La "Berlinale", Festival international de Berlin, engendre des vagues politiques. Le cinéaste Jafar Panahi, membre du jury, est resté assigné à résidence en Iran. Quant à la version finale d'un film consacré à l'oligarque russe Mikhail Chodorkowski qui est emprisonné, elle a été dérobée.
A la différence de Cannes, qui reste avant tout un évènement pour professionnels de l’industrie cinématographique, la "Berlinale" est le grand festival du public: chaque année, 230 000 places de cinéma sont vendues à cette occasion et la queue est longue, sur la Potsdamer Platz, pour obtenir un sésame. Allemands et touristes compulsent frénétiquement le programme: une tâche ardue, car plus de 400 films sont diffusés à la Berlinale, répartis dans dix sections (dont une consacrée au cinéma culinaire.)
Entre Middle Ouest et Proche-orient
Dés son ouverture, cette 61e édition du Festival international de Berlin a été ternie par l’absence de Jafar Panahi, cinéaste iranien également membre du jury. Arrêté en mars 2010 en Iran, emprisonné, puis assigné à résidence, il a été condamné en décembre à six ans de prison et vingt ans d'interdiction d'exercer sa profession.
Le pouvoir iranien lui reproche d'avoir soutenu et filmé les manifestations antigouvernementales de juin 2009. Sa chaise est restée vide toute la soirée, en signe de protestation. Il a toutefois pu envoyer un message, qui a été lu en ouverture par la présidente du Jury Isabella Rossellini, où il décrit son travail de cinéaste et rappelle :
On m’oblige à fermer pendant 20 ans les yeux sur le monde. Mais j’espère qu’à mon retour, je pourrais voyager dans un monde qui n’aura plus de frontières géographiques, ethniques ou idéologiques. Un monde où les gens pourront, malgré leurs fois ou leurs convictions, vivre en paix ensemble.
La Berlinale organise un débat sur le thème de la censure au cinéma en son honneur. En signe de solidarité, le quotidien allemand Tageszeitung avait adopté aujourd’hui, au lieu de son rouge bordeaux habituel, le vert vif de l’opposition iranienne.
La projection de True Grit des frères Coen, nominé 10 fois aux Oscars, malgré sa qualité et le talent de la jeune actrice Haillee Steinfeld, n’a pu complètement faire oublier l’absence du réalisateur de Le Cercle.
Le front russe
Et dix jours avant sa projection, la version finale du film Mikhaïl Chodorkowski, ascension et chute a été dérobée dans le bureau de son réalisateur Cyril Tuschi, dans la Sophien Strasse de Berlin. A quelques heures près, la diffusion de son film, prévue le 14 février n’aurait pas été possible, mais le réalisateur venait juste de transmettre une précédente version à la section Panorama de la Berlinale.
Quatre ordinateurs contenant les 111 minutes du montage final ont cependant été subtilisés, et les bureaux voisins ont également été visités. Pour Cyril Tuschi, "c’est comme d’être dans un mauvais polar ! En Russie, un climat d’hystérie entoure la première". Certains protagonistes de son film ont reçu des menaces directes.
Protection rapprochée
Pendant cinq ans, le réalisateur a rassemblé 180 heures d’entretiens pour décortiquer la machine de propagande du Premier ministre russe Vladmir Poutine, et parvenir à expliquer comment l’homme le plus riche du pays, Mikhaïl Chodorkowski [plus souvent écrit Khodorkovski en France], est devenu un opposant, avant de se retrouver en prison.
La difficulté : réaliser un film sur un personnage public avec qui il n’était pas possible d’entrer en contact au moins jusqu’en 2017, pour cause d’emprisonnement. Mais Cyril Tuschi a réussi l’impossible: obtenir dix minutes d’interview avec l’oligarque. Suite au cambriolage, les partenaires russes du réalisateur allemand (d’origine russe) lui ont conseillé une protection rapprochée. Bien qu’il ne croie pas à une intervention des services secrets russes, il dort maintenant chez des amis.