Jusqu’au 20 mars, Paris accueille la première édition de Circulation(s). Ce festival de la jeune photographie européenne dresse en 42 photographes made in France, Belgique, Allemagne, Grèce, Lituanie, Italie ou République Tchèque, un panorama d’une nouvelle génération de chasseurs d’images.
L’idée de Circulation(s) naît en 2008 dans la tête de l’association Fêtart, à l’occasion du Mois de la Photo : affirmer la place des jeunes photographes européens dans le milieu de l’image, non seulement en leur donnant l’occasion d’exposer, mais aussi en les fédérant en réseau et en favorisant l’échange et la mobilité des artistes et des œuvres au sein de l’espace européen.
A la galerie Côté Scène, dans le parc parisien de Bagatelle, 42 photographes de divers horizons présentent pour cette première édition un aperçu de leur travail. Quel œil portent-ils sur leurs territoires ? Quelles sont leurs sources d’inspiration ? Leurs inquiétudes ? Comment envisagent-ils l’avenir ?
Regards sur nos sociétés
Tantôt très sociales et documentaires, tantôt plus esthétiques et oniriques, les œuvres exposées proposent une diversité de regards sur nos sociétés.
Sur le thème des migrations, par exemple, l’Italien Alessandro Imbriaco présente une série de paysages urbains sur les habitats de fortune qui ont fleuri à Rome avec l’arrivée de nouvelles populations : de tentes sous les arbres en cabanes de bric et de broc, l’art de la survie et de la débrouille…
Le Suisse Alban Kalulya, lui, souligne la question de l’origine, via des portraits de réfugiés où apparait, discrètement, sur un coin de peau, le contour de leur pays, sous forme de tâche de naissance.
Mon père est hongrois. Nous appartenons à la terre d’où nous venons, celle-ci vit en nous, même si nous vivons loin d’elle. Cette appartenance est parfois discrète, à peine visible ou peu reconnaissable, mais elle se révèlera à qui saura la voir", témoigne le photographe pour expliquer sa démarche.
Autre sujet inspirant : la consommation, traité notamment de manière drôle et décalée par Jean-Jacques Ader. Les "zones naturelles" de l'artiste toulousain évoquent le regard d’un homme qui "se réveille en 2043 et ne reconnaît plus sa banlieue : la nature a repris ses droits sur l’urbanisation, fini les centres commerciaux, il n’y a plus que des champs et des fleurs ! décrypte-t-il. Mon travail questionne la place de l’être humain dans son environnement. Je prends à contre-pied la dramatisation de la consommation à travers l’ironie de la fiction".
De son côté, la Lituanienne Joana Deltuvaite se penche, en très gros plan, sur nos "produits de beauté"(cosmétiques, shampooings et autres rasoirs), qui se révèlent être couverts d’une bonne couche de saleté !
Cette vision révèle la laideur paradoxale de ces objets, comme si leur propre hygiène leur était retirée à mesure que le corps se purifiait, indique la photographe. En total décalage avec le discours des publicités, ils sont le miroir de la malpropreté du corps !"
Plus flippant, les regards sur la Russie de l’Allemande Anna Slakdmann et du Russe Tim Parchikov. La série "petits adultes" de la première dresse le portrait d’enfants de nouveaux riches, saisissants de formatage et de manque de spontanéité, reflets "du contraste extrême entre les hiérarchies sociales, du contrôle des aspirations des familles, d’une certaine idée de la normalité, de la perte de l'enfance ainsi que du désir constant de la gloire". Le reportage du second à Magnitogorsk, "monoville" édifiée dans les années 30 autour d’une usine de métallurgie, désormais l’une des plus polluées du pays, pointe le cadre quotidien d’habitants à la fois figés dans le temps et soumis à la menace de faillite, face à la concurrence de l’industrie chinoise…
Dénominateur commun : les gens
Au gré de l'exposition, on peut également passer un dimanche en République Tchèque avec Jilka Honazna, s’interroger sur le rapport des non-voyants à la photo via la série que leur consacre le Belge Robert Baum, ou partir à la rencontre des "sur-vivants" de Flore-Aël Surun, membre du collectif français Tendance Floue : altermondialistes, exilés, femmes victimes de la traite, punks, déserteurs et autres militants de la nature et de l’amour, "tous ceux qui ont du désir dans les ailes, qui tombent au désespoir, se relèvent, se sauvent et s’envolent aux rêves".
Un moyen de mettre en valeur en filigrane un espace et un héritage culturels communs, voire de dessiner, par le biais de la photographie, les contours d’une identité européenne ? On n’en est pas là… Mais indéniablement, un rapprochement prend forme – à l’instar des actions de Paris-Berlin>fotogroup (ne pas manquer, en début d’expo, le "cadavre exquis" réalisé par 47 photographes).
"Les frontières de l’Europe sont aussi différentes géographiquement que leurs habitants se ressemblent, conclut le Grec Pavlos Fysakis, parti photographier les quatre "fins" du continent, du sud de la Grèce au nord de la Norvège, de l’ouest du Portugal à l’est de l’Oural.
Un seul dénominateur commun : les gens. Facteur le plus important, mais aussi le plus imprévisible. Les habitants de ces territoires semblent tous avoir été au plus profond d'eux-mêmes. Ils sont les gardiens des finitudes européennes, qui, finalement, pourraient être des commencements."
Festival Circulations(s), jusqu’a 20 mars 2011 à la galerie Côté Seine. Parc de Bagatelle, route de Sèvres à Neuilly et allée de Longchamp, 75016 Paris. Tous les jours de 11h à 17h. Lectures de portfolios samedi 12 mars de 11h à 18h30 et dimanche 13 mars 2011 de 11h à 18h30, table-ronde et conférence le samedi 19 mars (gratuit).