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Les Turcs s’inquiètent d’une censure généralisée sur Internet

mardi, 17 mai, 2011 - 12:47

Des milliers de manifestants sont descendus dimanche dans les rues de Turquie pour protester contre la censure qui frappe Internet dans le pays. Plus de 7 000 sites seraient déjà bloqués en raison de leur contenu sexuel mais aussi pour des motifs politiques. Et le gouvernement veux encore renforcer son contrôle sur la Toile.

Onur Güngor est un jeune chercheur en ingénierie. Comme près de 10 000 personnes à Istanbul et plusieurs milliers d’autres à travers le pays, il a défilé dimanche pour dénoncer la "main mise du gouvernement sur internet", scandant avec la foule "Tayyip, laisse moi surfer" et "retire tes mains du web".

"L’Etat veut décider de l’avenir d’internet en Turquie", s’inquiète ce stambouliote de 27 ans.

C’est incompréhensible. Le gouvernement ne cesse de qualifier le pays de démocratie avancée mais il impose toutes sortes de restrictions sur la liberté d’expression.

En février, le Bureau des technologies de l’information (BTK) a en effet passé une nouvelle règlementation qui prévoit d’imposer quatre sortes de filtres afin d’accéder à internet: famille, enfants, domestique et standard. A partir du 22 août, il sera obligatoire d’installer l’une de ces offres sur chaque ordinateur en sa possession. La liste des sites bloqués contenus dans chacun des filtres restera cependant confidentielle..

Le prétexte de la lutte contre la pornographie

Le but affiché par cette instance administrative est de protéger les enfants et les familles en bloquant toute une série de sites notamment à caractères pornographiques.

Nous ne pouvons négliger les plaintes que nous recevons de la part de parents conservateurs, habitant des régions reculées d’Anatolie, qui manquent d’informations sur Internet et dont les enfants sont devenus accrocs au web,

a justifié Tayfun Acarer, président du BTK.

Protéger les enfants? L’argument est rejeté par la plupart des internautes en colère. "Les parents sont les seuls à même de protéger leurs enfants. Que vient faire l’Etat là dedans ?", se demande Nese Yavuz, une femme d’entreprise.

Unique en Europe

"Une fois imposés sur nos ordinateurs, ces filtres ne pourront pas être modifiés. Or un père de famille doit pouvoir avoir le droit de surfer sur des sites qu’il interdit par ailleurs à ses enfants. Ces nouvelles régulations imposent une censure généralisée et ne poussent pas à la responsabilité dans les familles", poursuit-elle. "Sous couvert de protéger les enfants, d’autres sites, notamment d’opposition, pourront être censurés".

Yaman Akdeniz, professeur de droit à l’université Bilgi d’Istanbul, rappelle que le filtre le moins restrictif proposé par le BTK sera sensiblement le même que celui qui existe déjà et qui, selon Reporters Sans Frontière, bloque actuellement plus de 7 000 sites.

Aucun des 27 pays de l’Union européenne, dont la Turquie veut être membre, ni aucun membre des pays du Conseil de l’Europe, dont la Turquie fait partie, ne dispose d’un tel système de filtre imposé par le gouvernement,

note ce cyber activiste.

Avant même cette polémique, Ankara était régulièrement pointée du doigt pour sa politique restrictive d’accès à internet.

Vers une censure politique

Le site américain Freedom House classe ce pays comme "partiellement libre" et évoque "une censure politique substantielle" dans ce domaine.

De son côté, Reporter Sans Frontière positionne Ankara parmi les pays "sous surveillance" et "condamne" la nouvelle régulation qui entrera en vigueur le 22 août.

"Le BTK ne dupe personne en affirmant rendre service aux utilisateurs d’internet en leur donnant la possibilité de choisir entre de nombreuses restrictions et moins de restrictions", estime RSF dans un communiqué. "Cette mesure est en totale violation avec la Déclaration européenne des droits de l’homme et avec la Constitution turque".

Une loi déjà très restrictive

La Turquie dispose déjà depuis 2007 d’un arsenal restrictif puissant via l’article de loi 5651 qui permet de bloquer l’accès à un site jugé obscène, diffamatoire, portant atteinte à l’honneur d’une personne ou à la mémoire de Mustafa Kemal Ataturk, le fondateur de la Turquie moderne.

"Cette loi est très restrictive car elle ne facilite pas le retrait de l’élément incriminé mais autorise la fermeture pure et simple du site en question", remarque Erol Onderoglu, correspondant de RSF à Istanbul.

C’est sur ce motif que le site de partage de vidéo Youtube a été bloqué durant deux ans et demi en Turquie, de mai 2008 à octobre 2010. Même sanction pour les sites de partage de musique tels que last.fm et et Myspace et pour de très nombreux sites d’informations kurdes.

L'UE s'inquiète

L’Union européenne de son côté, via le Commissaire chargé de l’élargissement Stefan Füle, a qualifié cette nouvelle régulation d’"inquiétante". En octobre dernier, Bruxelles a déjà rappelé à Ankara sa définition de la liberté d’expression, à savoir "garantir un espace publique pour un débat libre notamment sur internet".




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