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Passe ton stage d’abord

mardi, 5 avril, 2011 - 16:25

Le gouvernement britannique veut développer les stages, mais aussi les encadrer. Martine Aubry souhaite les requalifier en contrat de travail. Retour sur une pratique qui concerne la majorité des étudiants européens, pendant et à la sortie de leur cursus.

La jeunesse sera la "grande cause nationale".  Du moins si les socialistes, qui viennent de dévoiler leur programme pour 2012, remportent les élections dans un an.

La priorité des priorités sera de redonner un avenir à la jeunesse. Un pays qui sacrifie sa jeunesse sacrifie son avenir,

martèlent les auteurs du projet socialiste.

Pour répondre aux besoins des jeunes, Martine Aubry a ainsi annoncé devant le Mouvement des Jeunes Socialistes samedi à Paris la requalification des stages en contrats de travail. Sans plus de précision pour le moment.

Chasse aux stages bidons

Pour l’instant, le statut des stagiaires est régi par la loi sur l’égalité des chances de 2006. Le décret du 25 août 2010 a consacré la disparition de la distinction entre les stages "obligatoires"  imposés au titre de la formation, et les stages "facultatifs" laissés à l’initiative des étudiants. Désormais, seuls sont ouverts aux étudiants les stages intégrés aux études et qui présentent un intérêt pour leur formation.

Les universités françaises ont donc du s’adapter et codifier précisément certaines pratiques jusque là plutôt souples. A Paris I Panthéon-Sorbonne, l’une des plus importantes universités de sciences humaines en France, c’est le texte suivant qui a été adopté:

Les étudiants ont la possibilité, dans le cadre de leur cursus pédagogique, de réaliser un stage en dehors des périodes d’enseignement […]. Ce stage, qui a pour but d’acquérir des compétences en cohérence avec la formation, doit être autorisé par le responsable du diplôme.

Une "armée de réserve"

Les stagiaires français bénéficient également d’une "gratification" de l’employeur s’élevant à 30% du salaire minium (417,09€), dès lors que leur stage dure plus de 2 mois consécutifs. Ce qui n’empêche pas le collectif Génération Précaire de dénoncer depuis 2005 l’utilisation par les entreprises d’une "armée de réserve" de travailleurs sans droits.

Aujourd’hui acteur influent sur la question, le collectif revendique un véritable statut pour les stagiaires, qui devrait comprendre:

  • Une rémunération minimum, progressive et sur laquelle seront prélevées toutes les cotisations sociales en vigueur.
  • La garantie que les stagiaires peuvent faire appel, comme les autres salariès, aux Prud’hommes en cas de conflit avec son employeur.

Royaume-Uni: des stagiaires pour les Parlementaires

Outre-Manche, le vice-Premier ministre Nick Clegg pensait faire bonne impression en présentant ce mardi des mesures pour encourager les entreprises à recruter plus de stagiaires et faire en sorte qu'ils soient payés. Raté. L'effet d'annonce a été gâché par Jonny Medland, un ancien stagiaire non rémunéré du Vice-Premier ministre, qui a aussitôt dénonçé l’hypocrisie du leader des Démocrates libéraux:

Ce n’était absolument pas une "expérience de travail" mais exactement le genre de travail pour lequel la coalition insiste aujourd’hui, à juste titre, pour que nous soyons payés.

Un scandale de plus. En septembre 2010 déjà, les stagiaires non rémunérés, appuyés par l'association Intern Aware, avaient dénoncé leurs conditions de travail injustes auprès de parlementaires. Certains des députés mis en cause avaient alors du renoncer à leur main d'oeuvre gratuite.

Un statut de stagiaire existe bien au Royaume-Uni, mais il est très restrictif et ne s’applique qu’en de rares conditions. Il faut d’abord faire la différence entre les stages qui s’effectuent dans le cadre d’un cursus scolaire – assez répandus – et ceux que les jeunes diplômés se trouvent de plus en plus obligés de substituer à un premier emploi.

Selon la loi, les stagiaires doivent être payés s'ils effectuent le même travail qu'un employé sous contrat. Et d’après la Loi sur le salaire minimum national (National Minimum Wage Act, 1998) aucun "travailleur" (entendu dans le sens de toute personne travaillant avec un contrat) ne peut être payé en dessous du salaire minimum.

Pour contourner cette obligation, nombre de compagnies engagent les stagiaires sous le statut de "volontaire", ce qui les exempt de devoir leur donner un salaire. De plus, il y a quatre exceptions majeures à cette obligation de salaire minimum:

  1. Les étudiants effectuant un stage dans le cadre de leurs études
  2. Les apprentis maitres/ses d’école
  3. Les personnes travaillant pour un organisme de charité reconnu
  4. Les stages d’observation

Retournant l’argument de la récession contre les employeurs peu scrupuleux, l'association Intern Aware explique que les économies réalisées à court-terme grâce aux stages ont pour contrepartie "de créer de plus profonds et de plus longs problèmes de mobilité sociale".

Irlande: partenariats entre universités et entreprises

Les stages ne sont pas très répandus en Irlande. Ils dépassent rarement quelques semaines et se résument alors à de l’observation. L'employeur n'est pas tenu de les rémunérer. Seules les grandes entreprises versent des indemnités, de l’ordre de 300 euros par mois. Les quelques universités qui obligent leurs étudiants à trouver des stages développent des collaborations très étroites avec les entreprises pour "placer" leurs étudiants: ainsi, le grand quotidien national, l'Irish Independent, n’accepte que des stagiaires issus d'universités irlandaises partenaires.

Italie: les "serials stagiaires" sont rarement embauchés

Le comité citoyen "contre toutes les précarités" organise une manifestation samedi 9 avril afin de "forcer le gouvernement et le pays à se mesurer à la précarité du travail et de la vie, ce qui rend nos existences insoutenables." Une précarité qui passe notament par la multiplication des stages.

Depuis l’entrée de l’Italie dans le processus de Bologne, les stages sont en effet obligatoires pour la quasi-totalité des étudiants en licence et en master. Après leur cursus, les jeunes italiens enchaînent aussi ces expériences professionnelles peu rémunérées. Il est courant de rencontrer des jeunes diplômés qui en sont à leur cinquième ou sixième stage d'affilée. A tel point que certaines entreprises voient d’un mauvais œil ces "serial stagiaires".

Cette période de perfectionnement est fixée à six mois, renouvelable un autre semestre, soit un an au plus. Les stages à la sortie de l’université sont généralement payés, contrairement à ceux accomplis en cours de cursus. La rémunération est cependant peu élevée, environ 500 euros par mois, soit le quart du salaire moyen brut d’un employé qualifié. Les diplômés sont rarement embauchés par la suité, malgré leurs compétences.

Génération P pour Praktikum

C'est comme ça qu'on appelle en Allemagne les près de 900 000 stagiaires qui vont grossir les troupes d'entreprises allemandes, en référence à un article de Mathias Stolz sorti en 2005 dans le Zeit. Pour la première fois, cette génération Praktikum doit faire face à une véritable paupérisation à l'entrée sur le marché du travail. Bien que les différences entre Länder soient sensibles, les stages non rémunérés, qui remplacent un emploi en période de crise sont fréquents, particulièrement dans le domaine culturel.

La situation à Berlin, ville qui fonctionne comme un aimant à créatifs en mal d'auto-réalisation est alarmante. En août dernier, suite à la résolution de l'Union européenne pour instaurer un revenu minimum des stages, l'Allemagne a pourtant accueilli l'idée avec réticence. D'après l'organisation patronale allemande (Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände, BDA):

"Obliger les entreprises à salarier les stages aurait un coût sérieux pour leur comptabilité, et réduirait drastiquement le nombre de propositions"

L'exploitation des compétences a encore de belles années devant elle en Allemagne.

Actualisé avec l'Allemagne le 6 avril à 10h30




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