Historien des identités, François Durpaire (*) considère que le président français parle à mauvais escient de "l’échec d’un multiculturalisme" qui n’existe ni en France, ni en Allemagne, ni même au Royaume Uni.
Dans l’émission de TF1 "paroles de Français", le président Sarkozy a déclaré: "le multiculturalisme est un échec". Que veut-il dire par là, selon vous ?
Il a dit cela sans savoir de quoi il parlait. Ces propos sont aberrants puisque l’on ne peut pas parler d’échec de quelque chose qui n’a jamais été mis en œuvre en France. La chancelière allemande Angela Merkel il y a quelques semaines ou le premier ministre britannique David Cameron il y a quelques jours ont parlé eux aussi de l’échec du multiculturalisme.
Or, pas plus qu’en France, l’Allemagne n’a jamais appliqué de politiques relevant du multiculturalisme. Ni le Royaume Uni, d’ailleurs, même si, dans ce cas, c’est un peu plus compliqué. En réalité, ces dirigeants emploient ce mot comme synomyme de "différences culturelles". Pour des raisons électoralistes, ils considèrent que rejeter ces différences, cela doit plaire à une majorité de la population.
Comment définir alors le multiculturalisme ?
Une nation multiculturelle est une nation dont l’unité et l’identité résultent de la diversité culturelle. Deux Nations sont authentiquement fondées sur le multiculturalisme : les Etats-Unis et le Canada. Tout le monde connaît la devise américaine : "e pluribus unum" (un à partir de plusieurs). Au Canada, le multiculturalisme figure dans la constitution depuis 1976. On y reconnaît la diversité des héritages ainsi que l’apport de ces différentes cultures à la Nation.
Ce qui mérite d’être souligné, c’est que ces modèles multiculturalistes sont en fait très assimilateurs, beaucoup plus que l’intégrationnisme à la française.
Le modèle français, c‘est celui de l’ "intégration" ?
Soyons prudent. Depuis quelques décennies, on détricote notre base, celle du philosophe Ernest Renan, qui définit la Nation française par la volonté de vivre ensemble. Ce que l’on appelle "intégration" n’est arrivé qu’assez récemment et l’on s’aperçoit finalement que c’est un mot fait pour rejeter. On ne souligne la nécessité de s’intégrer qu’à propos des personnes dont l’apparence où les coutumes sont différenciantes par rapport à un Français "type".
Que signifie "s’intégrer" ? Est-ce que cela veut dire respecter les lois ? Ou bien manger du porc ? ce qui est difficile pour les Musulmans. Ou encore ressembler au groupe dominant ? ce qui est compliqué pour un noir.
On veut nous faire croire aussi que l’assimilation se fait avec le temps, par strates, les plus anciens immigrants étant les mieux assimilés. Mais croyez-vous que les descendants des noirs qui se sont établis en France au XVIII ème siècle sont mieux intégrés que les descendants d’Italiens du début du XXème siècle ?
La situation est très différente en Allemagne ?
Les Allemands ont fait un très gros travail par rapport à leur traditionnelle approche ethnique (le "droit du sang"). Cela dit, les gens ont quand même du mal à s’ôter de la tête qu’être allemand, c’est avoir des parents allemands. Depuis que l’Allemagne s’est ouverte à l’immigration de masse, la réflexion s’est intensifiée. Les propos d’Angela Merkel sur l’échec du multiculturalisme reviennent à clore cette réflexion.
Mais les Britanniques, eux, se rapprochent d’un modèle multiculturel ?
Non, c’est un multiculturalisme d’importation. La Nation anglaise ne se définit pas par la fusion de plusieurs cultures. En fait, on peut parler d’un multiculturalisme post-colonial qui prend la forme d’une juxtaposition de groupes qui cohabitent du fait de l’immigration en provenance de l’ancien empire. On répète ce qui se passait dans les colonies où les gens issus de la culture locale étaient associés au pouvoir britannique pour des raisons pratiques. Mais cela n’a rien à voir avec les Etats-Unis où l’on "fabrique" des Américains à partir de plusieurs cultures.
(*) Outre son site, François Durpaire est responsable du mouvement pluricitoyen.