L'Amérique fait-elle encore rêver les jeunes Européens de l'Est? La fascination n'a pas disparue, mais l’attrait pour les États-Unis s'est teinté de réalisme et d’une pointe de désillusion. Rencontre avec de jeunes Polonais et Tchèques, dont le regard sur les États-Unis est plus critique que celui de leurs aînés
Sur l’estrade, Max Kolonko, 46 ans, raconte son rêve américain: parti de Pologne il y a 25 ans pour les États-Unis, il est aujourd’hui correspondant pour la télévision polonaise. Aux États-Unis, un simple journaliste. En Pologne, une star, pourchassée par les paparazzis.
Max Kolonko, journaliste star en Pologne
L’histoire de Max est une success story à l’américaine. Devant ses jeunes fans polonaises qui lui suggèrent de rentrer en Pologne pour profiter de son succès, la réponse est claire:
L’Amérique m’a tout donné, pourquoi je rentrerais en Pologne?
Dans le public, Petr Neugebauer, 19 ans, ne veut rien entendre: non, il ne voit pas les Etats-Unis comme un eldorado. Cet étudiant praguois fait partie des 25 jeunes, européens et américains, qui ont été invités par l’Institut Goethe et l’Académie européenne de Berlin à rédiger un essai décrivant leur fascination, ou non, pour les Etats-Unis. Réunis dans une salle de la Potsdamer Platz, deux visions de l’Amérique s’affrontent.
"Européen avant tout"
le jeune étudiant au visage encore adolescent s'exprime dans un anglais parfait, passionné par le débat. Les failles du système américain ne lui ont pas échappé:
Qu’en est-il du système de santé? De ces milliers de personnes qui se sont retrouvées à la rue à cause de la crise?,
lance-t-il à Max Kolonko. Le débat s’anime. "Moi, avant d’être citoyen tchèque ou citoyen du monde, je me sens avant tout européen."
Lady Gaga, incarnation des États-Unis
Pour Petr, il ne s’agit pas d’antiaméricanisme, mais de réalisme – même s’il ne s’est jamais rendu de l'autre côté de l'Atlantique. Dans son essai publié sur le site de l’Institut Goethe, l'étudiant en "Area Studies" a choisi de décrire sa relation aux Etats-Unis à travers le prisme de… Lady Gaga. "Ça n’a rien de personnel, c’est un exemple très sérieux", se défend-il lorsqu’on esquisse un sourire.
"Aujourd’hui Lady Gaga est la parfaite incarnation des États-Unis: elle en représente parfaitement la société de consommation. Nous sommes obligés de la connaître, pour ensuite être capable de l’ignorer", écrit-il dans son essai.
Petr Neugebauer, 19 ans, étudiant à l’Université St Charles de Prague
De la République tchèque à la Pologne, les États-Unis semblent avoir perdu de leur superbe chez les jeunes générations de l’Est. L’intégration européenne est encore fraiche, et l’envie d’en profiter est bien là. "Ça sonne peut-être comme un cliché, mais appartenir à l’OTAN et à l’Union européenne nous donne la possibilité de grandir et de nous affirmer", affirme Petr, fier de pouvoir citer la marque automobile Skoda comme un vrai exemple de succès tchèque.
Paris, Berlin et Londres plutôt que New-York
L'enthousiasme de Petr n’est pas seulement une lubie d’étudiant. Marcin Zatosny, de l’Institut polonais de Berlin, constate le même phénomène, dans le milieu culturel par exemple. "Les jeunes artistes polonais s’intéressent énormément à l’Europe. Lorsqu’ils souhaitent quitter la Pologne, c’est d’abord pour s’installer à Berlin, Londres ou Paris, qui ont chacune des scènes artistiques importantes et bénéficient de programmes de financements et d’accueil. Les États-Unis ne sont pas du tout au centre des préoccupations."
La relation entre la Pologne et les États-Unis est d’abord stratégique pour Marcin Zatosny. "En Pologne, l’Histoire nous a appris à nous méfier de nos voisins. Alors pour les questions stratégiques, on préfère regarder un peu plus loin."
Réalisme et désillusion face au rêve américain
Mais le lien est aussi historique: "Les États-Unis ont aussi compté parmi les adversaires les plus acharnés du communisme, rappelle Wojciech Orlinski, journaliste à la Gazeta Wyborcza à Varsovie. D’où un lien ténu entre la Pologne et les États-Unis." Et Marcin Zatosny de conclure: "Mais on a aussi bien compris que les États-Unis ne s’intéressent à nous que lorsque ça les arrange."
Sans tomber dans l’angélisme pro-européen ni dans l’antiaméricanisme primaire, force est de constater que l’attrait des jeunes européens de l’est pour les États-Unis a changé. Teintée de réalisme et d’une pointe de désillusion face au rêve américain, elle implique aussi une certaine distance. Petr constate:
Chez les jeunes de ma génération, la fascination pour les États-Unis n’a pas disparu. Nous sommes imprégnés de culture américaine. Mais dans le terme "fascination", je vois intérêt, et avant tout esprit critique.