Après les discours anxiogènes du ministre italien de l’Intérieur et les craintes émises par le président de la République, la diplomatie française, par l’intermédiaire de son ministre des affaires européennes, Laurent Wauquiez, en a rajouté aujourd’hui une louche.
Le ministre français a estimé que l'afflux de migrants en provenance de Libye était "un vrai risque pour l'Europe qui ne doit pas être sous-estimé". Une réponse pour le moins frileuse à l’espoir suscité par les révolutions du monde arabe…
"La Libye, c'est l'entonnoir de l'Afrique. Des pays comme le Liberia, la Somalie, l'Erythrée ont des flux d'immigration illégale qui passent par la Libye, a indiqué Laurent Wauquiez, le ministre des Affaires européennes aujourd’hui sur France Info.
Il faut défendre de façon européenne nos frontières, et on ne peut pas accueillir des flux d'immigration illégaux que l'Europe n'est pas capable d'intégrer. C'est potentiellement 200 000 à 300 000 personnes qui, sur l'année, pourraient chercher à franchir la Méditerranée en direction de l'Europe", a-t-il averti, dénonçant un "angélisme" de la gauche sur ce sujet.
Le ministre français n’est pas le seul à agiter ces chiffres déjà brandis par le ministre des Affaires étrangères italien. Selon ce dernier, la remise en cause de l’accord signé en 2008 entre l’Italie et la Libye, menace brandie par Kadhafi, aurait des conséquences catastrophiques. En s’engageant à surveiller ses frontières, le gouvernement libyen aurait largement contribué à la baisse du nombre de clandestins regagnant la péninsule : ils seraient passés de 37 000 à 4 300 par an depuis la signature de cet accord.
Des chiffres exagérés
Les craintes des ministres italiens et français s’appuient sur les données de Frontex, l’agence de surveillance des frontières européennes qui estime qu’entre 500 000 et 1,5 million d’étrangers, pour la plupart d’origine africaine, vivent en Libye. Toutefois, l’agence européenne s’est contentée de relayer cette information et contrairement aux allégations de Marine Le Pen, elle n’a jamais fait état d’un danger de flux migratoires d’une même ampleur.
D’autant plus que personne n’est aujourd’hui en mesure de prédire l’évolution de la situation dans les mois à venir. Seule certitude : quelque 6 000 réfugiés, dont la plupart d’origine tunisienne, sont arrivés entre le 1re et le 15 février sur l’île de Lampedusa, en Italie. Depuis, le flux s’est considérablement tari.
D’autre part, le Haut commissariat aux réfugiés affirme que depuis le début de la "révolution libyenne", aucun départ vers l’Europe n’a été enregistré. Les quelque 100 000 migrants ayant quitté le pays étant principalement arrivés en Tunisie et en Egypte.
Selon le porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Jean-Philippe Chauzny, cité le 1er mars par Euractiv, "La Libye n’est pas un pays de transition vers l’Europe, mais un pays de destination". L’économie libyenne a, en effet, attiré nombre de migrants d’Afrique subsaharienne qui travaillent dans le pays.
Bien que leurs conditions de vie soient déplorables, "la situation actuelle les amène à vouloir rentrer chez eux plutôt qu’entamer un nouveau périple vers l’Europe". Rappelons que les craintes similaires d’afflux de clandestins vers l’Europe occidentale après l’éclatement de l’ex-URSS ou lors des guerres en ex-Yougoslavie avaient, elles aussi, largement été surestimées…
Repli frileux
L’Europe ne serait donc pas capable de retenir les leçons de ses erreurs d’appréciation passées ? A moins que des considérations de politiques intérieures l’emportent aujourd’hui sur la clairvoyance dont elle devrait faire preuve pour profiter du vent de révolte soufflant au sud de la Méditerranée pour bâtir de nouvelles relations avec ces démocraties en devenir.
Le chemin est, certes, semé d’embûches, mais cette tâche est bien plus exaltante qu’un repli frileux pour des Etats, notamment de la part de la "patrie des droits de l’Homme".