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Sans papiers: Kafka au royaume de Belgique

lundi, 4 avril, 2011 - 17:12

La politique belge d'immigration et les procédures de légalisation des immigrés sont kafkaïennes. Dans un pays sans gouvernement, les sans-papiers survivent dans le dénuement et la précarité totale, sans savoir vraiment comment pouvoir régulariser leur situation. Ultime recours: manifester.

Ils étaient une centaine vendredi, souriants bien qu’exaspérés, débordant d’énergie, chantant à tue-tête des slogans que l’on entendra souvent dans les mois à venir. Défiant l’austère profil du World Trade Center II de Bruxelles, siège de l’Office des Etrangers, le mouvement "Sans-papiers Belgique" s’était donné rendez-vous le 1er avril au pied de l’édifice pour protester contre la pseudo-campagne de régularisation lancée par le gouvernement Van Rompuy… en 2009.

Cette série d’instructions, destinée à assouplir les critères de régularisation, est une "mauvaise blague", selon Anas, le porte-parole du groupe: "C'est pourquoi nous avons choisi le 1er avril pour relancer le mouvement".

Incertitude juridique

Cette campagne est l’aboutissement de dix ans d’incertitude juridique. Jusqu’en 2009, la politique de l’immigration en Belgique était régie par la loi, plusieurs fois modifiée, du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire national, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. S’appuyant sur ce cadre juridique, une première vague de régularisation a lieu en 1999. Mais en 2004, un arrêt du Conseil d’Etat définit les procédures de régularisation comme un exemple d'"arbitraire institutionnalisé”. Une nouvelle loi est donc impérative, mais le gouvernement préfère éviter tout débat au Parlement sur un sujet jugé explosif.

Au lieu d’opter pour une loi, un arrêt royal ou même une circulaire, le gouvernement préfère tenter de combler le vide juridique par une simple "note d’instruction". “Soit l’échelon le plus bas dans la hiérarchie juridique” expliquait recemment Alexis Deswaef, du Cabinet d’avocats du quartier des Libertés, qui soutient les sans-papiers. Note d’instruction annulée quelques mois plus tard par le même Conseil d’Etat, "car les lois ne peuvent être modifiées que par d’autres lois".

Absurde

C’est donc dans un contexte d’insécurité juridique totale que le gouvernement de Van Rompuy a élaboré en juillet 2009, une série "d'instructions" assouplissant les critères de régularisation.

Du moins en théorie. Dans la réalité les nouveaux critères confinent à l'absurde. La note distingue les demandeurs d’asile des autres sans-papiers. Ces derniers ont eu seulement trois mois – du 15 septembre au 15 décembre 2009 – pour présenter une demande de régularisation. Ils devaient démontrer un "ancrage local durable" et avoir séjourné au moins cinq ans sans interruption en Belgique, en ayant fait des "tentatives crédibles" pour obtenir un titre de séjour. Autre possibilité: avoir séjourné au moins deux ans et demi et pouvoir produire une copie de contrat de travail.

Des dossiers traités après une longue attente

Lorsqu’on vit dans l’illégalité et la crainte d’être expulsé, remplir ces conditions est tout sauf évident. Comment prouver que le séjour a été ininterrompu ? Ou obtenir un contrat de travail quand on est employé au noir ? A tout cela s’ajoute le retard dans le traitement des dossiers.

"Il y a des gens qui sont en Belgique depuis huit ans, qui ont fait la demande et qui attendent toujours une réponse. La vérité, c’est qu’on préfère garder les sans-papiers dans la clandestinité"

denonce "Sans-papiers Belgique".

Du côté de l’Office des Etrangers, on se défend en évoquant le manque de ressources et en soulignant qu’environ 20 000 dossiers ont été traités en 2010. Mais les autorités ne peuvent nier la réalité : la lenteur des procédures aiguise le problème de l’accueil des immigrés, notamment des demandeurs d’asile.

Lutter contre les préjugés

Les centres de rétention – dont le film belge Illégal a montré la terrifiante réalité quotidienne – sont régulièrement des foyers de révoltes ou de manifestations (la plus récente a été organisée hier, à Vottem). Et la désinformation alimente la crainte et les préjugés de l’opinion publique, comme l’a bien démontré le Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiées et immigrés) dans un rapport publié en février 2011.

Les partis qui négocient un accord fédéral depuis dix mois sont prévenus : le prochain gouvernement ne pourra pas ignorer les appels des associations engagées aux côtés des sans-papiers.


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