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Le nouvel exode des Irlandais

vendredi, 25 février, 2011 - 13:43

Alors que l’Irlande va élire aujourd’hui un nouveau Parlement, les jeunes Irlandais, touchés par le chômage, quittent le pays en masse comme hier leurs parents. Rencontre avec des jeunes et leurs familles.
De notre envoyé spécial à Dublin

D'après l’institut de recherche économique et sociale, jusqu’à 45.000 Irlandais auraient quitté le pays en 2010 en raison des difficultés économiques dans le pays. Lors de la dernière récession, le pic avait été atteint en 1989 avec 44.000 émigrations. Et ce record devrait être largement battu : les chercheurs estiment que 75.000 Irlandais supplémentaires devraient les suivre en 2011, même si 15.000 feront le chemin inverse.

Catherine compte les jours. Il y a deux semaines, son fiancé s’est envolé pour Sydney. Il n’a pas quitté Dublin pour profiter des plages et du soleil de cette fin d’été australe, mais pour trouver du travail. "Il est ingénieur en construction et il n’y a plus de travail pour lui ici depuis longtemps" raconte-t-elle, la voix tremblante. Gênée, presque honteuse, elle refuse d’être photographiée.

Au chômage depuis trois ans, il n’en pouvait plus, aussi bien moralement que financièrement car mon salaire de professeur s’avère tout juste suffisant pour nous deux. Il espère donc être embuché dans une mine. Du coup, nous devions nous marier cet été mais il est possible que nous soyons obligés de tout repousser".

1000 exilés par semaine

La jeune femme se voit mal quitter Dublin pour les arides et peu attrayantes villes minières australiennes, situées en plein désert à 800kms à l'intérieur du pays. Son couple pourrait donc être la prochaine victime de la crise. Une frustration qui risque fort de se ressentir dans les votes des Irlandais, qui élisent aujourd’hui un nouveau Parlement.

Megan vit toujours à Dublin, au moins jusqu’au mois de mars. "L’hôpital dans lequel je travaille a pris de l’avance sur l’annonce des coupes budgétaires", explique cette infirmière de 24 ans. "Il a déjà annoncé la fermeture de quatre services, dont le mien au mois de mars. Mon contrat ne sera donc pas renouvelé et il n’y a déjà plus de travail dans le secteur de la santé où que ce soit dans le pays. Les politiciens disent tous vouloir créer des emplois mais ils feraient mieux d’abord d’arrêter d’en détruire. Du coup, je vais sans doute partir en Angleterre : de nombreux hôpitaux provinciaux nous approchent car nous avons une bonne formation".

L'exil pour fuir la misère, les Irlandais connaissent depuis des générations. Le pays est terre d'émigration depuis le XIXe siècle : fuir pour survivre. Les départs ne se sont pas arrêtés pendant le boom des années 2000 mais les 20.000 partants annuels étaient compensés par 120.000 arrivants" assure John O’Hagan, responsable du département d’économie de l’université Trinity College.

"Mais aujourd'hui, selon les statistiques officielles, chaque semaine plus de 1.000 Irlandais quittent aujourd’hui de nouveau leur pays ! "

L'Australie, nouvelle terre promise

Leurs destinations préférées ne semblent pas être en Europe, en dépit de la liberté d'installation dans les autres pays de  l’Union européenne. Explication de Philip Lane, professeur de macroéconomie à l’université Trinity College, spécialisé sur les recherches européennes: "Malgré le développement des échanges étudiants à travers le programme Erasmus, les qualités linguistiques des Irlandais sont loin d’être extraordinaires".

Ainsi, les Irlandais se réfèrent toujours aux pays qui partagent avec eux la même langue, c’est-à-dire en premier lieu le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis. Nous sommes donc toujours plus proches de Boston que de Berlin !"

De fait, le nombre de demandes de visas de travail d’un an pour l’Australie a doublé par rapport à 2007 (à 24 316), augmenté de 23% pour la Nouvelle-Zélande (à 4 444) et à triplé pour le Canada depuis le début de la décennie (à 3 462). Les autorités jaugent à un millier les Irlandais traversant chaque mois la mer d’Irlande pour s’installer au Royaume-Uni.

Carte des pays anglophones

Sans doute en raison des difficultés posées par l’obtention des visas, les Etats-Unis ferment la marche au sein des pays développés anglophones avec 1.708 Irlandais ayant obtenu le statut de résident permanent. Ils restent néanmoins plus attrayants que l’Allemagne, où seulement 600 Irlandais ont posés leurs valises en 2010.

Parents au chômage

Ces chiffres ne devraient pas baisser. Alors que le chômage ne s’élevait qu’à 4,6% en 2007, il avait atteint 13,6% trois ans plus tard. La baisse de 0,2% du nombre de demandeurs d’emplois enregistrée en janvier serait d’ailleurs due aux départs des jeunes pour l’étranger. En effet, un tiers des 15-19 ans sont actuellement au chômage contre un quart des 20-24 ans.

L’émigration forcée ne concerne pas que les jeunes. Leurs parents sont également touchés, ce qui explique la généralisation de la colère populaire envers les classes politiques. Terry a vu partir ses trois enfants lors de ces trois dernières années et il n’imagine pas les voir revenir avant très longtemps, même si l’un d’entre eux va prochainement passer un entretien professionnel à Dublin.

Comme le disait très justement un autre père à la radio l’autre jour, j’aurais préféré que l’argent que j’ai donné à mes enfants au moment de leur diplôme universitaire ait servi à leur permettre de bien débuter la vie plutôt qu’à se payer un billet d’avion pour l’étranger…"


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