L’Union européenne condamne la répression en Libye et presse le régime de faire preuve de retenue et d’ouvrir le dialogue. Des mots qui restent mesurés du fait que l’Italie et la République tchèque entendent ménager Kadhafi.
Une fois de plus, l'Union européenne peine à parler d'une seule voix. L'un des sujets les plus attendus de la réunion du Conseil des Affaires étrangères de ce lundi matin était l'adoption d'une condamnation de la répression libyenne des manifestations par les ministres des AE des 27. La situation en Libye est en effet de plus en plus préoccupante.
Le fils du dictateur Kadhafi, Seïf Al-Islam, évoque un risque de "guerre civile" dans le pays, et le dernier bilan de Human Right Watch fait état de 233 victimes depuis le début des événements, il y a cinq jours, dont 60 pour la seule journée de dimanche à Benghazi. Les condamnations ont été unanimes ce week-end à Paris, Londres, Berlin ou Luxembourg : la Libye doit arrêter la répression sanglante et l'usage disproportionné de la violence pour ouvrir le dialogue avec les manifestants.
La chute de Kadhafi : une catastrophe ?
Et alors que l'UE exprimait ses "fortes inquiétudes", par l'intermédiaire de sa Haute Représentante pour la politique étrangère Catherine Ashton, avec le soutient de la plupart des Etats-membres, c'est un tout autre son de cloche que l'on peut entendre d'Italie et de République Tchèque, où le ministre des Affaires Etrangères évoquait carrément la possible "catastrophe" de la chute de Kadhafi.
Comment définir ainsi une politique étrangère commune pour l'UE alors que tous les pays ne sont pas sur la même longueur d'onde ? Le communiqué commun adopté ce matin débute ainsi:
L'union européenne est extrêmement préoccupée par les événements qui se déroulent en Libye et par les derniers chiffres faisant état d'un très grand nombre de victimes parmi les manifestants. Nous condamnons la répression contre des manifestants pacifiques et déplorons la violence et la mort de civils.
Appel au dialogue
L'Europe reste cependant mesurée dans ses propos : elle "conseille vivement" à la Libye d'arrêter la répression autoritaire en l'exhortant à un retour au calme. Elle préfère jouer sur le terrain de la liberté d'expression en appelant les autorités libyennes à débloquer internet et à autoriser les journalistes à faire leur travail. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est mis en avant pour justifier la prise de position des 27:
Les aspirations et les demandes légitimes du peuple pour une réforme doivent être prises en compte à travers un dialogue ouvert et sérieux mené par la Libye.
Une condamnation en demi-mesure si on la compare à la déclaration faite ce lundi par Jerzy Buzek, président du Parlement européen. Après avoir "enjoint les autorités à mettre un terme à la violence" et condamné "l’usage brutal de la force", ce dernier souligne avec force que les peuples de Tunisie, d’Egypte, de Bahreïn et maintenant de Libye "veulent le changement" et "ne sont plus paralysés par la peur".
Certains pays de l'Union ne mâchent pas leurs mots. Il en est ainsi du Royaume-Uni dont le premier ministre David Cameron martèle:
Ce qui se passe en Libye est effroyable et inacceptable, le régime utilise les formes les plus vicieuses de répression contre des gens qui veulent voir avancer leur pays, l'un des plus fermés et autocratiques du monde.
De même, le ministre luxembourgeois des affaires étrangères Jean Asselborn n'a pas hésité à demander la traduction du dictateur libyen "devant la cour pénale internationale". Mais il n'est pas facile d’appeler "un dictateur, un dictateur" sans provoquer de tollé pour Berlusconi, ami personnel de Kadhafi, qui lui aurait fait connaître le désormais célèbre "bunga-bunga". Samedi, le président du conseil italien déclarait qu'il ne voulait pas interférer dans les affaires du dirigeant libyen.
Je ne lui ai pas parlé. La situation évolue et je ne me permets pas de déranger qui que ce soit", a-t-il déclaré à des journalistes de l'agence Ansa.
Les propos « ahurissants » de Frattini
Immédiatement, l'opposition italienne a réagit violemment à ces déclarations. Parlant de silence "terrible et assourdissant" du gouvernement, Walter Veltroni (Parti Démocrate) a condamné "l'inaction italienne face à un régime oppressif et violent". Des propos "ahurissants" pour Francesco Rutelli (Alliance pour l'Italie), qui s'interrogeait aussi sur la répercussion de ces déclarations au niveau de l'UE.
La position du président du Conseil italien a en effet été reprise en substance par son ministre des Affaires Etrangères, Franco Frattini, qui, en marge de la réunion du Conseil des AE de l'UE, a déclaré que l'Europe ne devait pas chercher à exporter son modèle démocratique à tout prix.
Nous ne devrions pas donner la mauvaise impression que nous exportons notre démocratie. Nous devons aider et soutenir la réconciliation pacifique, mais l'Europe ne devrait pas interférer.
Il devait essayer de convaincre ses homologues européens que la Libye allait s'engager dans des réformes institutionnelles, dans le but de ne pas perdre un allié proche. Mais en plus de la relation politique avec la Libye, c'est la position géographique de l'Italie, porte d'entrée de l'UE pour les pays arabes, qui inquiète les dirigeants italiens. Ils craignent en effet de subir de nouveaux flux massifs de migrants, peu de temps après les vagues de Tunisiens arrivés à Lampedusa. Selon la présidence hongroise de l'UE, Tripoli aurait menacé les 27 de mettre fin à la coopération frontalière pour bloquer l'immigration irrégulière si Bruxelles ne soutenait pas Khadafi.
Réconciliation nationale
La Libye a un "besoin urgent d'entamer un processus de réconciliation nationale, de réconciliation pacifique, de mettre un terme à la violence tout en défendant l'intégrité territoriale de la Libye", a insisté Franco Frattini.
Catherine Ashton a déclaré dimanche "entendre les menaces", affirmant que "au bout du compte, l'UE fait ce qui est juste".
Si la condamnation européenne du régime autoritaire libyen est encore faible pour certains, il est par ailleurs clair que l'Europe est en train de mettre en place une stratégie d'aide pour ses ressortissants:
Nous sommes extrêmement préoccupés, nous coordonnons l'évacuation éventuelle des citoyens de l'Union européenne de Libye, en particulier de Benghazi
Alors que la ministre des Affaires Etrangères espagnole, Trinidad Jimenez, parlait ce matin d'évacuer de Libye les citoyens de l'Union, un avion a été envoyé par Lisbonne en milieu de journée pour rapatrier les portugais et les européens à Tripoli.