Décryptage en dix points de la stratégie et des propos de Nicolas Sarkozy lors l'émission "Paroles de Français", quasi coproduite par TF1 et l'Elysée.
Une réunion de famille devient vite, très vite, ennuyeuse dès lors qu'une seule personne monopolise la conversation. Quand en plus, la recette est connue et préparée à l'avance, le diner est sans saveur. L'intervention de Nicolas Sarkozy, hier soir, dans l'émission "Paroles de Français", quasi coproduite par TF1 et l'Élysée, a manqué de sel et de piment. Et les efforts de l'animateur Jean-Pierre Pernaut pour passer les plats n'y ont rien changé.
Consciencieux, récitant à la perfection les fiches préparées par ses conseillers, le chef de l'État a surtout cherché à montrer qu'il était à l'écoute des français, de leurs préoccupations quotidiennes et qu'il maîtrise les dossiers. D'annonces, très peu. Le Président, candidat à sa réélection en 2012, mais au plus bas dans les sondages, a assuré le service après-vente de ses réformes, avec un credo, sur tout les tons : sans moi, la situation serait pire.
En terrain connu et conquis
Pas de grande vision, encore moins un projet de société. Les thèmes choisis par le Président sont classiques et fortement marqués à droite : l'insécurité, bien sûr, avec son corollaire l'islam ; les fonctionnaires privilégiés ; la baisse des charges et la compétitivité de l'industrie française.
Le cadre fournit par TF1 devait pourtant permettre à Nicolas Sarkozy de lancer son opération "reconquête de l'opinion". Aucune contradiction, ou si peu. Rappelons que l'ex-chômeuse présente sur le plateau a retrouvé du travail grâce à la "Semaine pour l'emploi" de … TF1. En terrain connu et conquis, le chef de l'État a usé jusqu'à la corde les vieilles recettes – émotion, menace, compassion, annonce de dernière heure… Une communication bien rodée. Trop, sans doute. Décryptage en 10 points de la stratégie.
1 – L'attitude. Costume noir de rigueur, rien de trop exubérant, Nicolas Sarkozy hoche la tête, acquiesse du menton et prend un air triste comme pour dire "votre histoire me touche", "je suis avec vous". Un peu facile, mais ça passe toujours mieux que les rodomontades envers les journalistes ou le célébrissime "Casse-toi pauv' con".
2 – Des interlocuteurs conciliants. Les neuf personnes présentes sur le plateau avaient été choisies par TF1 pour "illustrer" les thèmes sur lesquels le Président souhaitait s'exprimer. Leur rôle : raconter leur histoire, sûrement pas pour apporter la contradiction ou élever le débat. Souvent mal à l'aise, elles s'excusent presque d'être là. "Je n'ai aucun reproche à faire à qui que ce soit, je n'en sais pas assez", explique l'une d'elle ; la prise en charge des malades d'Alzheimer, "ça évolue quand même, explique un autre. Le gouvernement a mis en place un plan Alzheimer". Le président n'aurait sans doute pas dit mieux.
3 – Reconnaître quelques erreurs. Sans véritable opposition, il est plus facile de faire son mea culpa et de la jouer modeste. "On ne fait pas toujours tout bien", avoue le président. Les voyages de François Fillon et MAM, "c'est sans doute une erreur de notre part", estime Nicolas Sarkozy. Surprise, il reconnait même qu'"on n'a pas réussi" à juguler la délinquance des mineurs. Mais, la modestie a des limites : le soir, explique en substance le Président, je me reproche de ne pas m'être occupé de plus de choses. On n'est jamais si bien servi que par soi-même.
4 – Un présentateur prévenant, ça aide énormément. Jean-Pierre Pernaut recadre les interlocuteurs qui s'égarent : "vous ne vouliez pas parler au Président de vos problèmes d'argent?" Il va même jusqu'à demander à Nicolas Sarkozy de "rappeler [aux Français] les mesures qu'il a prises et, peut-être, [leur] redonner confiance dans les médicaments."
5 – Jouer sur l'émotion. C'est un grand classique, renforcé encore par le cadre de l'émission. Mais, hier soir, Nicolas Sarkozy a fait fort. Passons rapidement sur la séquence consacrée au meurtre de Laetitia, un fait divers certes triste, mais exploité jusqu'à la nausée: "Mais pour moi ce qui fait déborder le vase, c'est cette jeune Laetitia violée par un récidiviste, assassinée par un récidiviste, découpée en morceaux par ce même récidiviste, s'il s'avère que c'est bien lui, les charges sur lui étant très lourdes." Impliquer les Français, que chacun se sente concerné, tel est l'objectif : "une mère qui ne reconnait pas son fils, ça peut nous arriver à tous", assure-t-il. Encore une fois : "je dis aux jeunes, c'est vos parents".
6 – Faire peur. La situation de la France n'est pas mirobolante, mais ce pourrait être tellement pire : heureusement, le Président et son gouvernement nous protègent. Rien de tel que de se présenter en rempart. Mais, avant, il faut faire peur. Florilège : les chantiers navals de Saint-Nazaire, "ça peut disparaitre en quelques semaines" ; les baisses de charges sont nécessaires, sans quoi "les entreprises et les investisseurs vont fuir (…) Il y aura plus de délocalisations donc plus de chômage". Le meilleur pour la fin : "si je continue à embaucher des professeurs (…), les déficits vont se creuser. Ce n'est pas possible, sinon votre enfant ne vivra pas dans un pays libre et indépendant."
7 – Comparer. Depuis quelques mois, l'Allemagne est devenue le modèle à suivre. Plus compétitif, notre voisin aurait su préserver ses emplois industriels. Les Allemands travailleraient plus et à un coût moindre que les Français. Sans être dénuée de fondement, la comparaison est grossière et trop systématique. Surtout, Nicolas Sarkozy se garde bien d'utiliser les comparaisons internationales quand elles ne vont pas dans le sens de son propos. Comme l'a montré Myeurop et comme le rappelle Bastien Bonnefous, sur Slate : "Oui, les moyens pour la justice augmentent, mais Nicolas Sarkozy ne se compare jamais avec le reste des pays européens. Selon le Livre Blanc de l'Union syndicale des magistrats, paru en 2010, la France est 37ème sur 43 pays concernant le budget public annuel alloué au système judiciaire, derrière l'Arménie ou l'Azerbaïdjan."
8 – Faire preuve de courage. Pour sauver le pays et prendre les mesures difficiles, forcément difficiles, qui s'imposent, mieux vaut avoir du courage. Le Président n'en manque pas : la réforme de la dépendance? "On m'a dit, le fait pas, il y a une élection dans un an et demi". Et pourtant, il va le faire. Mais, c'est bien quand il parle de l'islam et de l'immigration que Nicolas Sarkozy donne sa pleine mesure : "il y a une véritable hypocrisie à refuser de voir les problèmes en face. Il faut se poser la question de l'islam. Je refuse la chape de plomb qui s'abat sur nos démocratie depuis des décennies dès qu'on prononce le mot immigré."
9 – Diviser pour mieux régner. Le courage n'empêche pas d'être prudent et d'user des bonnes vieilles ficelles politiques. Faute d'annonces concrètes et de réformes à défendre, Nicolas Sarkozy brosse la droite dans le sens du poil. Et les fonctionnaires trinquent. “Lorsque la crise arrive, aucun fonctionnaire ne se trouve au chômage partiel”. Peu après, le président insiste, sans les nommer précisément : "on ne peut pas toujours donner la priorité aux personnes qui ont un statut."
10 – L'annonce de dernière minute. Faute de grande réforme, Nicolas Sarkozy a tout de même dégainé quelques annonces pour faire bonne mesure. Hasard du calendrier (comment pourrait-il en être autrement?), le président de la République et le premier ministre "ont décidé aujourd'hui [comprendre hier]" de débloquer une enveloppe de 500 millions d’euros pour les chômeurs de longue durée et les jeunes. Une décision opportune. La construction de centres d'apprentissage : "la décision, nous l'avons prise aujourd'hui".
En fait, toutes ces ficelles, ces tours de passe-passe, ne sont pas bien importants. Après plus de deux heures d'émissions lénifiante, c'est encore Jean-Pierre Pernaut qui conclut le mieux : "pardon d'avoir été un peu long à tous ceux qui attendent la série à suivre."