La loi russe sur les médias, votée en 1991, se voulait garante de la liberté de l’information. La Cour suprême vient d'en réaffirmer l’importance, alors que le pays est désormais considéré comme l'un des plus dangereux pour les journalistes. Rencontre avec le journaliste indépendant Georgy Bovt.
Le "Statut sur les médias de masse" – le principal cadre juridique qui réglemente les médias en Russie – fête ses vingt ans. Avec le développement d’Internet, une mise à jour de ce texte législatif était nécessaire.
La Cour suprême a ainsi adopté, en juin 2010, la "Résolution n°16 sur la pratique judiciaire liée à la loi de la Fédération de Russie sur les médias de masse". Une sorte de guide pratique pour les tribunaux, expliquant comment interpréter cette loi dans des cas complexes ou non prévus par les législateurs il y a vingt ans.
S’inspirant des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, la Résolution n°16 a réaffirmé avec fermeté les droits des journalistes dans de nombreux domaines (protection des sources, accès aux informations d’intérêt public et aux audiences, droit à la satire…). La Cour suprême a, en outre, estimé que les sites Web ne peuvent pas être considérés comme des médias de masse (!) et ne sont donc pas obligés de s’enregistrer en tant que tels.
"Ne pas surestimer l'importance de la résolution"
Andrei Richter, directeur du Centre de droit et de politique des médias de Moscou, a qualifié le contenu de cette résolution d'"extraordinaire", puisqu’elle pousse les tribunaux à défendre la liberté du journalisme politique.
Le politologue et journaliste indépendant Georgy Bovt, qui vit à Moscou, est loin de partager son enthousiasme.
La loi de 1991 était formellement démocratique, comme c’est le cas de plusieurs lois en Russie. Mais l’application de ces lois est une autre histoire. Cela dépend de toute une série de bureaucrates, de tribunaux, qui à leur tour répondent aux instructions données par le pouvoir. C’est pourquoi je crois qu’il ne faut pas surestimer l’importance de la résolution de la Cour suprême. En Russie, ce qui compte, ce ne sont pas les règles formelles écrites. Ce sont les signaux envoyés par le pouvoir, l’attitude des sommets de la sphère politique.
Dix mois se sont écoulés depuis l’adoption de la Résolution n°16, mais, selon Bovt,
cette dernière n’aura aucun impact tant que la culture politique du pays ne changera pas, c’est-à-dire tant que la personne qui a le plus de pouvoir – le président – n’imposera par certaines règles informelles de comportement à toute la sphère politique du pays."
Poutine veut museler la toile
Le politologue reconnaît toutefois qu’il existe un autre élément déterminant pour le sort des médias en Russie.
Aujourd’hui, il y a presque quarante millions d’internautes dans notre pays, sur un total d’environ 140 millions d’habitants. Et ce sont surtout des jeunes. Ils sont plus engagés, plus sceptiques, plus critiques envers le pouvoir. Les blogs russes sont désormais une importante source d’information indépendante".
Il n’est donc pas étonnant que les autorités – plus précisément le clan du premier ministre Vladimir Poutine – essayent de museler la toile. Le 22 février 2011, la Douma (la Chambre basse) a approuvé en première lecture une série d’amendements à un projet de loi sur les médias – amendements proposés par Russie unie, le parti de Poutine.
Interdiction de Skype et Gmail?
Selon de nombreux experts, dont Mikhaïl Fedotov, conseiller du Kremlin pour les droits de l’homme et président de la Chambre civile, le texte est tellement bâclé et incomplet qu’il pourrait aisément être interprété en termes restrictifs. "Beaucoup de sites pourraient répondre à la définition de ‘publication en ligne’ : leurs propriétaires seraient donc obligés d’obtenir une licence", a déclaré Fedotov au quotidien Izvestia.
Le 8 mars, une polémique a éclaté après qu’un dirigeant du FSB a suggéré d’interdire l’usage de Skype, Gmail et Hotmail en Russie, sous prétexte qu’ils échappent au contrôle des services de sécurité et constituent donc une menace pour la sécurité nationale. L’administration du président Dmitri Medvedev a immédiatement dénoncé cette proposition.
"Je vois des signaux positifs de la part de Medvedev, conclut Bovt. Mais les changements en Russie sont très lents à venir."