Qui va succéder à DSK à la tête du FMI? Christine Lagarde est désormais candidate, malgré son intervention contestée dans l'affaire Tapie. Elle est la candidate de l'Europe, qui monopolise le poste depuis 1946. Une candidature turque, susceptible de recevoir l'appui des pays émergents, avait pourtant du sens.
C'est officiel, Christine Lagarde est candidate au poste de directrice générale du FMI. Elle est donc la candidate des Européens.
J'ai décidé de présenter ma candidature (…) Cette décision, je l'ai prise après mûre réflexion et en accord avec le président de la République et le Premier ministre, qui me soutiennent totalement dans cette démarche,
a déclaré ce matin la ministre de l'Economie française. Avant d'ajouter qu'elle souhaite "recueillir le plus large consensus". Plusieurs pays européens, dont l'Allemagne et la Grande-Bretagne, lui ont déjà apporté leur soutien, tout comme le président de la Commision européenne José Manuel Barroso. Jusqu'à présent, les Etats-Unis, dont le soutien est crucial, et le Japon ne l'ont toutefois pas publiquement adoubée.
"Etre européen n'est pas un handicap, pas un atout, être française n'est pas un handicap, pas un atout", a-t-elle aussi affirmé. Pourtant, les cinq grands pays émérgents – Chine, Inde, Brésil, Russie, Afrique du Sud – contestent la mainmise de l'Europe sur le poste de directeur général du Fonds monétaire international.
Ils demandent l'abandon de "la convention non écrite [qui tient depuis 1946, grâce à l'appui des Etats-Unis qui, eux, monopolisent la présidence de la Banque mondiale] et obsolète qui prévoit que le dirigeant du FMI soit forcément européen". Mais, au-delà de leur unité de façade, ils affichent des prétentions différentes et ne soutiennent pas de candidat commun.
Cette absence de rival déclaré permet à Christine Lagarde d'afficher sa sérénité, bien qu'elle soit sous la menace d'une enquête de la Cour de justice de la République (CJR) pour sa gestion du règlement par un tribunal arbitral de l'affaire Tapie/Crédit Lyonnais. D'après un rapport confidentiel de la Cour des comptes, mis en ligne par Mediapart, de nombreuses irrégularités ont été relevées par les magistrats financiers.
Les Européens? 9 voix sur 24
(De nos archives. Extraits) Tout était si simple: aux Américains la présidence de la Banque mondiale, aux Européens celle du FMI. La même histoire depuis 1946, un arrangement à l’amiable – dont la France a largement profité : en 65 ans d’existence, le Fonds mondial a été dirigé par des Français pendant plus de … 34 ans.
Aujourd’hui, les pays émergents, la Chine, l’Inde et le Brésil en tête, dont le poids économique ne cesse de croitre, veulent leur part du gâteau. Une réforme de la gouvernance du FMI, actée par le G20 l’an passé, leur octroie déjà plus de pouvoir. A partir de 2012. La démission de Dominique Strauss-Kahn leur donne l’espoir d’accéder au siège de directeur. S’ils parviennent à s’entendre.
Sauf que l’Europe, d’abord abasourdie, se ressaisit et n’entend rien lâcher. Surtout pas au moment où la zone euro est en crise, où la Grèce est empêtrée comme jamais dans les déficits.
DSK, probable candidat aux primaires socialistes il y a quelques jours encore, aurait sans doute quitté son poste au plus tard en juin. Dans l’ombre, les tractations avaient déjà commencé et la donne n’a donc pas fondamentalement changé. Mais, il y a désormais urgence : l’Europe défend, en ordre dispersé, son pré carré face à la Chine, l’Inde et le Brésil qui poussent leurs pions. Mais la Turquie, avec un candidat sérieux, pourrait en profiter et rallier les suffrages.
Angela Merkel a répété ce jeudi qu’elle souhaite que le poste revienne, une fois de plus, à un Européen. Logique: c’est l’implication du FMI – qui a financé les plans de sauvetage de la Grèce puis de l’Irlande et tout récemment du Portugal à hauteur d’un tiers – qui avait décidé la Chancelière allemande à venir en aide aux pays en difficulté.
Le rôle personnel de DSK avait alors été décisif. L'Allemagne juge "important que le chef du FMI soit informé au mieux des spécificités de l'Europe et de ses questions monétaires", a fait savoir Berlin.
Les Européens ont toujours leur mot à dire dans la mesure où ils pèsent pour près de 30% des droits de vote et détiennent neuf sièges sur les 24 du Conseil d’administration du FMI.
Problème: les trois derniers directeurs du FMI (Horst Kohler, Rodrigo Rato, puis DSK) ont tous démissionné avant la fin de leur mandat. La crédibilité de l’Europe en a forcément pris un coup.
Lagarde soutenue par Merkel
Selon des sources citées par la presse allemande (Handelsblatt et Sueddeusche Zeitung), Christine Lagarde aurait la faveur d’Angela Merkel. La partie est pourtant loin d’être jouée pour la dame de Bercy. Son principal atout: être très appréciée des milieux financiers et par ses homologues des pays de la zone euro.
La candidature de la ministre française semble tenir la corde. "Christine Lagarde serait un excellent choix", a estimé jeudi soir Silvio Berlusconi. Le ministre suédois des Finances Anders Borg a loué "l'influence et l'expérience" de la locataire de Bercy. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen aurait laisser entendre, selon ses proches, que la meilleure candidature pourrait être celle d'une "femme française". Autant de soutien de poids qui font penser qu'elle pourrait être assez rapidement intronisée comme candidate de l'Europe.
Sa candidature pourrait néanmoins être plombée par l'affaire Tapie: la ministre de l'Economie est menacée, depuis le 10 mai 2011, d'une enquête pour "abus d'autorité". D'après le procureur général de la Cour de cassation, elle pourrait avoir favoriser l'intérêt particulier de l'ancien homme d'affaires au détriment de l'intérêt général. Pas sûr que les Européens, échaudés par l'affaire DSK, acceptent de courir le risque.
A court d’arguments, les soutiens à la ministre de l’Economie, vantent sa maîtrise parfaite de l’anglais. Un strict minimum que l’on ne penserait même pas à relever dans tous les autres pays du monde…
Kemal Dervis, candidat sérieux et compatible
Et si la Turquie tirait les marrons du feu ? Profitait, une fois n’est pas coutume, de sa position géographique à cheval sur l’Europe et l’Asie ? Candidate à l’adhésion européenne, active au Moyen-Orient, elle pourrait bénéficier du soutien des pays émergents.
"Il serait bon et également naturel de voir un turc à la tête du FMI." C’est sur une chaine de télévision que Mehmet Simsek, ministre turc des finances, a confirmé les ambitions de son pays. Son candidat le plus sérieux, Kemal Dervis, ne s’est pas encore déclaré, mais il bénéficie déjà du soutien officieux du chef de l’Etat Abdullah Guld. Et d’une solide cote auprès des bookmakers anglais.
Cet économiste de 62 diplomé de la London School of economics est actuellement vice-président du programme de développement et d’économie du think tank américain Brookings Institute. Son CV est jugé compatible avec la fonction de chef du FMI, une institution qu’il connait de près. Durant ses 22 années de carrière à la Banque mondiale, il a notamment été chargé des relations avec le Fond monétaire.
Puis, c’est en tant que ministre de l’économie turque, entre 2001 et 2002 qu’il négocie avec cette même instance un prêt de 20 milliards de dollars pour son pays frappé par une grave crise financière. Pro-européen, social démocrate et président du PNUD [programme des Nations-Unies pour le Développement] de 2005 à 2009, il "est tout à fait crédible pour le poste", estime l’économiste Seyfettin Gursel.
Il n’est ni néo-classique ni orthodoxe et peut tout à fait poursuivre la nouvelle orientation lancée par Strauss-Kahn".
Son parcours, son profil social-démocrate et sa nationalité peuvent séduire les Européens comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. Mais peut-être pas la Grèce qui pourrait-être réticente à le voir prendre la tête d’une institution dont va dépendre son avenir économique – même si les les relations de la Turquie se sont énormément améliorées.
Le gouvernement de Recep Erdoğan semble encore réticent à soutenir ouvertement Kemal Dervis que l’on pronostique comme un probable candidat au poste de président de la République. Difficile toutefois d'imaginer les autorités turques, avides de reconnaissance internationale, laisser passer la chance de voir l’un de ses citoyens prendre la tête du FMI si l'occasion se profile.
Les pays émergents poussent à la roue
Profitant de cette période de flottement, les pays émergents donnent de la voix. Le gouverneur de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan:
La composition de l'équipe de direction devrait mieux refléter les changements dans les évolutions économiques mondiales
L'Afrique du Sud a commencé à pousser les pions. Son ministre des Finances a expliqué ce matin qu'un candidat des émergents
apporterait une perspective nouvelle, qui assurera que les intérêts de tous les pays, développés comme en développement, sont pleinement reflétés dans les opérations et politiques du FMI.
Le ministre brésilien des Finances, Guildo Mantega, un proche de toujours de Lula a justement apporté son soutien à Trevor Manuel, qui dirige actuellement la Commission nationale au Plan auprès du président Zuma. Au FMI, la part du Brésil est encore modeste (1,72%), mais elle passera à 2,2% en 2012. Dans une lettre adressée aux chancelleries (et que Les Echos se sont procuré), il défend que
L'époque où tout se décidait au sein du G7 est révolue. Le G20 l'a remplacé (…) Le temps est venu depuis longtemps pour imaginer de remodeler de façon appropriée ce poste qui était réservé à un Européen.
Une telle candidature est-elle possible? "Ce serait l'occasion de redorer l'image du FMI en Amérique Latine, en Afrique, en Asie, où il est encore très discrédité", souligne l'économiste Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d'Attac, cité par Libération. "C'est vrai que, contrairement à 1945, des économistes chinois, indiens…, ont maintenant des carrières internationales", ajoute Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE – même s’il considère qu’une telle candidature à, en 2011, "peu de chances d'aboutir".
Plusieurs autres prétendants peuvent postuler. Agustin Carstens, gouverneur de la Banque centrale du Mexique ; Tharman Shanmugaratnam, ancien ministre singapourien des Finances, qui pourrait mettre d'accord l'Inde et la Chine ; Arminio Fraga, qui présida la Banque dentrale brésilienne ; Mark Carney, 46 ans seulement, à la tête de la Banque centrale canadienne ; le chinois Zu Min, que DSK a nommé en mai 2010 conseiller spécial auprès du directeur du FMI, en signe d'ouverture.
De petites fiches biographiques sont disponibles ici et là.
Tous au CV impressionnant, de grandes compétences. Mais c'est, plus encore que par le passé, leurs orientations économiques et les tractions entre nations qui feront la différence. Les Etats-Unis en particulier – qui conserve, avec 17% des votes, un droit de veto de fait – qui serviront d'arbitre.