l’arme de la bande dessinée photocopiée

Le tour d’horizon européen du phénomène commence avec la France et l’impressionnante production du collectif Bazooka, le seul groupe qui ait réussit à traduire visuellement la puissance exprimée musicalement par les Sex Pistols. Un premier groupe d’étudiants des Beaux-Arts de Paris formé d’Olivia Clavel, Lulu Larsen, Kiki Picasso, Loulou Picasso et Bernard Vidal sont rejoints plus tard par Ti5-Dur et Jean Rouzaud. 

Le collectif s’attaque aux arts visuels par le biais de la bande dessinée pour mieux signifier la rupture avec les codes traditionnels : leurs publications apparaissent sous forme de magazines, fanzines, photocopies pour en assurer une plus grande circulation. 

En tant que force artistique radicale, le punk attribue une valeur révolutionnaire aux images : "son principe essentiel part d’une sorte d’urgence créative. Les artistes punks créent sans se préoccuper de savoir dans quels contextes leurs productions vont apparaitre ou si elles correspondent à un canon ou une matière spécifique".

L’important c’est donc de répondre au besoin urgent de produire et d’être diffusé à un très large public, d’où l’usage massif de la photocopie et des pochoirs. Cette liberté créative et l’affranchissement de toute les conventions sont au centre de l’héritage visuel punk, à l’image de la mythique collection de fanzines "Sniffin’ Glue" de Mark Perry présentée dans la salle dédiée au "DIY".

Punk "vendu au capitalisme"

Le mouvement aime prendre des positions contradictoires et utilise volontiers un mélange de symboles nazis et fascistes. Les images font l’apologie de la violence, montre une certaine fascination pour le terrorisme, le radicalisme. "White riot" des Clash en 1976 est emblématique de ses positions politiques radicales, mais il faut attendre 1977 pour que l’imaginaire punk aille côtoyer l’extrême gauche : les Crass, qui dénoncent les Clash "vendus au capitalisme", fondent leurs activités sur l’engament politique et social.  Les images de Gee Vaucher résument cet engagement anarchique repris ensuite par le collectif hollandais Raket et le groupe Rondos.

Des principaux pays européens, l’Italie est clairement restée à l’écart par rapport à la fièvre punk qui embrasait l’Europe. L’exposition explique cette prise de distance par l’engagement dans l’action directe de la gauche de cette époque : "alors que les Sex Pistols chantaient 'La puissance de la bombe', les jeunes italiens révolutionnaires participaient aux brigades rouges et posaient de vraies bombes". La salle "italienne" compare deux icones de l’époque, aux singuliers "destins parallèles" : Sid Vicious, guitariste des Sex Pistols mort à 21 ans d’une overdose d’héroïne fournie par sa mère alors que le riche héritier des éditions du même nom, Giangiacomo Feltrinelli mourait en essayant de faire sauter un pilon électrique de 400.000 volts. Deux jeunes gens qui cherchaient "littéralement leurs lignes guides".

"Le monde est devenu fluorescent"

L’esthétique punk se fonde sur le pouvoir de la régression  combinée à la provocation : les symboles nazis, la pornographie et même la scatologie sont les armes utilisées pour lutter contre l’ordre établi. Les corps et les visages ne sont pas jamais pris en considération si ce n’est dans la parodie ou la dérision, comme le disait "X-ray spex" le "monde est devenu fluorescent".

35 ans plus tard les images de femmes dont le sexe est coupé au cutter ou encore de policiers très clairement sodomisés ont conservé tout leur pouvoir provocateur.

A partir des années 76-77 au Royaume Uni et en Allemagne le mouvement punk commence à être appelé New Wave, c’est la début d’un retour aux formes qui cohabitent désormais avec l’esthétique du chaos. Certains artistes punks comme Peter Fischli excellent dans le jeu d’équilibre entre ces tendances opposées. Mais il représente aussi la fin de la brève histoire du No future.

Immédiate et très visuelle, l’exposition de la Villa Medicis a, entretemps, gagné son pari: raconter l’histoire d’un mouvement qui se voulait en totale rupture avec tous les passés mais qui aura laissé, paradoxalement, une trace décisive dans le futur. 

 

Exposition « Europunk » Villa Médicis, Rome, du 21 janvier au 20 mars




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