La France et l'Italie se sont mis d'accord pour ne pas régler le contentieux qui les oppose sur le sort des 28 500 migrants de Lampedusa. Dans l'immédiat, le ministre de l'Intérieur va pouvoir se consacrer à sa nouvelle marotte: la lutte contre l'immigration légale, pour tenter de séduire les électeurs du FN. Quant aux chiffres, il s'en arrange.
Après plusieurs jours de déclarations belliqueuses sur le sort des 28 500 migrants, qu'aucun des deux pays ne veux accueillir sur son sol, la France et l'Italie se sont enfin mis d'accord. Mais, pour repousser le problème… au large.
Nous avons décidé d'un commun accord avec la France d'organiser des patrouilles communes sur les côtes tunisiennes (…) pour bloquer les départs [d'immigrants illégaux],
a affirmé le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni lors d'un point de presse avec son homologue français Claude Guéant. Qui ajoute: "Ni l'Italie ni la France n'ont vocation à accueillir les migrants tunisiens". Un rabibochage de façade, après une passe d'arme musclée. Un accord a minima.
Rien n'est réglé
Cette audacieuse décision ne règle en rien le sort des migrants qui ont débarqué en Italie depuis la chute du président Ben Ali, à la mi-janvier. La plupart se sont retrouvés entassés sur la minuscule île de Lampedusa avant d'être transférés dans différentes régions de la péninsule.
Les patrouilles conjointes ne seront pas menées dans les eaux internationales, mais à proximité directe des côtes tunisiennes. Pour justifier de la légalité d'une telle opération, Rome affirme s'appuyer sur l'accord italo-tunisien, signé mardi, et qui prévoit justement le contrôle des côtes.
Permis de séjour "humanitaires"
En contrepartie, la Tunisie avait obtenu que l'Italie accorde des permis de séjour temporaires (trois mois) aux migrants arrivés entre le 1er janvier et le 5 avril 2011 – soit quelques 20 000 réfugiés. Ces permis "humanitaires" permettront "de voyager dans les pays de l'espace Schengen", menaçait mercredi Roberto Maroni, soucieux de mettre sous pression la France.
Hors de question s'est étouffé Claude Guéant, particulièrement chatouilleux sur les questions d'immigration depuis sa prise de fonction. Paris ne veut "pas subir une vague d'immigration" tunisienne venue d'Italie où elle renverra des candidats au séjour qui ne rempliraient pas les conditions requises, a prévenu mercredi le ministre de l'Intérieur.
Qui dit espace Schengen dit, en effet, France, une majorité de Tunisiens souhaitant aller dans l'Hexagone pour y retrouver de la famille. En mars, 2 800 Tunisiens en situation irrégulière ont été interpellés sur le territoire français. "1 700 ont d'ores et déjà fait l'objet d'une reconduite à la frontière, la plupart à la frontière avec l'Italie", a précisé Claude Guéant.
Conditions très strictes
Changement de cap aujourd'hui.
Nous avons trouvé un accord sur l'interprétation du traité de Schengen: il est clair que l'autorisation de séjour que les Italiens vont délivrer permet la libre circulation, mais cela a une limite dans le respect des conditions définies par le traité.
Guéant a, en effet, adressé dès mercredi une circulaire aux préfets énumérant les conditions que devaient remplir les immigrés venus d'Italie pour prétendre rester sur le territoire français. "Si ces conditions ne sont pas réunies, la France est tout à fait en droit de ramener en Italie" les personnes concernées. "C'est ce qu'elle fera", assurait le ministre français.
"Pour se déplacer librement, le détenteur d'un titre de séjour doit aussi posséder un titre de voyage valide, prouver qu'il dispose de moyens suffisants et d'un logement, ne pas figurer dans le fichier Schengen, etc.", confirme au quotidien Le Monde la Commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström.
Guéant joue la rupture
A défaut d'être réglé, le problème des migrants tunisiens va être – provisoirement – remisé et Claude Guéant va pouvoir se consacrer à sa nouvelle marotte: réduire l'immigration légale. Un choix en rupture avec la politique d'"immigration choisie" défendue jusque là par Nicolas Sarkozy.
Dans l'interview qu'il donne aujourd'hui au Figaro magazine, le ministre cible toute particulièrement l'immigration professionnelle et celle liée au regroupement familial.
J'ai demandé que l'on réduise le nombre de personnes admises au titre de l'immigration du travail (20.000 arrivées par an). Et nous allons continuer à réduire le nombre d'étrangers venant en France au titre du regroupement familial (15.000)".
Une immigration incontrôlée?
Comme le rappellait récemment Myeurop, Claude Guéant semble découvrir la Lune : oui, la France est un pays d'immigration. Mais, le ministre de l'Intérieur voit aussi la Lune plus pleine qu'elle ne l'est. D'après les chiffres de l'ONU et de l'INED (Institut national de la démographie), la proportion d'immigrés [Etrangers résidant en France + Français aillant acquis la nationalité] est stable depuis 20 ans : 10,7% en 2010 contre 10,4% en 1990.
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Le chiffre actuel est supérieur à celui des Pays-Bas et du Royaume-Uni (10%), ainsi qu'à la moyenne de l'Europe (9,5%), mais plus faible qu'en Autriche (16%), Espagne (14%) et Allemagne (13%).
Contrairement à la France, la proportion d'immigrés dans la population totale a augmenté de manière significative dans la plupart des autres pays européens. Trois exemples:
- Allemagne : de 7,5% en 1990 à 13,1% en 2010
- Espagne : de 2,1% en 1990 à 14,1% en 2010
- Royaume-Uni : de 6,5% en 1990 à 10,4% en 2010
Des chiffres à manipuler avec précaution
D'autres précisions s'imposent :
- L'immigration légale en France a augmenté d'environ 10,6% en 2010, à 188780 arrivants, sous l'effet notamment d'une forte hausse du nombre d'étudiants, selon les chiffres communiqués jeudi par France Terre d'Asile, confirmés de source proche de l'Office français de l'immigration (Ofii).
- Ce chiffre global comprend l'immigration familiale (81.100 personnes, soit 4% de plus qu'en 2009), l'immigration professionnelle (31.500 personnes, stable), le droit d'asile (10.340, stable) et les étudiants (65.840 personnes, en augmentation de 28,5%), détaille l'association.
- Les titres de séjour attribués pour motif familial ont certes connu une légère augmentation en 2010 (84.000 personnes concernées), mais ils diminuent globalement depuis cinq ans.
- La politique française de regroupement familial est très restrictive.
- L’immigration du travail a bien augmenté entre 2005 et 2008, mais, depuis, elle est quasi inchangée (31.532 personnes concernées en 2010).
- Le ministre de l'Intérieur n'a pas dit un mot des autorisations de séjour délivrées aux étudiants, qui représentent pourtant un total de 65.000 personnes en 2010 (+ 25,5 % par rapport à 2009). C'est l'une des sources d'immigration qui a connu la plus forte augmentation ces dernières années.
Le droit d'asile accordé à tout-va?
"En matière d'asile, notre pays est plus généreux, malgré les restrictions apportées, que l'Allemagne ou le Royaume-Uni, alors que nous appliquons les mêmes conventions internationales!", martèle encore le zélé ministre de l'Intérieur.
En 2010, la France a bien été le premier pays européen pour l'accueil des demandes d'asiles: 47 800 dossiers déposés selon le HCR, et même 51 595 d'après Eurostat. Soit une progression de 13% en un an.
En 2010, le plus grand nombre de demandeurs d'asile a été enregistré en France, suivie de l'Allemagne (48 500), de la Suède (31 900), de la Belgique (26 100), du Royaume-Uni (23 700), des Pays-Bas (15 100)
Reste que, toujours selon les données de l'institut européen de la statistique, la France demeure – parmi les pays fortement sollicités pour l'asile – l'un des plus mauvais élèves. En 2010, seule 13% des demandes ont été acceptées en première instance, contre 23% en Allemagne, 24% au Royaume-Uni, 31% en Suède et même 44% aux Pays-Bas. Les chiffres 2010 pour les demandes en seconde instance ne sont pas encore connus, mais, s'ils sont conformes à ceux de l'année passée, le classement reste le même.
Ce doit être ce qu'on appelle la "générosité": laisser les honneurs à nos partenaires européens.