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Sécurité alimentaire: le grand cafouillage européen

mercredi, 1 juin, 2011 - 15:19

L'Union européenne est un marché vraiment unique! Les personnes et les marchandises circulent librement. Les bactéries aussi. Mais la capacité de l'UE à répondre à une crise alimentaire, et surtout à la prévenir, est toujours balbutiante, sinon défaillante. Les concombres espagnols ont été mis hors de cause, mais l'origine de l'épidémie n'est toujours pas identifiée.

La contamination à la bactérie E.coli survenue en Allemagne constitue un problème européen",

ont reconnu les ministres européens de l’agriculture réunis mercredi à Debrecen, en Hongrie.

On est en train de nuire à l'image de l'Espagne, on est en train de nuire au secteur producteur espagnol et le gouvernement espagnol n'est pas disposé à accepter cette situation (…) Nous demanderons, de manière logique, une réponse dans le cadre de l'Union européenne pour les dommages et préjudices provoqués et nous demanderons aussi à l'Allemagne d'assumer la responsabilité qui lui revient",

assure la ministre espagnole de l'Agriculture, Rosa Aguilar.

Un problème européen sans solution européenne ?

L’Union européenne garantie la libre circulation des personnes et des marchandises. Cela vaut aussi pour les bactéries. Sans pour autant se donner les moyens de prévenir liées, par exemple, à la sécurité alimentaire.

"L'affaire met en lumière l'interdépendance étroite des marchés en Europe", a relevé lundi la ministre belge de l'Agriculture, Sabine Laruelle (citée par l'AFP) en marge de la réunion de Debrecen: "un problème avec des concombres espagnols, et c'est l'Europe qui tremble".

Cafouillage

Dès le jeudi 22 mai, la Commission européenne a activé les systèmes d’alerte et les réseaux dont elle dispose pour faire face à ce type de menace. Elle tente depuis de jouer la transparence et un rôle de coordination. Mais force est de constater qu'elle n'a pas été en mesure de prévenir cette nouvelle crise alimentaire.

Et, c’est bien une impression de cafouillage que donne l'Europe, mélange de précipitation et de désorganisation – d’autant que l’origine de l’épidémie n’a toujours pas été trouvée. Les autorités allemandes ont accusé un peu vite les concombres andalous avant de se rétracter, sans vraiment s'excuser.

L’Espagne (oubliant un peu vite qu’elle a, elle aussi décidé de fermer les deux exploitations agricoles mises en cause) envisage aujourd'hui de porter plainte contre les autorités de Hambourg, le foyer de l’épidémie.

Les ministres de l’agriculture, pleins de bonne volonté, sont "disposés" à se réunir en Conseil. Quand ? Mystère. Leurs homologues de la Santé sont plus prévoyants: l’épidémie est d’ores et déjà inscrite à l’ordre du jour de leur réunion. Ce sera lundi prochain, le 6 juin, deux semaines après le début de l'épidémie.

Pour ajouter à la confusion, le bilan des victimes recensées n'est pas le même pour l'Allemagne ou la Commission européenne.

Libre circulation

On sait désormais que les concombres andalous incriminés dans un premier temps ne sont pas à l’origine de l’épidémie qui a déjà fait 16 morts [d'après Berlin]. Par la suite, la piste d’une contamination le long de la chaîne de transport et de distribution a été avancée.

Chaque jour, des milliers de camions sillonnent l’Europe pour acheminer des marchandises. Des volumes considérables. D’après les derniers chiffres disponibles (2008), l’Allemagne importe 182 000 tonnes de concombres espagnols par an, soit 40% de ses importations pour ce légume.

La filière agricole espagnole chiffre ses pertes à 200 millions d’euros par semaine, en raison de la désafection des consommateurs. Après les accusations allemandes, "presque tous les marchés européens se sont fermés aux produits espagnols", affirme une porte-parole de la Fédération de producteurs et exportateurs de fruits, légumes et fleurs (FEPEX).

Au sein du grand marché européen, les marchandises circulent, les personnes aussi. La Commission a annoncé mardi soir neuf décès en Allemagne et un en Suède. "Quinze cas ont été confirmés en Suède, 14 au Danemark, six en France, sept aux Pays-Bas, deux au Royaume-Uni, deux en Autriche, un en Espagne et deux en Suisse", précise le dernier bilan publié. Toutes les personnes infectées ont apparemment transité par l’Allemagne.

Les concombres à la mode de chez nous

Alors que le commissaire européen à l'Agriculture Dacian Ciolos préfère attendre prudement les résultats des expertises, la ministre finlandaise de l'Agriculture Sirkka-Liisa Anttila, estime déjà que

la crise actuelle montre qu'il y a encore des failles dans le système actuel de contrôle, car un incident comme celui-ci n'aurait pas dû se produire".

Les producteurs français tentent, de leur côté, de tirer les marrons du feu et de rassurer les consommateurs français .

Il n’est pas surprenant que ces désordres sanitaires aient lieu en Allemagne, championne du hard discount, avec du concombre d’Espagne, championne du low cost ! La sécurité sanitaire, les respects des règles sociales et des normes environnementales ne sont pas compatibles avec la recherche du prix toujours plus bas. Les producteurs de concombres de France réaffirment qu’ils travaillent dans des conditions de production sanitaires, environnementales et sociales exigeantes qui n’ont rien à voir avec celles pratiquées en Espagne",

écrivent les "Producteurs de légumes de France" dans leur communiqué.

De bonne guerre (commerciale), même si l’attaque perd de son sens depuis que les concombres espagnols ont été mis hors de cause. Elle traduit malgré tout, les insuffisances du droit européen, faute d'harmonisation.

Françoise Grossetête, député européen et Secrétaire National UMP en charge des politiques européennes de santé et de sécurité sanitaire, refuse de céder à la panique. Elle note cependant que

Ces cas nous engagent toutefois à renforcer en Europe l'étiquetage visant à mentionner de manière obligatoire l'origine de certaines denrées pour améliorer la traçabilité et être en mesure de prévenir les populations plus facilement".

Alerte précoce

Sur son site Internet, la Commission européenne rappelle que la législation existe, qui règlemente la sécurité alimentaire. Elle impose des standards et des contrôles tout au long de la chaîne de production et de distribution. Le règlement EC 2073/2005 expose spécifiquement les critères micro-biologiques à respecter.

Le Commissaire européen à la Santé John Dalli, défend également le système d'alerte de l'Union européenne, critiqué pour avoir provoqué l'effondrement des exportations espagnoles de légumes.

Dès le 22 mai, l'Allemagne a informé la Commission européenne à travers le "Système d'alerte précoce et de réaction" pour les maladies transmissibles (EWRS). Les concombres avaient été importé le 12 mai. Le temps qu'ils soient distribués, achetés puis consommés, et compte-tenu d'un délai d'incubation de 8 à 10 jours avant que la maladie ne se déclare, il semble que l'épidémie ait été détecté rapidement.

Le "Système d'alerte rapide pour les denrées alimentaires et aliments pour animaux" (RASFF) a ensuite été activé.

Dèsormais, l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) fait la liason entre la Commission européenne, les Etats membres, le laboratoire romais spécialiste de la bactérie E. coli et le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies (ECDC).

Dommages et intérêts

L'Espagne et les Pays-Bas ont déjà fait savoir qu'ils entendaient réclamer des compensations de l'Union européenne pour l'effondrement de leurs ventes de légumes suite à cette alerte. Des compensations sont possibles, sous forme d'aides publiques, à fait savoir la Commission. " Mais pour l'instant nous n'avons pas eu de demandes".

A l'issue de la réunion des ministres européens concernés, le commissaire à l'Agriculture Dacian Ciolos a promis d'essayer d'utiliser toutes les marges d'action dont il dispose pour venir en aide aux producteurs. Tout en reconnaissant qu'elles étaient limitées. Une nouvelle pomme de discorde en perspective.




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