Les explosions en série des réacteurs japonais mettent définitivement fin au mythe de l'invulnérabilité des centrales nucléaires face aux catastrophes naturelles. Au moment où plusieurs gouvernements prévoient l'allongement de la durée de vie de leurs installations voire la construction de nouveaux réacteurs, le débat est relancé sur la place que l'énergie nucléaire doit occuper.
Paris et Londres vont avoir bien du mal à convaincre que le salut énergétique de l'Europe passe toujours par l'atome. Le nucléaire civil était pourtant revenu en grâce ces dernières années à la faveur, notamment, de la hausse des prix du pétrole. Récemment, la France a d'ailleurs réussi à faire reconnaitre par l'UE que le nucléaire est une "source d'énergie faiblement carbonée", au même titre que les énergies renouvelables.
Mais, le risque d'un accident nucléaire majeur au Japon ravive les inquiétudes en Europe – qui compte 82 centrales et 159 réacteurs, plus du tiers du parc mondial. Au moment où la France, le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne prévoient l'allongement de la durée de vie de leurs installations voire la construction de nouveaux réacteurs.
Angela Merkel décide de fermer deux centrales
Après la Suisse, qui a décidé de suspendre les demandes d'autorisation de nouvelles centrales, l'Allemagne le deuxième pays européen à tirer des conséquences directes de la catastrophe japonaise: Angela Merkel a annoncé ce lundi un moratoire de trois mois et la fermeture des centrales des sites de Biblis A et Neckarwestheim I, réclamés à cors et à cris par l'opposition. Elle a précisé qu'elle n'excluait pas d'autres fermetures au cours des prochains mois.
Cette mesure, même temporaire, pourrait satisfaire l'Autriche, qui avait critiqué la décision de son voisin allemand (fin 2009) de prolonger la durée de vie des 17 réacteurs nucléaires du pays – d'une douzaine d'années en moyenne. Un choix très controversé jusque dans le camp des conservateurs. Une décision, surtout, qui revenait sur la promesse du gouvernement SPD-Verts, dirigé par Gerhardt Schroeder, de fermer de toutes les centrales allemandes en 2020.
Un principe de précaution… électoral
La mesure de précaution prise par Angel Merkel n'est pas dénuée dénué d'arrière-pensées électorales. Le 20 mars, des élections régionales ont lieu en Saxe-Anhalt. Le dimanche suivant, des scrutins se déroulent en Rhénanie-Palatinat et dans le Bade-Würtemberg. Ce dernier Land compte quatre réacteurs, dont deux des plus anciens du pays.
Hasard du calendrier, une manifestation y était organisée ce week-end : elle a réuni 60 000 personnes, formant une chaîne humaine de 45 kilomètres entre la vieille centrale de Neckarwestheim, dont ils demandaient la fermeture, et Stuttgart, siège du gouvernement régional.
La relance du débat sur l'énergie nucléaire pourrait profiter aux Verts et aux Sociaux-démocrates, très mobilisés contre l'énergie nucléaire (Le transport des onze conteneurs "Castor", en novembre 2010 avait été freiné par près de 50 000 militants). Le patron du SPD, Sigmar Gabriel, ancien ministre de l'Environnement de la grande coalition, s'est donc empressé d'expliquer au Spiegel online que "les risques de l'énergie nucléaire totalement indéfendables". Il réclame "une réévaluation au niveau international de la politique nucléaire."
L'Autriche réclame des tests de résistances des centrales
D'autres Etats-membres de l'UE seront sans doute plus difficiles à convaincre. "Nos voisins misent tous sur l'énergie nucléaire, déplore Nikolaus Berlakovitch, le ministre autrichien de l'Environnement. Nous, nous réclamons la sécurité maximale pour la population autrichienne et tous nos voisins doivent pouvoir la garantir à leur propre population".
L'Autriche, qui a rejeté l'énergie atomique dès 1978, occupe une place à part dans l'UE. Les écologistes réclament régulièrement la fermeture des centrales proches de ses frontières, en Slovénie et Slovaquie. Seront-ils écoutés?
L'Europe doit repenser sa position en matière d'énergie nucléaire. Nous voulons une remise à niveau en matière de sécurité ou bien l'arrêt [des centrales],
plaide Nikolaus Berlakovitch
A l'occasion de la réunion des ministres européens de l'environnement, ce lundi à Bruxelles, il a demandé "l'organisation de tests de résistance pour les centrales nucléaires en Europe. Cela doit avoir lieu vite." Il n'a pas obtenu de réponse.
L'Europe sans pouvoir
Pour rassurer leur opinion publique, inquiètent après les explosions en série des réacteurs japonais, plusieurs Etats entendent renforcer leurs procédures de contrôle – tout en assurant que la situation de leur parc nucléaire n'est en rien comparable à celle du Japon.
L'Europe, elle, ne peut ni ne veut prendre position. "Les images du Japon nous montrent que le pire n'est pas inimaginable [en Europe]", a certes reconnu le Commissaire européen chargé de l'Energie, Gunther Oettinger, dans un entretien à la radio Deutschlandfunk.
Mais, la Commission n'a guère de pouvoir : le choix du nucléaire est du ressort des Etats-membres. Elle a tout de même convoqué pour mardi une réunion des autorités nationales de sureté nucléaire et des industriels du secteur pour tirer les premières leçons de la situation japonaise. Le désormais fameux "retour d'expérience".
Three Miles Island, puis Tchernobyl
Le nucléaire civil avait déjà subi un sérieux coup d'arrêt après les catastrophes de Three Miles Island (Etats-Unis) en 1979 (incident classé 5 sur une échelle de 7) et, plus encore, de Tchernobyl (URSS ; niveau 7) en 1986.
- Les projets de centrales ont alors été enterrés en Irlande, en Pologne, au Danemark et en Grèce.
- En 1980, la Suède décide de mettre progressivement fin à la vie de ses réacteurs.
- En 1987, c'est au tour de l'Italie de fermer son dernier réacteur.
- Les Pays-Bas (1994), l'Allemagne (2000) et la Belgique (2003) décident de sortir du nucléaire.
Puis, un à un, les pays européens reviennent sur ces décisions et choisissent d'allonger la durée de vie de leurs centrales (Allemagne, 2010 ; Belgique, 2009) voire même d'en construire de nouvelles (Italie, Suède, Pologne, Finlande).
Autant de projets qui pourraient bien être remisés, au moins pour un temps, en butte à l'inquiétude des opinions publiques. Car, face à l'imminence d'une catastrophe au Japon, les autorités peinent à rassurer.
Les Verts français veulent un référendum
Représentante du pays le plus nucléarisé d'Europe, Nathalie Kosciusko-Morizet s'est retrouvée en porte à faux lors de la réunion avec les autres ministres européens de l'environnement: elle a navigué à vue en tentant de gagner du temps pour contrer la demande autrichienne d'expertiser toutes les centrales nucléaires.
La ministre française de l'Environnement a ainsi estimé que la proposition autrichienne n'était "pas encore très élaborée à ce stade". Paris s'inquiète surtout des conséquences du drame nippon sur l'avenir de sa filière industrielle nucléaire et sur sa stratégie pour faire du nucléaire un outil de la politique européenne de lutte contre le réchauffement.
A l'inverse, les anti-nucléaires français ont eu la surprise de voir Nicolas Hulot rejoindre sans coup férir leurs rangs. Ce dernier avait, certes, évolué ces derniers temps sur la question, mais il était resté jusqu'à présent très prudent en mettant dans la balance les avantages du nucléaire sur la pollution atmosphérique.
Pour les Verts, Daniel Cohn-Bendit et Cécile Duflot en tête, il faut "un référendum sur la sortie du nucléaire". Corinne Lepage de Cap21 est sur la même ligne, alors que les socialistes sont, comme Nathalie Kosciusko-Morizet, gênés aux entournures: un coming out anti-nucléaire serait pour eux peu crédible alors qu'ils n'ont, jusqu'à maintenant, jamais, au gouvernement comme dans l'opposition, défendu cette position.
Un tel virage sur l'angle ne fait pas peur à Jean-Luc Mélenchon: il appelle à sortir progressivement du nucléaire au plus grand étonnement de ses compagnons de route communistes qui restent foncièrement pro-nucléaires au nom de la défense des emplois dans le secteur.
Belgique: des centrales bientôt vieillent de 40 ans
En 2003 le gouvernement belge a édicté une loi limitant la durée de vie des centrales à 40 ans. Conséquence : trois centrales devaient fermer dès 2015 et les quatre autres d'ici 2025. Elles produisent plus de la moitié de l’électricité et 20% de l’énergie consommées dans le pays.
En 2009, changement de cap : le gouvernement décide de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales les plus anciennes – mais le Parlement n'a pas encore entériné cette décision.
"Il doit être faisable de garder les centrales belges sûres et fiables après leur durée de vie de 40 ans, prévue dans la loi sur la sortie du nucléaire", souligne l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une organisation dépendante de l’OCDE dans un rapport publié le 9 mars.
Un avis qui laisse Greenpeace pour le moins sceptique :
On ne connait pas du tout la résistance des centrales vieillissantes et aussi le savoir-faire des gens qui ont travaillé sur ces centrales. Des gens qui vieillissent… Et donc ça nous semble effectivement un bon moment de rester à la décision de sortir du nucléaire de 2003 et de s'engouffrer au plus vite dans tout ce qui est énergie renouvelables,
défend Michel Genet, son directeur pour la Belgique, cité par la RTBF.
Espagne: promesses électorales non tenues
Lors des élections législatives de 2004 et 2008, le premier ministre socialiste, Jose Luis Rodriguez Zapatero, s'était engagé à progressivement les fermer les centrales nucléaires. Il a, depuis, infléchi sa position: en février 2011, le Gouvernement a fait passer l’allongement de la durée de vie des centrales du pays au-delà de quarante ans initialement prévus.
Le réacteur de Garona, le plus ancien du pays, pourra fonctionner jusqu'en 2013 au lieu de 2011. Greenpeace appelle de nouveau à sa fermeture, d'autant qu'il serait conçu sur un modèle similaire à celui de Fukushima No. 1.
"Ce qui se passe au Japon nous rappelle que l'énergie nucléaire est très dangereuse, même quand elle est mise en œuvre dans des pays hautement développés comme le Japon", a déclaré (à la télévision publique TVE) Carlos Bravo, le directeur de la campagne anti-nucléaire de Greenpeace pour l'Espagne.
Grande-Bretagne: Cameron veut accroître la part du nucléaire
Les incidents nucléaires au Japon tombent mal pour le gouvernement Cameron qui espère accroître la part du nucléaire dans la production nationale d’énergie (20% en 2010 contre 27% en 1997). Le Royaume-Uni dispose actuellement de 19 centrales nucléaires en activité sur 9 sites, mais ce chiffre devrait augmenter à partir de 2018 puisque le nouveau gouvernement a confirmé sa volonté de lancer un nouveau programme : au moins six centrales sont dans les tuyaux.
Les autorités ont donc cherché à rassurer : "Le programme nucléaire japonais est différent du nôtre. Nous n'avons pas au Royaume-Uni le type de réacteur impliqué dans cet incident précis, et nous ne l'envisageons pas non plus dans notre futur programme", a expliqué le ministre de l'énergie, Chris Huhne. Et "bien sûr, la grosse différence c'est que nous avons la chance de ne pas vivre dans une zone de risque sismique comme le Japon", a-t-il rappelé.
L'Italie a dit non depuis 1987
"La catastrophe au Japon suscite beaucoup d'inquiétude en Italie", a souligné la ministre italienne Stefania Prestigiacomo. "Nous souhaitons entrer dans le système nucléaire de l'UE, mais nous attendons d'avoir des informations sur la situation des centrales de l'UE", a-t-elle précisé.
L'Italie a abandonné le nucléaire en 1987, après la catastrophe de Tchernobyl et un referendum par lequel 80% des italiens se sont prononcés contre l'énergie atomique. Une décision qui n'a jamais vraiment été remise en cause… jusqu'en 2008 quand le gouvernement Berlusconi a annoncé son intention de construire 13 centrales de nouvelle génération d'ici 2020.