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Dette grecque: l’euro dans la balance

mercredi, 4 mai, 2011 - 14:59

La Grèce, financièrement dans l'impasse, négocie avec ses partenaires européens un nouveau plan d'aide. Avec en toile de fond, de pesants non-dits: sans ce nouveau soutien, Athènes ne pourra pas rembourser une partie de ses dettes ou sera contrainte d'abandonner l'euro.

Le Spiegel a parfaitement réussit son coup médiatique en annonçant vendredi dernier que la Grèce pourrait quitter la zone euro. Les marchés financiers se sont, sans surprise affolés malgré les multiples démentis de responsables européens.

Fumée sans feu? Seule certitude, les responsables politiques grecs qui négocient d’arrache-pied avec leurs homologues européens ont tout intérêt à laisser planer le doute sur leurs intentions s'ils n'obtiennaient pas de nouvelles aides de Bruxelles.

"Nous pensons que la Grèce a besoin d'un programme d'ajustement supplémentaire", a reconnu le lendemain, samedi, le "patron" de la zone euro Jean-Claude Juncker a l'issue d'un réunion des ministres des Finances d'Allemagne, France, Italie, Espagne et Grèce.

Il y a un an, la Grèce était également sauvée du naufrage grâce à un prêt de 110 milliards d'euros. Un sauvetage contesté et surtout autant précaire que temporaire

La fin de récré

Aujourd'hui, une restructuration de sa dette publique semble inéluctable. Bon nombre d’économistes en sont donc persuadés. Selon un sondage de l’agence Reuters, 46 des 55 spécialistes interrogés s’attendent à une restructuration avant 2013. Pour Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE, elle doit même intervenir le plus vite possible. "la situation s’aggrave tout le temps. Il faut siffler la fin de la récré en prenant des mesures extrêmement fortes qui rassurent les marchés une bonne fois pour toute."

Au risque d'une contagion aux autres pays en difficulté, Portugal et Irlande en tête. Les banques françaises et allemandes, particulièrement exposées, ne devraient pourtant pas être trop touchées.

Une restructuration qui ne dit pas son nom

Pour les dirigeants grecs, l’exercice est délicat: préparer l’opinion à l’idée d’une restructuration sans paniquer. Se donner du temps pour rembourser mais rester crédible. Un numéro d’équilibriste destiné à sauver les apparences.

Selon un sondage paru ce week-end, près de la moitié de Grecs sont favorables à une renégociation des termes de l'emprunt contracté auprès de l'UE et du FMI.

Mais un tiers de mécontents, dont beaucoup manifesteront mercredi prochain, jour de grève générale contre l'austérité, préféreraient se débarrasser de la tutelle UE-FMI, accusée d'entretenir la récession. Au risque d'avoir alors à sortir de l'euro, et dévaluer la monnaie.

Comme l’Union européenne et le FMI ont déjà accepté de le faire en mars dernier, le "programme d'ajustement supplémentaire" mis en avant par Jean-Claude Juncker apparait bel et bien comme une restructuration qui ne dit pas son nom, même si de telles mesures seraient moins douloureuses qu’une coupe brutale dans les créances à rembourser.

Trois ans de récession

Les investisseurs ont de toute façon déjà intégré la possibilité d’un défaut de paiement de la Grèce. Logiquement, les taux des obligations d’Etat s’envolent: près de 25% pour la dette à deux ans, plus de 15% pour celle à 10 ans. Une prime de risque exorbitante. Intenable. Heureusement, la Grèce n’a pas besoin de lever des fonds avant 2012. Un court répit qui ne règle rien, d’autant que la situation économique ne s’arrange guère.

Au dernier trimestre de 2010, le PIB de la Grèce a plongé de 7%. Le pays va connaître en 2011 sa troisième année consécutive de récession, avec un taux de chômage dépassant les 18%.

Fin d'un tabou

Même à la Banque centrale européenne (BCE) le sujet n’est plus tabou. Officiellement, on ne touche à rien. La restructuration n'est "pas une option", s’est d’abord défendu le gouverneur néerlandais, devant un parterre d’étudiants.

Mais, honorer ses dettes "peut parfois prendre plus longtemps que prévu", précise Nout Wellink. Un premier pas. Manière d’assurer une porte de sortie à la Grèce. Car dans le même temps, Jürgen Stark, un membre du directoire de la BCE assure que:

Une restructuration (…) aurait des inconvénients considérables. Dans le pire des cas, la restructuration d'un Etat membre pourrait dépasser les effets de la faillite de Lehman [qui avait précipité la crise financière]

"Les banques française survivront"

Les banques françaises et allemandes sont tout particulièrement exposées. Les chiffres bruts, il est vrai, sont impressionnants. L’ensemble des banques européennes détiennent des créances grecques à hauteur de 136 milliards de dollars – dont 14 pour le Royaume-Uni, 34 pour l’Allemagne et 53 pour la France [chiffres provisoires pour le 4ème trimestre 2010 de la Banque des règlements internationaux]. Pour autant, le risque de défaut ne les inquiète guère.

La Grèce essaie d'éviter une restructuration de sa dette mais si cela devait arriver ce ne serait pas la fin du monde, cela a toujours existé,

a déclaré Christian Brand, le président de la fédération allemande des banques publiques (VÖB).

Même dans le pire des scénarios envisageables, seule une petite partie [des fonds propres] des banques françaises serait compromis,

assure Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.

Comment expliquer une telle sérénité ? Simple politique de l’autruche ? Les banques européennes sont en fait peu exposées à la dette publique des pays en difficulté, et à celle de la Grèce en particulier. En clair, elles détiennent un relativement faible nombre de bons du Trésor d’Etats européens.

Prenons le cas de la France. Sur les 63 milliards de dollars de créances qu’elle détenait fin septembre 2010, seuls 19,8 milliards relèvent de la dette publique. Un montant "gérable", selon Henri Sterdyniak, de l’OFCE. "Cela plomberait un peu les comptes des banques, mais elles survivraient."

Effet ricochet

La preuve : BNP-Paribas a fait ses comptes. En prenant comme hypothèse une décote d'environ 25 à 30% sur le prix des obligations d'Etat grecques, le groupe estime qu'une restructuration lui coûterait environ 1,2 milliard d'euros. "C'est un impact qui serait tout à fait absorbable pour BNP Paribas compte tenu du caractère modéré de nos expositions sur ces pays et de la grande solidité de nos fonds propres", explique Baudouin Prot, le directeur général du groupe.

Reste, bien entendu, la possibilité d'un effet ricochet. "C'est le risque que tout le monde a en tête: une contagion à l'Irlande et au Portugal, avance Henri Sterdyniak. Jusqu'à présent, les pays développés n'ont jamais fait faillite et tout ce qui fragilise une dette publique fragilise les autres. Les investisseurs se disent 'je ne vais pas me faire avoir une deuxième fois'".

Vilains petits canards

Si le risque souverain est "gérable" quand il ne s'agit que de la Grèce, le problème prend une toute autre ampeur dès lors que le Portugal, l'Irlande ou, pire, l'Espagne, seraient touchées. Les banques françaises ont prété au secteur public de ces quatre pays 47,5 milliards de dollars (fin septembre 2010). C'est moins que l'Allemagne (65,5) mais deux fois plus que le Royaume-Uni (22,4). Faisons l'addition : on aboutit à la coquette somme de 135,4 milliards de dollars.

La Bank of England a cependant mené une étude intéressante début 2011. Hypothèse: les quatre vilains petits canards restructurent leur dette de 50%. Conséquence: les pertes seraient limitées à environ 10 % de la valeur des titres détenus par la France et l’Allemagne. Pas négligeable, pas catastrophique non plus.

Scénario catastrophe

Autre conclusion, plus sinistre: dans le même cas de figure, les banques grecques, irlandaises, portugaises et espagnoles perdraient, elles, de 50 % à 70 % de leur valeur. Dans ce cas (d'école), le risque de faillittes en cascade existe. Pire, un cercle vicieux peut s'enclencher.

Les pertes encourues par les banques grecques seraient répercutées sur les banques européennes qui les financent – et par extension sur la sphère réelle, les entreprises et les ménages, des autres pays.

Le gouvernement grec se verrait également obligé de remettre au pot pour sauver son système bancaire – ou ce qui peut l'être – au prix d'un nouvel endettement…

Tensions sur l'euro

Le pire n'est jamais certain. "l’Europe n’est plus en crise bancaire", affirme Guillaume Sarrat de Tramezaigues, responsable du Master Finances et stratégie de Science Po. "Les effets de la crise précédente ont été absorbés. Il n’y a plus de banque 'zombies' tenues uniquement par l’aide financière des autorités monétaires."

Pour l’économiste, en cas de défaillance d’un Etat souverain, "une contagion immédiate et sévère serait observée, mais sans risque avéré de nouvelle crise bancaire. En revanche, une telle situation génèrerait plus que probablement de très fortes tensions de dépréciation sur l’euro".

(Article actualisé lundi 9 mai à 16h18)




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