Jean-Louis Guigou, fondateur et délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) est l’un des inspirateurs de l’Union pour la Méditerranée. Selon lui, cette construction économique et politique paralysée depuis sa création peut être, pourvu qu’on l’adapte aux nouvelles réalités, un puissant vecteur de développement de toute la région.
Où en est l'Union pour la Méditerranée (UpM) aujourd'hui face à tous les événements dans le monde arabe ?
Nous pouvons dire que l'UpM est malade, mais d'un autre coté tout laisse à penser le contraire: le discours de Nicolas Sarkozy du 27 février, mais surtout les révolutions qui continuent dans les pays arabes montrent que cette union était une anticipation – comme je l'ai toujours dit et défendu – et qu'elle a de l'avenir.
Comme la scène médiatique est occupée par les révolutions arabes qui se propagent de pays en pays, cela ouvre des perspectives énormes de coopération et de développement. Des événements comme l'immolation par le feu de Bouazizi montrent combien est crucial le défi des créations d'emplois dans ces pays pour les 40 prochaines années. C'est une chance pour l'Europe vieillissante, ankylosée, marginalisée, timorée – par rapport aux grandes puissances que constituent l'Amérique et la Chine – une perspective de développement fabuleuse, une autoroute.
La mondialisation nous a fait perdre de vue l'importance du voisinage, nous avions négligé notre Sud méditerranéen. Il se rappelle à notre bon souvenir et ces peuples nous disent que maintenant il faut les aider, coopérer et qu'ils sont prêt à le faire de plus en plus.
Sachant que les buts originels de l'UpM étaient d'ordre énergétique et environnemental, quel peut être son rôle face aux nouveaux enjeux soulevés dans le monde arabe ?
Aujourd'hui, il est difficile de parler de l'UpM. C'était un châssis sur un mouvement: il y a eu une bourrasque et le châssis est parti. Mais le mouvement est toujours là et il va s'accroitre. Laurent Fabius a parlé ce matin d'un pacte. Alain Juppé en a aussi parlé lors de son entrée au Quai d'Orsay. Henri Guaino l'évoque. Même chose pour le président Sarkozy. Tout le monde se rend bien compte qu'il va falloir des ajustements méthodologiques et politiques, mais cela ne remet pas en cause la légitimité économique et politique de l'UpM.
A ce sujet, je lance l'idée qu'il faut réserver la place de coprésident au futur président de la République de Tunisie qui sera élu en septembre, pour leur dire "Bravo, vous avez été courageux en rejoignant la rive des démocrates et pour vous féliciter nous vous proposons la co-présidence de l'UPM". Mais tant qu'il n'y a pas de coprésidents, le processus est en attente. Le système doit attendre un peu que les révolutions se stabilisent dans les pays du Sud.
Mais l'UPM n'a jamais fonctionné…
Je pense qu'il y a eu des erreurs originelles avec une conception trop franco-française dans laquelle nous avons marginalisé l'Allemagne et la Turquie notamment, et où nous avons fait de l'ombre à l'Espagne. Mais il y a des bonnes choses que nous ne pouvons pas négliger. Le concept est fort, c'est quand même une Union avec une parité entre les participants du Nord et du Sud et des projets concrets. C'est beaucoup plus qu'une zone de libre échange
Ce qui manque sur le plan politique, c'est un conseil des chefs d'état européens de la Méditerranée. Il y a une absence de concertation et de stratégie commune évidente. Il faut que nous puissions apporter des réponses aux pays nouvellement libérés, en commençant par aider ceux qui ont opté pour la voie démocratique, ce qui va surement accélérer le processus chez les autres.
Concrètement, comment cela peut-il se traduire ?
Il faut que la banque euro-méditerranéenne soit rapidement mise en place: on a déjà toutes les garanties. Le 16 mars une réunion à ce sujet va se tenir à Barcelone et nous allons proposer des outils pour cela. Je crois aussi beaucoup à un chantier commun de l'énergie, comme la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier avec les Allemands en 1951. C'est sur ce sujet que nous pouvons avancer le plus rapidement car les pays arabes ont des atouts (soleil, gaz, pétrole). Nous sommes complémentaires: nous apportons le marché, le nucléaire, et eux apportent des ressources.
Il y a aussi un grave problème sur la sécurité alimentaire. Il n'est pas normal que nous jetions nos produits en surplus, alors que nos voisins sont confrontés à l'insécurité alimentaire. Alors que ces pays font leur transition démocratique, la refonte de la PAC est un moment opportun. Je ne dis pas qu'il faut que nous fassions un marché commun agricole, c'est encore trop tôt, mais il faudrait que les peuples arabes soient associés à ces réflexions.
L'ensemble des pays européens a-t-il conscience de l'importance de ces enjeux?
La France peut retrouver un rôle moteur grâce à son nouveau ministre des Affaires étrangères. Alain Juppé a une très forte sensibilité sur ces questions: il connait bien la problématique, il est très apprécié dans les pays arabes. Il y a une très bonne image, comparable à celle de Chirac, contrairement à Sarkozy qui est catégorisé Bush et pro-israélien. C'est un avantage incontestable là. La question est de savoir s'il va le jouer, pour convaincre ses partenaires européens et les entrainer dans le processus.
Il faut que tous les Européens prennent conscience de l'importance de la Méditerranée et se disent que c'est le moment de ne plus négliger les voisins du Sud alors que nous avons énormément gâté nos voisins de l'Est.