Dans une tribune publiée dans LeMonde.fr, Sylvain Kahn, professeur d'histoire de l'intégration européenne à Sciences Po propose de faire adhérer la Tunisie à l'Union européenne.
Pour l'Europe, comment soutenir la Tunisie ? (…) Que l'UE place la Tunisie démocratique sur un pied d'égalité. Qu'elle lui propose d'adhérer".
Telle est l'idée de Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po Paris, pour favoriser le développement de la démocratie en Tunisie, quelques semaines après la chute de Ben-Ali.
Le précédent marocain
Mais cela est-il possible? Un pays du Maghreb pourrait-il rejoindre les 27? Il existe un précédent. Dans les années 80, le Royaume du Maroc a relevé le défi en déposant sa candidature pour adhérer à ce qui était alors la Communauté Économique Européenne (CEE).
En 1987, la réponse des chefs d'État et de gouvernement (les seuls habilités à ouvrir les négociations d'adhésion) fut directe: non.
Un État européen, c'est quoi ?
En effet, l'article (49) évoquant les critères pour postuler à la porte de l'UE est clair:
Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l'article 2 et s'engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l'Union".
Pour Philippe Moreau Defarge de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), "cette proposition n'est pas sérieuse. La Tunisie n'est pas un pays européen. Même si nous ne disposons d'aucune définition juridique de ce terme utilisé dans l'article 49, il existe une définition schématique pour dire que c'est un territoire qui irait de l'Atlantique à l'Oural. Le sud de la Méditerranée n'en a jamais fait parti".
La candidature du Maroc fut refusée à ce titre. La Tunisie étant située sur la même rive que le Royaume chérifien, elle rencontrera logiquement le même obstacle. "Sans oublier qu'une nouvelle adhésion doit être acceptée et ratifiée par tous les États membres. C'est honnêtement irréalisable".
La Turquie est juridiquement européenne ?
Sylvain Kahn évoque pour sa part les cas précédents de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne, qui furent soutenus lors de leur transition démocratique à la fin des années 70, par la perspective d'une adhésion à la CEE. Mais pour ces pays, leur "européanité" ne laissait aucun doute.
Reste que le cas turc mérite d'être soulevé. En 2004, le Conseil européen a autorisé l'ouverture de négociations officielles en vue de l'adhésion. Accepter la candidature d'Ankara c'était donc lui reconnaître le statut "d'État européen" comme le précise l'article du Traité précédemment cité. Juridiquement, la Turquie donc bien européenne.
Philippe de Moreau Defarges tient aussi à préciser qu'une "partie du territoire turc se situe indéniablement en Europe".
Et l'idéalisme dans tout ça ?
Autre argument évoqué dans le texte publié dans les colonnes du Monde, celui de l'idéalisme européen:
La Tunisie, si proche et familière bascule dans la liberté : n'est-ce pas une extension des valeurs universelles qui animent en pratique l'Europe depuis la décolonisation et le Traité de Rome ?"
Dans l'hypothèse que cette proposition devienne réalité, le précédent tunisien modifierait profondément la nature de l'UE. Il est vrai que la nouvelle Tunisie pourrait répondre aux critères démocratiques exigés pour adhérer, mais dans ce cas, n'importe quel pays remplissant les mêmes conditions pourrait le faire, du Canada à l'Afrique du Sud en passant par le Brésil.
Mais ne soyons pas pessimistes. Pour soutenir la transition démocratique en Tunisie, il reste toujours l'Union pour la Méditerranée. C'est du moins ce qu'espère un de ses fondateurs, Jean-Louis Guigou.