ISF et héritage: coup de vent européen sur la fiscalité
Le gouvernement allège l’impôt sur la fortune et abdique sur la question du "bouclier fiscal", mesure emblématique — et tout à fait impopulaire — du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Avec cette réforme, la France se rapproche de ses voisins européens, comme le lui demandait la Commission européenne.
Vite, vite, vite. Comme un mauvais moment à passer, la réforme de la fiscalité du patrimoine doit aller au plus vite. Présenté en conseil des ministres aujourd’hui, mercredi 11 mai, le texte sera soumis début juin aux députés, qui devront cravacher en session extraordinaire pour voter le texte avant le 14 juillet.
Un mauvais moment, car en plus de se contenter d’alléger l’impôt sur la fortune (ISF) à défaut de le supprimer, Nicolas Sarkozy revient sur deux mesures phares de son quinquennat :
- Le "bouclier fiscal", dispositif devenu absolument impopulaire qui permettait aux ménages de ne pas payer d’impôts au-delà de 50 % de leurs revenus.
- L’allègement des droits de succession, conçu pour "que chacun puisse transmettre à ses enfants le fruit de son travail", comme François Fillon le justifiait encore en mars.
Combien ça coûte ?
La réforme fiscale "ne coûte pas un euro au budget de l’Etat", affirme Christine Lagarde, ministre de l’Economie. Le gouvernement espère trouver un équilibre : d’un côté, l’Etat diminue ses recettes fiscales en taxant moins sévèrement le patrimoine que les ménages détiennent. De l’autre, il les augmente en se montrant plus sévère sur le patrimoine dont ceux-ci héritent.
Dans le meilleur des cas, comme l’envisage le ministère de l’Economie, les recettes fiscales devraient augmenter de 500 millions d’euros l’an prochain. Pour 2011, elles vont chuter de 200 millions d’euros. A vos calculatrices !
1,6 milliards d’euros de prélèvement en moins dès 2011
- Allègement de l’ISF = – 1,6 milliards d’euros (de 3,9 à 2,3 milliards d’euros) :
Dès cette année, les 300 000 ménages de la première tranche de l’ISF (qui possèdent une fortune de 800 000 € à 1,3 millions d’euros) échapperont à l’impôt sur la fortune. Les deux autres tranches, qui regroupent 260 000 ménages, seront moins imposées. Entre 1,3 millions et 3 millions d’euros, le taux descend à 0,25 %; au-delà de 3 millions d’euros, il passe à 0,5 %.
La possibilité pour les investisseurs dans les PME de déduire 50 % de leur investissement de l’ISF est maintenue.
Avec cette réforme, la France se rapproche de ses voisins européens. Depuis quinze ans, après de nombreuses réformes allégeant les taux et instaurant des exonérations, tous ont renoncé à cet impôt : l'Autriche (1994), le Danemark (1995), l'Allemagne (1997), les Pays-Bas (2001), la Finlande, le Luxembourg, la Suède (2007) et enfin l’Espagne (2010). En-dehors de l’Union européenne, seuls la Norvège et cinq cantons suisses y restent fidèles.
Afficher Droits de succession en Europe sur une carte plus grande – Florian Tixier / MyEurop
Les pays qui ont supprimé l’impôt sur le patrimoine ont tous mis en avant les risques de fuite des capitaux et le manque d’équité. La plupart ont opté pour un relèvement de l’impôt sur les hauts revenus et pour la taxation des revenus du patrimoine.
En France, c’est précisément ce que demande une partie de la majorité, à la suite de Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales. Le député UMP appelle à pénaliser les bonus des dirigeants et à créer une nouvelle tranche d’imposition du revenu. Mercredi, François Baroin, ministre du Budget, a envisagé de "traiter cette problématique" dans le cadre de la loi de finances 2012, à l’automne.
2,1 milliards d’euros de rentrées fiscales supplémentaires en 2012
- Disparition du "bouclier fiscal" = + 700 000 euros de recettes… en 2012 :
Les ménages pourront payer plus de 50 % de leur revenu en impôts à partir de l’an prochain. Pour 2011, le seul changement pour le Fisc consiste à ne plus envoyer de chèques de remboursement ; les contribuables déduiront eux-mêmes la somme de leur feuille d’impôt.
La France se conforme donc à l’avis de la Bruxelles. A la suite de la reconduction du "bouclier fiscal" par l’Assemblée en octobre, la Commission européenne avait indiqué à la France qu’elle souhaitait voir le dispositif supprimé, car il allait à l’encontre de la libre circulation des capitaux.
- Taxation des successions = + 1 milliard d’euros en année pleine (sur une base de 6,7 milliards d’euros de recettes en 2010)
La France se distinguait déjà en Europe pour son haut niveau de prélèvement sur les successions (voir carte). En augmentant encore les droits des successions, le gouvernement revient surtout sur les mesures votées sous la présidence de Jacques Chirac, en 2006, et sur les engagements du candidat Sarkozy. "Ainsi, je suis pour la suppression des droits de succession, parce que laisser le produit d’une vie de travail à ses enfants, c’est conforme à l’idée que je me fais du travail et de la famille", affirmait-il en novembre 2006.
Depuis 2006, la loi permet de faire une donation exonérée d’impôts tous les six ans. Le montant, qui varie en fonction de l’inflation, est aujourd’hui de 159 974 euros. L’avantage est important, et le manque à gagner pour l’Etat également.
Par exemple, selon les calculs de la commission des Finances de l'Assemblée, un couple de 50 ans peut transmettre son patrimoine de 1,5 million d'euros à ses deux enfants sans payer le moindre impôt, en effectuant seulement deux donations puis en transmettant le reste du patrimoine au moment du décès. Avec la réforme, le délai entre deux donations revient à 10 ans.
Le barème des droits est modifié pour les "très gros héritages". Les droits pour les successions en ligne directe (enfants, petits-enfants, parents et grands-parents) sont relevés pour les deux dernières tranches (tranche 6 : de 900 000 euros à 1,8 millions d’euros ; tranche 7 : au-delà de 1,8 millions d’euros), respectivement de 35% à 40% et de 40% à 45%.
Enfin, les réductions de taxe pour les donations anticipées avant 70 ans (50 %) et 80 ans (30 %) sont supprimées.
- Création d’une "Exit Tax" pour les exilés fiscaux = + 200 millions d’euros :
Certains investisseurs financiers français partent à l’étranger afin de bénéficier de meilleures conditions fiscales lorsqu’ils revendent leurs actions. Depuis le 3 mars, dans le cas où ils revendent leurs actions avant 8 ans, l’argent qu’ils gagnent en réalisant des "plus-values" est taxé à hauteur de 31,3 %.
- Taxation des résidences secondaires = + 200 millions d’euros :
Les étrangers qui possèdent une résidence en France dans laquelle ils ne vivent pas à l’année paieront une taxe de 20 % de la valeur de leur propriété, en plus de la taxe foncière. Les résidences laissées inoccupés par les Français partis vivre à l’étranger pour des raisons non professionnelles sont aussi concernées.