Demandes d’asile acceptées en 2009 (en %)
"Les Français ne sont plus chez eux" du fait d'une "immigration incontrolée" affirme le ministre le l'Intérieur, Claude Guéant. Marine Le Pen prétend, pour sa part, dire toute la vérité aux Français. Mais quelle est cette vérité? Myeurop publie tous les vrais chiffres de l'immigration dans les pays d'Europe. Et cette vérité est loin de celle annoncée par l'UMP et le FN.
Le Front national caracole, l'UMP est à la remorque.
Les Français, à force d'immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale,
a lancé Claude Guéant, le nouveau ministre de l'Intérieur, hier sur Europe 1 (écouter notamment à partir de la 7ème minute).
Seuls les esprits chagrins y verront une visée électorale à l'approche des cantonales. Les plus crédules voudront croire que Claude Guéant, n'a qu'un seul but: dire la "vérité vraie".
La vérité, toute la vérité
La petite phrase du nouveau ministre de l'Intérieur lui a, certes, valu des réactions indignées à gauche. Mais aussi le soutien de son camp. Pour l'UMP, Claude Guéant n'a fait que "tenir un langage de vérité" qui correspond à "ce que les Français nous expriment dans nos villes, nos villages", selon le député Éric Ciotti, cité par le Monde.
Le 11 mars dernier, déjà, Marine Le Pen "donnait aux Français les chiffres officiels de l’immigration pour janvier 2011". Encore et toujours la vérité, toute la vérité. Ou presque.
L'idée d'une politique laxiste en matière d'immigration et la crainte d'un afflux massif de réfugiés en provenance de Tunisie, d'Égypte ou de Libye n'ont pourtant guère de fondement.
Une immigration incontrôlée?
Claude Guéant semble découvrir la Lune : oui, la France est un pays d'immigration. Mais, le ministre de l'Intérieur voit aussi la Lune plus pleine qu'elle ne l'est. D'après les chiffres de l'ONU et de l'INED (Institut national de la démographie), la proportion d'immigrés [étrangers résidant en France + Français aillant acquis la nationalité] est stable depuis 20 ans : 10,7% en 2010 contre 10,4% en 1990.
Le chiffre actuel est supérieur à celui des Pays-Bas et du Royaume-Uni (10%), ainsi qu'à la moyenne de l'Europe (9,5%), mais plus faible qu'en Autriche (16%), Espagne (14%) et Allemagne (13%).
Afficher Populations immigrées sur une carte plus grande / Florian Tixier – MyEurop
Contrairement à la France, la proportion d'immigrés dans la population totale a augmenté de manière significative dans la plupart des autres pays européens. Trois exemples:
- Allemagne : de 7,5% en 1990 à 13,1% en 2010
- Espagne : de 2,1% en 1990 à 14,1% en 2010
- Royaume-Uni : de 6,5% en 1990 à 10,4% en 2010
Pas d'"exode biblique"
En visite médiatique sur l'île italienne de Lampedusa, point d'entrée des migrants en Europe, Marine Le Pen a, mardi dernier, de nouveau, agité la menace d'un afflux massif de clandestins. Près de 10 000 candidats à l'immigration y ont débarqué depuis le début de l'année. Presque trois fois plus que l'an passé.
Un afflux considérable pour un confetti d'Europe de 20km². Mais, on est loin, très loin du déferlement de centaines de milliers de migrants redouté par l'Italie, un ministre, tout en retenue, parlant même d'"exode biblique".
Le Président français avait également fait dans la nuance le 27 février dernier quand il a brandi, en direct à la télévision, la menace de "flux migratoires incontrôlables" [voir à partir de 2' 30''].
"Il y a eu une petite arrivée d'immigrés, liée à un désordre ponctuel en Tunisie, mais pas d'afflux massif, explique au Monde Sandrine Mazetier, députée PS de Paris et secrétaire nationale aux questions d'immigration. L'UMP et le président mélangent volontairement l'immigration à Lampedusa et les populations massées à la frontière libyenne, qui cherchent le plus souvent à rentrer chez elles."
"Il faut arrêter d'agiter des peurs. Il n'y a pas eu d'afflux massif d'immigrés depuis le printemps arabe", insiste Dominique Paillé, ancien porte-parole de l'UMP devenu président de l'office français de l'immigration et de l'intégration. "Mis à part le cas particulier de quelques arrivées à Lampedusa en Italie, qui est à part, tout cela relève de la pure fiction".
Hier, la Commissaire européenne chargée de l'aide humanitaire, Kristalina Georgieva, a appelé la communauté internationale à se préparer à un exode massif de Libye, compte-tenu de l'offensive des forces du colonel Kadhafi.
Rappelons toutefois que, d'après les derniers chiffres du HCR, 280 614 personnes ont déjà fui la violence en Libye : 151 000 personnes vers la Tunisie, 118 000 personnes vers l'Égypte, 2 205 personnes vers le Niger et 9 094 personnes vers l'Algérie. Mais, du moins officiellement, zéro vers l'Europe.
Le droit d'asile accordé à tout-va?
"Le droit d'asile est contourné aujourd'hui. Je vais vous donner un chiffre: en France, 30% des dossiers de demande d'asile aboutissent, en Grèce c'est 0,5%". Voilà pour la leçon donnée par Marine Le Pen (sur France Inter) le 20 février. Et, c'est la vérité (ou presque). Mais pas toute la vérité.
En 2009, la France a donné un avis favorable à 10 415 demandeurs d'asile. Au total, moins d'une décision (en première instance ou en appel) sur cinq a été positive – 19% précisément. C'est assurément plus que la Grèce qui n'a accordé (la même année) sa protection qu'à 210 des 16 460 demandeurs d'asile ayant déposé une requête.
Sauf que la Grèce n'est pas exactement l'exemple le plus pertinent. Confrontée à un afflux de réfugiés (3/4 des migrants pour l'Europe passent par ce pays), la Grèce est, surtout, régulièrement critiquée par les ONG (voir ce rapport accablant d'Amnesty international, publié en mars 2010) qui soulignent les "défaillances structurelles importantes" de la procédure d'asile en Grèce – ainsi que le rappelle cet arrêt récent de la Cours européenne des droits de l'Homme.
L'exception grecque mise à part, les comparaisons européennes révèlent que la France est loin d'être le pays le plus "laxiste". Si l'on s'en tient aux décisions de première instance, son taux de reconnaissance du droit d'asile (14%) est bien inférieur à celui de Malte, des Pays-Bas ou du Danemark, mais aussi à celui de l'Allemagne (36,5%) et de la Grande-Bretagne (27%).