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L’édifiante histoire des injures sexuelles

samedi, 30 avril, 2011 - 22:45

Le Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) publie "L’édifiante histoire des injures sexuelles", ouvrage instructif de la psychanalyste et historienne Sylvie Lausberg sur cette arme verbale trop souvent utilisée pour dénigrer les femmes. Entretien avec Viviane Teitelbaum, présidente du CFFB.

Cette catin subalterne / Insolemment gouverne / Et c’est elle qui décerne / Les honneurs à prix d’argent".

Le comte de Maurepas, ministre des finances sous Louis XV, décrivait ainsi la Marquise de Pompadour, coupable d’exercer trop de pouvoir sur le roi. Ce mépris, d’autres femmes, avant et après la Marquise, l’ont subi, explique Sylvie Lausberg:

Si les injures interviennent systématiquement lorsqu’une femme prend la parole, assume et prend sa place dans la société ou démontre seulement qu’elle pense, ces gros mots la renvoient au statut d’inapte à réfléchir et à s’imposer. Elle ne serait en définitive qu’une ‘conne’, réduite à son sexe. L’injure sexuelle rappelle à cette femme, devenue menaçante ou perçue comme telle, ce qui est censé la déterminer totalement: sa féminité. La violence commence là".

Une position pleinement partagée par Viviane Teitelbaum, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) qui publie cette histoire édifiante très mal vécue au quotidien par les femmes, en Belgique comme ailleurs. Entretien:

En février 2011 le Conseil des femmes francophones de Belgique a lancé la campagne "Causes, toujours !" et publie maintenant "L’édifiante histoire des injures sexuelles". Pourquoi ce coup double?

Avec Sylvie Lausberg, auteur de cet ouvrage, nous avons remarqué qu’en Belgique ce sujet n’est pratiquement pas abordé. Je suis présidente du 'Conseil des femmes francophones' depuis un an, et je me suis dit qu’il serait intéressant de parler de ça. D’autant plus que l’injure sexuelle (mais cela vaut aussi pour l’injure raciste) peut être le signe précurseur d’un acte de violence physique. En Belgique, on parle des violences physiques faites aux femmes – violences conjugales etc… – mais rarement de cette violence verbale.

Avez-vous eu des difficultés à trouver des témoignages ?

Cela n’a pas été facile, parce que chez nous, en Belgique, l’injure sexuelle n’est pas encore quelque chose que l'on relève, c’est un sujet tabou car banalisé. Beaucoup de femmes contactées pour l’enquête ont répondu qu’elles n’avaient jamais été victimes d’injures sexuelles. Certaines d’entre elles m’avaient pourtant dit le contraire! Ce qu’on a voulu faire, c’est engendrer une prise de conscience.

En 1974 le Conseil des femmes de Belgique s’est scindé en deux associations. Travaillez-vous en coordination avec le Conseil des femmes néerlandophones ?

Sur cette campagne-ci il n’y a pas eu de coordination, mais il arrive que nous travaillions ensemble sur d’autres projets, des études ou des initiatives.

Sylvie Lausberg dresse les portraits de femmes qui ont suscité des propos offensants, de Madame de Maintenon à la journaliste Séverine et, de nos jours, les insultes adressées à Dominique Voynet ("Tire ton slip, salope !" ) ou Ségolène Royal ("Une femme n’a pas à être à la tête de l’État, mais dans le lit de la République"). La parité, c'est aussi une question de respect de l'autre sexe, dans les actes et la parole…

Oui, c’est tout l’enjeu des femmes dans les lieux de pouvoir. Il y a les lois, qui aident à améliorer les choses, et puis derrière il y le problème des mentalités, de l’éducation, de la réalité quotidienne. En Belgique, par exemple, la loi impose la parité hommes/femmes dans les listes électorales, mais seulement 10 % des bourgmestres du pays sont des femmes. Pourquoi? Parce que les têtes de liste sont souvent des hommes, les partis vont mettre en avant les hommes etc. L’idée de la femme à un poste de pouvoir n’est pas encore acceptée, elle n’est pas encore considérée comme allant de soi. Et quand une femme se retrouve dans cette position, on va essayer de la disqualifier, notamment par l’injure sexuelle.

Les stéréotypes sexués sont intériorisés dès le plus jeune âge. Dans sa conclusion, Sylvie Lausberg souligne qu’il est important d’agir dans les écoles avec des programmes ciblés. Est-ce que le Conseil des femmes soutient des programmes de ce genre?

Au sein du CFFB, la Commission Enseignement aborde les problématiques liées aux stéréotypes sexués à l’école, à la manière dont les enseignants reproduisent ces stéréotypes etc… Ces études sont une référence pour beaucoup d’enseignant(e)s sensibilisé(e)s à ce problème, mais, concrètement, il y a peu de choses qui se font. Là aussi, le changement arrivera progressivement. Il faut tout d’abord alerter, et c’est ce que nous avons voulu faire avec cette publication.

En février la sénatrice belge Marleen Temmerman proposait aux femmes d’entamer une grève du sexe pour protester contre la crise politique dans le pays…

Cette proposition, à mon avis, était un pas en arrière pour les rapports entre hommes et femmes.

Plus récemment, le projet d’ouvrir un Eros Center à Liège a fait couler beaucoup d'encre. Quelle est votre position sur ce projet et, plus en général, sur la légalisation de la prostitution?

La ville de Liège a sollicité notre avis: nous nous sommes pour le moment exprimé contre ce projet. Nous prendrons une position plus précise fin mai puisque la décision définitive de la commune est attendue pour juin. Nous allons, par ailleurs, préciser notre position sur la prostitution, mais cela sera plus long et complexe. Il y a des divergences, au sein même du Conseil des femmes, qui réunit des personnes totalement abolitionnistes et d’autres qui sont réglementaristes. C’est pourquoi nous avons crée un groupe de travail sur ce sujet.




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