La loi sur l’interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics est entrée en application ce lundi en France. Les contrevenants s’exposent à des amendes de 150€ assorties éventuellement de stages de citoyenneté. Une première en Europe.
Le gouvernement, qui a fait passer la loi en octobre, a mis en place une campagne publicitaire très pédagogique pour expliquer aux Français l’utilité de cette nouvelle loi. Mais les dépliants, affiches et autres textes explicatifs disponibles sur le site du gouvernement sont loin d'être convaincants.
Efficacité prouvée ?
Les protestations se font, en effet, déjà entendre, au premier rang desquelles les syndicats de police qui dénoncent "une loi inapplicable". En dépit de la circulaire spécifique dans laquelle ils ont reçu les consignes strictes d’application de la loi, les policiers sont persuadés qu’il leur est impossible de la mettre en oeuvre sur le terrain. Et ils n'ont pas l'intention de faire du zèle.
Au-delà du contrôle d'identité déjà difficile à mettre en place, faire appliquer l'interdiction totale du voile islamique dans des quartiers où il y a souvent une grosse communauté musulmane, c'est presque impossible",
explique au Monde Philippe Capon, secrétaire général du syndicat UNSA-Police.
Paradoxe pour le moins génant, les policiers ne sont pas autorisés à faire procéder au retrait du voile pour l’identification de la personne en cas de vérification d’identité. Seule exception, lors des contrôles routiers pour lesquels le code de la route stipule que rien ne doit gêner le conducteur.
De son côté, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant reste confiant et assure que "la loi sera respectée" estimant que la période pédagogique avait été suffisante.
Application a minima
Ce matin, une manifestation d’opposants à la loi avait lieu devant la cathédrale Notre-Dame, à Paris, à l’initiative de l’association Touche pas à ma Constitution, défendant "le droit des femmes à s’habiller librement dans la rue dans le respect d’autrui et en sécurité". Deux femmes portant le niqab, ainsi que plusieurs sympathisants, ont été arrêtées par la police, qui a expliqué avoir agit sur la base du non-respect de la déclaration de manifestation. Le porte-parole de l’association Touche pas à ma Constitution, Rachid Nekkaz, a, pour sa part, été interpellé en compagnie d’une femme voilée intégralement à 10 heures du matin devant l’Elysée, mais les policiers n’ont pas procédé à la verbalisation en dépit de la nouvelle loi.
L’association a lancé un fonds de soutien pour les femmes qui receveraient une amende pour port du niqab dans la rue. Environ 2000 femmes seraient concernées en France. De quoi s’interroger sur la pertinence d’une législation pour une proportion si congrue de la population. Plus d’un million d’euros auraient déjà été récoltés, grâce en grande partie à la vente d’un immeuble en région parisienne.
Incompatibilité européenne ?
L’interdiction de la burqa pourrait, en outre, être euro-incompatible. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme stipule que toute personne a le "droit de manifester sa religion (…) en public ou en privé" tant qu’elle ne remet pas en cause "la sécurité publique, la protection de l’ordre, la santé ou la morale publiques, ou la protection des droits et libertés d’autrui".
Saisie par un groupuscule islamique turc désireux de porter dans la rue des vêtements religieux, la juridiction européenne, dans un arrêt datant de février 2010, a condamné Ankara, mettant en avant que leur tenue ne "constituait pas une menace pour l’ordre public ou une pression sur autrui". François Fillon avait affirmé que le gouvernement était "prêt à prendre des risques juridiques" en défendant une interdiction générale du port du voile intégral en France, y compris dans la rue, car "l'enjeu en [valait] la chandelle".
Les débats et polémiques sur le sujet sont également d’actualité ailleurs en Europe.
La Belgique, qui aurait pu être le premier pays à interdire le port du voile dans les lieux publics mais qui avait mis en suspens le projet de loi en avril dernier à cause de la démission de son gouvernement l’a ainsi réinscrit à l’ordre du jour de la session parlementaire du 28 avril.
Dès 2006, le gouvernement néerlandais avait voulu lui aussi bannir le port de la burqa avant d’y renoncer. Mais les partisans de cette mesure, dont Parti de la liberté de Geert Wilders, mouvement islamophobe, n’ont pas, eux, déposé les armes.
Au Danemark, le parti conservateur s’est lui aussi prononcé l’année dernière contre le port de la burqa, mais le gouvernement libéral de Lars Rasmussen se refuse, pour le moment, à légiférer dans ce sens.
Royaume-Uni : une opinion publique partagée
Au Royaume-Uni, selon un sondage réalisé l'année dernière, 59% des Britanniques étaient favorables à l’interdiction de la burqa dans les lieux publics, 36% y étaient opposés. Les jeunes et les Londoniens apparaissaient plus tolérants que les personnes âgées et le reste du pays.
Mais l'année dernière, la proposition de loi du député conservateur Philipp Hollobone pour interdire le port du voile intégral a été rejetée par le Parlement. A l'exception du parti nationaliste (UKIP), quasiment personne ne se déclare aujourd'hui favorable à l’interdiction totale de la burqa, et cela ne semble vraiment pas d'actualité.
Ce n’est pas au gouvernement de dire ce que les gens peuvent ou ne peuvent pas porter. Une telle interdiction ne correspondrait pas à la longue tradition de tolérance de notre nation. En conséquence, nous ne soutenons aucunement une interdiction de porter la burqa",
a déclaré le ministère de l'Intérieur, interrogé sur la question hier en réaction avec la situation française.
Allemagne : des Länder contre le foulard
En Allemagne, le port de la burqa ne fait pas débat. En revanche, depuis une décennie, la question du port du foulard dans les établissements scolaires est posée. L'Allemagne a toutefois apporté des réponses distinctes de la France en raison de traditions très différentes. On peut ainsi parler d’un modèle allemand d’intégration tolérante reposant sur le multiculturalisme et le communautarisme, s’opposant au modèle d'intégration laïc à la française.
Mais dans les faits et en droit, des évolutions importantes sont intervenues. La polémique avait été lancée, dés 1998, lorsque l’administration de la région du Bade-Wurtemberg avait refusé d’embaucher une enseignante musulmane qui voulait rester voilée pendant les cours.
Dans son arrêt de septembre 2003, la Cour constitutionnelle fédérale avait renvoyé la question aux seize Länder, en soulignant qu’un refus du foulard nécessite, au préalable, une base juridique. La décision, saluée comme un progrès par les associations musulmanes, a été en revanche critiquée par une bonne partie de la presse allemande, car au lieu de se prononcer définitivement, la Cour confie désormais aux Parlements des Länder, et non plus aux tribunaux, le soin de trancher sur cette question controversée.
Et depuis, huit régions, notamment le Bade-Wurtemberg, la Bavière, Berlin et la Rhénanie du Nord – Westphalie, ont mis en place des législations interdisant, aux enseignantes uniquement, le port du voile.
Pour autant, le débat est loin d’être clos. En 2006, le tribunal administratif de Stuttgart a annulé la législation du Bade-Wurtemberg, en donnant raison à une enseignante qui dénonçait une inégalité de traitement par rapport aux religieuses. En Bavière, la bataille juridique pourrait rebondir. Le tribunal de Munich s’est contenté de valider la législation bavaroise sans se prononcer explicitement sur le voile.
Sur ce sujet, la loi reste vague, évoquant des "symboles " et des " parties de vêtement " qui peuvent être non compatibles avec les valeurs fondamentales de la Constitution. En cas de litige, les tribunaux devront donc trancher. Mais en toile de fond, c’est l’institutionnalisation de l'islam dans l'espace public allemand qui pose problème.
Espagne : la Catalogne se démarque
Le port de la burqa n’est pas à l’ordre du jour en Espagne. Le pays commence cependant à s’interroger sur le port du foulard. Celui-ci ne faisait pas vraiment l’objet de l’attention publique jusqu’à l’expulsion d'une lycéenne de 16 ans de son établissement parce qu’elle portait le voile et son refus tenace de le retirer ont suscité le débat.
La proposition du principal parti d’opposition, le conservateur Parti Populaire (PP), qui plaidait pour l’interdiction du voile, a été rejetée par le Parlement. Plusieurs villes de la Région autonome de Catalogne, dont la capitale Barcelone, ont déjà interdit le port du voile intégral dans espaces municipaux.